LA FRANCE PITTORESQUE
Prédicateurs d’autrefois : des sermons
dispensés à un auditoire parfois dissipé
(D’après « Le Figaro littéraire », paru en 1909)
Publié le samedi 8 décembre 2012, par Redaction
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On a calomnié la dureté des carêmes d’autrefois. Il est très vrai qu’ils faisaient perdre à la gourmandise quelques-uns de ses droits ; mais les délices qu’on refusait à la bouche, c’est à l’oreille qu’on les offrait. Les sermons, pour peu qu’ils fussent apprêtés avec délicatesse et servis avec art, étaient un régal envié.
 

Quand Bourdaloue prêchait le vendredi, il n’y avait plus, dès le mercredi, une seule place à retenir. Aux sermons de Paul de Gondi on payait sa chaise un quart d’écu. Derrière le prédicateur, l’usage voulait, vers 1650, que la chaire fût escaladée ; c’était le temps où les gentilshommes, à l’église comme à table, n’hésitaient jamais à se couvrir le chef de leur feutre. Plus anciennement, aux sermons de Bernardino Orchino, les auditeurs inconsolables de n’avoir pu trouver place à l’intérieur de l’église s’empressaient de se hisser sur le toit et leurs enthousiasmes le crevaient.

Louis Bourdaloue

Louis Bourdaloue

« Pourquoi donc, demandait Louis XIV à Boileau, la foule court-elle s’écraser aux sermons de Letourneux ? — Sire, répliquait le poète, la raison m’en paraît simple : on court toujours vers les nouveautés. Et Letourneux prêche l’Evangile. » La piété ne faisait pas, à elle seule, la vogue des sermons. La dévotion envers Dieu avait beau être ardente, la dévotion pour le roi était plus passionnée encore. Et pour peu que le souverain les regardât prier, les dames trouvaient un charme infini à la prière. Elles tenaient allumées, devant elles, de mignonnes bougies ; mais on ne savait au juste si ces petits flambeaux étaient chargés d’éclairer la lecture ou la lectrice.

La présence du roi était la grande raison de l’assiduité des dévotes dans les tribunes. Le major des gardes du corps, Brissac, en fit la preuve. Il s’avisa, certain soir, de jeter cet ordre, quand la chapelle était déjà pleine : « Messieurs les gardes, retirez-vous ; Sa Majesté ne viendra pas. » Une à une, aussitôt, les bougies de s’éteindre et les dévotes de sortir. L’instant d’après, sur un signe de Brissac, les gardes rentrent et le roi paraît. Il voit les tribunes désertes ; quatre dames y restaient seules. A l’issue du sermon, il s’étonne et questionne. Et quand Brissac eut expliqué l’aventure, la rate de Sa Majesté daigna se dilater à l’aise.

Vingt témoignages, groupés par Langlois, nous montrent qu’au temps du roi Saint-Louis, les Parisiennes avaient fait des églises autant de lieux de rendez-vous. Deux siècles plus tard, un prédicateur s’écriait : « Si quelque gentillâtre entre à l’église, que voyons-nous ? Une dame se lever et courir l’embrasser, bec à bec » Les belles auditrices étaient redevables aux sermons de mille autres douceurs. Elles apprenaient, en écoutant Pierre de Besse, que les mauvaises pensées sont « les allumettes des vices » et que les démons ont un « concierge : Lucifer ».

Dans tel sermon de Noël, elles entendaient le cri du coq sortir des lèvres du prédicateur ; après quoi, le mugissement du bœuf, puis le braiment sonore de l’âne. Elles découvraient, grâce au père André, pourquoi sa grande charité faisait de saint Augustin le roi de cœur ; pourquoi saint Jérôme, un peu terre à terre, était le roi de carreau ; et pourquoi son éloquence fleurie faisait de saint Ambroise le roi de trèfle. Le Père Mainsbourg leur révélait le sens caché des races canines : les dogues anglais étaient les jansénistes ; les bons chiens de garde étaient les molinistes ; les chiens bichons étaient les abbés de cour.

Les contemporaines d’Erasme avaient entendu démontrer, par les douze signes du zodiaque, la nécessité de l’abstinence et le bienfait de l’aumône par le delta du Nil. Dans les dernières années de Louis XIII, les Françaises avaient enfin compris pourquoi le Christ était d’abord apparu aux saintes femmes : c’était parce qu’en Judée, les femmes, plus bavardes que les hommes, étaient plus capables que les apôtres de répandre, en quelques heures, la grande nouvelle.

Et puis, que de profondeur dans la glose commentant la création de la femme ! Si Eve avait été tirée de la tête d’Adam, les filles d’Eve auraient eu trop d’orgueil ; de l’œil, elles risquaient d’être trop vagabondes ; de l’oreille, trop indiscrètes ; de la bouche, trop loquaces ; de la main, trop tatillonnes, et du pied, trop coureuses. Il est vrai que Bossuet jugeait autrement le dessein de Dieu, quand Dieu avait fixé son choix sur la côte d’Adam. Bossuet prêchait aux dames la modestie et s’écriait : « Vous ne devez pas oublier que vous tirez votre origine d’un os complémentaire de l’homme. »

Conscientes, malgré tout, de posséder quelques trésors que l’indifférence masculine ne dédaigne pas toujours, les dames étalaient volontiers aux sermons un décolletage sans timidité. Le vertueux Maillard s’en offusquait. Et, détournant à demi les yeux, il clamait : « Mesdames, ne vaudrait-il pas mieux, pour vous, porter un grain de lèpre sur le front et un autre au bout du nez ! » Le P. de Lingendes dénonçait ces scandales : « Sein dévoilé, épaules nues, bras découverts, tout l’équipage de la luxure. » Le P. Le Boux accusait les grandes dames « d’étaler, jusqu’au pied des autels, la plus affreuse nudité et de paraître sous un extérieur qui annonce une chasteté mourante. »

En Italie, les femmes avaient d’autres faiblesses du seizième au dix-huitième siècle, elles se glissaient dans des costumes d’hommes. Saint Charles Borromée eut à défendre aux nonnes elles-mêmes cette fantaisie. En 1692, le dominicain Girolamo Fazello, dans ses sermons de Carême, flétrissait la manie des femmes de se déguiser en soldats. Plus tard, elles arboraient dans les églises, et sous le nez des prédicateurs, la veste, la culotte étroite et le justaucorps.

Les indulgents trouvaient à toutes ces modes un mérite : attirer, en très grand nombre, les hommes au sermon. Après quoi, le génie des prédicateurs avait toute liberté pou édifier l’auditoire et pour l’arracher aux pensées frivoles. Le P. Honoré y réussissait au moyen d’une valise de têtes de morts. Il prenait une première de ces têtes, la coiffait d’un bonnet carré ou d’un mortier et demandait : « N’as-tu pas été juge et n’as-tu pas vendu la justice ? » D’autres têtes succédaient à la première et, affublées de casques guerriers, de capuchons de moines ou de cornettes de nonnains, elles subissaient, sur leur vie au camp ou au cloître, d’implacables interrogatoires.

Après quoi, le P. Honoré choisissait un dernier crâne, d’allure plus mignonne que ses confrères : d’un geste sûr, il l’affublait, un peu en arrière, d’une fontange, et questionnait : « Où sont maintenant tes beaux yeux, si adroits jadis au jeu des prunelles ? et cette bouche dont le sourire a damné tant de malheureux ? Où sont tes dents qui mordaient les cœurs ? Où sont ces mignonnes oreilles, ouvertes aux douceurs des godelureaux ? Où sont les pommades et tes fards qui enluminaient ton visage ? »

Jacques-Bénigne Bossuet

Jacques-Bénigne Bossuet

Les apostrophes n’allaient pas seulement aux défunts. Guincestre, au temps de la Ligue, interpellait le président de Harlay et il lui demandait de jurer, en face de la chaire, sa fidélité à la cause des Seize. Aussi, certain soir qu’il prêchait la Passion, devant Gaston d’Orléans, encadré de deux notables financiers, Pierre Camus dit tout à coup : « Ah Monseigneur, je vous vois entre deux larrons ! » Camus n’adressait ces paroles qu’au crucifix. Mais Gaston les prit pour son compte et, ôtant son chapeau, tout en regardant ironiquement ses deux voisins, il acquiesça et salua.

Le frère de Gaston, Louis XIII, apportait au sermon une âme plus simple : en entendant prêcher l’abbé de Bourgueil, il sentait croître le bienfait d’une conscience pure et il sommeillait. A la cour, les bons prédicateurs avaient, du reste, pour les dormeurs, des égards touchants : ils les priaient seulement de mettre à ronfler quelque discrétion « de peur d’éveiller, trop tôt, Sa Majesté ». Malherbe fit sentir son imprudence à l’archevêque de Rouen qui lui donnait, après dîner, rendez-vous au sermon : « Grand merci, monsieur l’archevêque, je dormirai fort bien sans cela. »

Le sommeil persistant de certains auditoires aurait semblé, dans certains cas, sans excuses : car il arrivait à l’orateur de s’arrêter court. Ce fut, devant Marie de Médicis, l’aventure d’Henri de Lavardin, évêque du Mans. Mme de Sablé, en apercevant le portrait du prélat, s’écria donc : « Dieu ! le beau portrait ! Mais la ressemblance serait plus parfaite, s’il était moins parlant. » La malignité publique se divertissait aussi du prieur de Pommier qui, du haut de la chaire, ne sut trouver que des gestes et pas une parole. Et l’on questionnait les gens doctes pour savoir de quelle espèce rare était ce pommier, puisqu’il n’était, à coup sûr, ni un arbre à fruits ni un arbre d’agrément.

Par une salutaire défiance de leurs forces, et pour donner du prix à leurs paroles, certains abbés achetaient l’éloquence en boutique : tel parcheminier de la rue Saint-Hilaire passait pour être, entre tous ses confrères, bien achalandé. Le sieur Turpin, qui travaillait au plus juste prix, livrait six sermons pour huit louis. D’autres fabricants ne demandaient aucun supplément pour les avis dans la marge : ici, on se lève ; là, on sanglote ; au bas de la page 6, on se mouche.

On assurait que le Père Hercule préparait, sur commande, les sermons improvisés de l’abbé Roquette. On attribuait au Père l’oraison funèbre du duc de Candale, prononcée par l’abbé. Et l’on se demandait en sortant de l’église : « Que pensez-vous des travaux d’Hercule ? » Mais le chevalier d’Accilly entreprit de venger en quatre vers le bon droit de l’abbé :

On dit que l’abbé Roquette
Prêche les sermons d’autrui :
Moi qui sais qu’il les achète,
Je soutiens qu’ils sont à lui.

L’heureux succès des sermons achetés s’étendit aux mandements. Et cette coutume fit quelque tort aux riches prélats. L’un d’eux, sans penser à mal, interrogea Piron : « Avez-vous lu mon mandement, monsieur ? » Piron répondit : « Oui, monseigneur. Et vous ? »

Dans les ruelles ou dans les salons, dans les petits vers ou dans les billets, on parlait des prédicateurs avec autant de passion que du dernier scandale ou de la nouvelle favorite. Le 19 mars 1686, Bussy-Rabutin mandait galamment à sa belle-sœur de Toulongeon les mérites du Père Archange, lyonnais.

Le Père exagéra les peines des damnés.
Il nous étala leur souffrance,
Il nous parla des feux et des étangs glacés,
Mais... il oublia votre absence.

Un prédicateur, au Moyen Age, donnait souvent ses sermons gratis. Peu à peu, l’usage prévalut de le payer avec le produit des quêtes recueillies dans l’église. Puis, on joignit à ces quêtes quelques écus. Enfin, au dix-septième siècle, un Carême à la cour était tarifé à 3&nbsp ;000 livres et un Avent à 1 500. Les prébendes et les bénéfices étaient donnés par surplus. Si bien que les meilleurs sermons profitaient au prédicateur beaucoup plus qu’à l’auditoire.

Daniel de Cosnac avait vingt-quatre ans, tout juste, quand, en 1654, après un sermon prononcé devant la cour, il reçut, en cadeau, l’évêché de Valence. Cosnac alla, tout courant, annoncer au cardinal de Retz son succès et son embarras.

— Le roi m’a fait évêque. Votre Eminence m’accordera-t-elle l’honneur de me faire prêtre ?

— Quand il vous plaira.

— Mais, peut-être, auparavant, lui semblera-t-il opportun de me faire diacre.

— Qu’à cela ne tienne !

— A ces deux grâces, daignera-t-elle joindre celle du sous-diaconat ?

Retz ajouta simplement : « Rassurez-moi vite. Etes-vous baptisé ? »

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