LA FRANCE PITTORESQUE
Reprendre du poil de la bête
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Publié le vendredi 20 mars 2020, par Redaction
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Reprendre des forces au plan physique ou moral, reprendre l’avantage sur un adversaire
 

Cette manière de s’exprimer devrait son origine à Mathurin Régnier, né à Chartres le 21 décembre 1573. Poète satirique, il était le neveu du célèbre abbé Desportes (1546-1606) — poète baroque surnommé le Tibulle français, qui fut lecteur de la chambre du roi Henri III et conseiller d’État — et surpassa tous ceux qui, avant lui, avaient consacré leur plume à la satire.

Il vécut en libertin et en débauché, caractère dont il a répandu mille et mille traits dans plusieurs de ses ouvrages. Il avait un tel penchant pour la boisson, qu’il n’était pas rare de le trouver dans les tavernes les plus communes et avec les compagnies les plus viles, qu’il ne quittait jamais sans être ivre à ne pouvoir plus se tenir debout. Son oncle, croyant lui faire perdre une habitude si détestable, lui donna un logement chez lui, et invita, tous les jours de la semaine, une société dont, au commencement, son neveu faisait l’agrément et les délices.

Mathurin Régnier. Aquarelle d'Eugène Delacroix (1846)
Mathurin Régnier. Aquarelle d’Eugène Delacroix (1846)

Ce bon oncle espérait que le respect humain aurait sur son neveu plus de pouvoir que toutes ses remontrances. Un jour que la société n’avait pu se trouver au rendez-vous ordinaire, Mathurin Régnier s’esquiva de la maison et rentra fort tard, dans un état pitoyable, le visage tout ensanglanté et ses habits tout couverts de boue.

« Mon cher oncle, dit-il en rentrant, pour tâcher de masquer son état, jugez de mon malheur. À deux cents pas de chez vous, je trouvai une grosse bête à longs poils, qui, me barrant le chemin, avait l’air de vouloir me disputer le passage. Trop brave pour reculer, je fondis dessus, et après nous être colletés et terrassés plusieurs fois, je forçai enfin l’animal à abandonner le champ de bataille, me laissant dans la main cette forte poignée de poils, que j’ai bien soigneusement conservés, pour preuve de ma bravoure. »

L’abbé Desportes, appréciant bien la valeur de cette défaite, eut l’air d’y ajouter foi, et l’envoya se livrer au repos, dont sûrement il aurait grand besoin, après une rencontre aussi périlleuse. Mathurin Régnier obéit, et ne manqua pas, le lendemain, d’aller recommencer séance, avec ses chers amis de bouteille.

La société étant arrivée, comme à l’ordinaire, et s’étonnant de ne pas voir le facétieux Régnier, demanda à l’oncle où il était. « Ah ! répliqua-t-il, d’un air triste, il est allé reprendre du poil de la bête. » La société trouvant cette réponse trop énigmatique pour pouvoir en deviner le sens, pria l’abbé Desportes d’en donner la solution. Tout le monde se prit à rire de la ruse de Régnier et petit à petit, cette expression, reprendre du poil de la bête, passa en proverbe pour dire, chercher son remède dans la chose qui a causé le mal.

Chats humanisés. Chromolithographie de 1938
Chats humanisés. Chromolithographie de 1938

Le temps passant, on conféra à l’expression un sens plus large, celle-ci signifiant aujourd’hui reprendre des forces sur le plan physique ou moral, mais également reprendre l’avantage sur un adversaire après avoir connu une situation de faiblesse.

Certains auteurs rattachent l’origine de cette expression à la croyance, populaire sous la Rome antique, selon laquelle le poil de certains animaux, appliqué sur la morsure qu’ils ont faite, en opère la guérison. Pline rapporte ainsi que pour guérir ou préserver de l’hydrophobie un homme mordu par un chien, on regardait comme infaillible de faire brûler quelques poils de la queue de cet animal et d’en introduire la cendre dans la plaie.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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