LA FRANCE PITTORESQUE
5 décembre 1812 : Napoléon
quitte la grande armée
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Publié le dimanche 2 décembre 2012, par Redaction
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Plus encore que le retour d’Egypte (1799), le départ de Smorgony a servi contre Napoléon de texte à des interprétations calomnieuses. Cependant l’utilité de ce départ était si évidente qu’un Russe même l’a loyalement proclamée une nécessité. « On a diversement jugé, dit de Butturlin, le départ de Napoléon ; rien de plus facile à justifier.

En effet, Napoléon n’était pas seulement le chef de l’armée qu’il quittait, mais puisque les destinées de la France entière reposaient sur sa tête, il est clair que, dans ces circonstances, son premier devoir était moins d’assister à l’agonie des débris de son armée que de veiller à la sûreté du grand empire qu’il gouvernait. Il ne pouvait mieux satisfaire à ce devoir qu’en se rendant à Paris, afin de hâter, par sa présence, l’organisation des nouvelles armées devenues nécessaires pour remplacer celle qu’il venait de perdre. » Quelques considérations achèveront de motiver cette opinion si judicieuse.

Une seule objection réelle peut être présentée contre le départ de Napoléon : l’influence heureuse de sa présence pour la conservation des débris de l’armée. Il faut voir qu’à Smorgony, six jours après le passage de la Bérézina, la campagne était terminée. Il ne restait plus guère à combattre qu’un ennemi, la température ; la face de l’empereur, si puissante qu’elle fût sur ses vieux soldats, ne les pouvait pas réchauffer contre un froid de vingt-cinq degrés, et lorsqu’on attribue au départ de Napoléon les progrès de misère et de désorganisation qui suivirent le 5 décembre, on oublie que la force des choses, indépendamment de toute cause accidentelle, devait rendre la retraite, de jour en jour plus désastreuse du Dniéper au Niémen.

Du moment où les opérations militaires cessaient, les opérations politiques allaient commencer : Napoléon devait donc quitter sa position bornée de général pour reprendre son rôle d’empereur, et passer, par conséquent, du commandement de l’armée à la tête de la France. Il faut rechercher si, manœuvrant entre le Niémen et la Vistule, il aurait pu créer cette nouvelle armée qui vainquit à Lutzen, à Bautzen et à Dresde, et s’il eût pu tenir l’Allemagne en suspens et partagée jusqu’au milieu de l’année 1813. C’était en revenant de la France et non en fuyant vers elle qu’il pouvait continuer énergiquement la guerre ou faire dignement la paix, et se montrer encore imposant à l’Europe. Et pour revenir à temps de la France, il fallait se hâter d’y aller. En un mot, Napoléon, demeurant, soulageait à peine son armée et compromettait la France, tandis qu’en partant il sauvait certainement la France et peut-être l’armée.

On a eu recours encore pour condamner le départ de Napoléon à des considérations d’un autre ordre, et l’on a prétendu que, par point d’honneur, par sentiment chevaleresque, il aurait dû rester associé, jusqu’à la fin, aux destinées de ses soldats. Ainsi eût agi, ainsi eût dû agir un général, un maréchal ; autre était la position de l’empereur, autre son devoir. Le salut de la France devait être sa suprême loi, et cette loi lui ordonnant de partir, comme il le jugea, comme le jugèrent ses off1ciers, et comme le jugera l’impartiale histoire, qu’importaient, dans la question, les émotions de son cœur ?

La moralité du départ de Smorgony devait seule être discutée avec quelque longueur dans cet article, parce que les circonstances matérielles du fait lui-même ne présentent que peu d’intérêt. Après avoir réglé l’avenir aussi loin que ses prévisions pouvaient atteindre, après avoir arrêté toutes les mesures possibles d’ensemble et de détail pour continuer en quelque sorte sa présence, après avoir investi Murat du commandement supérieur, parce qu’il ne le jugeait pas assez grand pour obéir à Eugène, à Ney, à Davoust, à tout autre ; après avoir confié à ses maréchaux ses craintes, ses espérances et ses projets, et reçu leurs adieux, Napoléon, suivi de trois ou quatre officiers, quitta Smorgony, à dix heures du soir, et le 19 décembre il entrait aux Tuileries.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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