LA FRANCE PITTORESQUE
2 décembre 1718 : découverte de
la conspiration de Cellamare et
arrestation de Porto-Carrero
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Publié le samedi 1er décembre 2012, par Redaction
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L’ambition d’un ministre étranger et le ressentiment d’une petite-fille du grand Condé furent les principales causes de la conspiration dite de Cellamare, du nom de l’ambassadeur d’Espagne à Paris, qui dirigeait cette conspiration, complot ourdi par l’Espagne pour retirer la régence du royaume de France à Philippe d’Orléans.

Bénédictine de Bourbon, mariée au duc du Maine, fils de Louis XIV et de madame de Montespan, avait obtenu, par son esprit et son crédit, que son mari et ses enfants seraient élevés aux honneurs des princes du sang. Louis XIV avait même dans son testament, nommé le duc du Maine surintendant de l’éducation de son successeur ; mais, le testament du roi ayant été cassé après sa mort, le duc d’Orléans, régent du royaume, ôta non seulement au duc du Maine la garde de la personne du jeune roi et la surintendance de son éducation, mais encore fit abolir tous les actes en faveur des princes légitimés et de leurs enfants.

Louise Bénédicte de Bourbon

Louise Bénédicte de Bourbon, duchesse du Maine,
protagoniste de la conspiration de Cellamare

On peut juger du désespoir de la petite-fille du grand Condé, en voyant l’abaissement de sa maison, et la chute de l’édifice qu’elle avait travaillé toute sa vie à élever. Elle écrivit au roi d’Espagne, pour l’engager à soutenir le duc du Maine, par les motifs de la proximité du sang, et du respect pour les volontés du feu roi, son aïeul, enfreintes sans aucun ménagement. Le cardinal Alberoni, ministre de Philippe V, jaloux de gouverner à la fois la France et l’Espagne, manda au prince de Cellamare de se concerter avec la duchesse et les principaux mécontents. Le dessein fut pris d’enlever, si l’on pouvait, le duc d’Orléans dans une de ses parties de plaisir, de lui ôter la régence et de la donner au roi d’Espagne.

La fortune fit évanouir tous ces projets : une simple courtisane découvrit la conspiration, qui devint inutile dès qu’elle fut connue. Cette affaire mérite un détail qui fera voir comment les plus faibles ressorts font souvent les grandes destinées.

Le prince de Cellamare avait avec lui le jeune abbé de Porto-Carrero, qui faisait son apprentissage de politique et de plaisir. Une femme publique, nommée Fillon, auparavant fille de joie du plus bas étage, devenue une entremetteuse distinguée, pourvoyait aux plaisirs du jeune Espagnol. Elle avait longtemps servi l’abbé Dubois, alors secrétaire d’Etat pour les affaires étrangères, depuis cardinal et premier ministre. Il employa la Fillon dans son nouveau département ; celle-ci fit agir une fille fort adroite, qui vola des papiers importants avec quelques billets de banque, dans les poches de l’abbé Porto-Carrero : les billets de banque lui demeurèrent ; les lettres furent portées au duc d’Orléans ; elles donnèrent assez de lumières pour faire connaître la conspiration, mais non assez pour en découvrir tout le plan.

L’abbé Porto-Carrero, ayant vu ses papiers disparaître, et ne retrouvant plus la fille, partit sur-le-champ pour l’Espagne : on courut après lui, on l’arrêta près de Poitiers. Le plan de la conspiration fut trouvé dans sa valise, avec les lettres du prince de Cellamare. Après s’être emparé de ce qu’on voulait avoir, on lui laissa continuer son voyage ; il dépêcha sur-le-champ un courrier au prince de Cellamare, pour l’instruire de ce qui était arrivé ; et ce courrier fit une telle diligence qu’il devança de beaucoup celui qui portait la même nouvelle au régent, lequel arriva la nuit.

Ce prince en avait passé une partie à table, en compagnie agréable, et n’eut pas grande envie d’employer le reste à l’examen d’une affaire peu réjouissante ; il fut même conseillé de différer l’ouverture du paquet, par une personne de la compagnie, occupée d’autres affaires que celles d’Etat. Quelques jours après on investit l’hôtel de l’ambassadeur d’Espagne ; tous ses papiers furent saisis, et l’ambassadeur lui-même fut conduit jusqu’à la frontière par un gentilhomme ordinaire de la maison du roi.

La duchesse du Maine fut envoyée au château de Dijon, et son époux à celui de Doullens ; la liberté ne leur fut rendue qu’en 1720. On arrêta pareillement le cardinal de Polignac et Malezieu, qui avaient tous les deux composé le manifeste que devait publier le roi d’Espagne ; Malezieu fut envoyé à la Bastille, et le cardinal relégué dans son abbaye d’Anchin ; il ne faut pas oublier mademoiselle de Launay, depuis baronne de Staal, attachée à la duchesse du Maine célèbre par les grâces de son esprit et par la fermeté inébranlable qu’elle montra dans toute cette affaire.

Sous le ministère du cardinal de Richelieu, l’échafaud eût été bientôt dressé ; mais on doit cette justice au régent, qu’il ne voulut entendre parler d’aucunes mesures de rigueur, et qu’il montra la clémence d’un petit-fils d’Henri IV. Le comte de Laval, un de ceux qui étaient enfermés à la Bastille, voulant se ménager l’occasion de voir plus souvent son apothicaire, qui lui servait de confident, prenait deux lavements par jour. L’impitoyable Dubois voulait en réformer quelques-uns ; mais le duc d’Orléans s’y opposa : « Puisqu’il ne lui reste que ce plaisir-là, dit-il, il faut le lui laisser. »

Un certain abbé Brigaut, attaché au prince de Cellamare, avait été arrêté à Montargis, où il s’était enfui. Cet abbé, avant de partir, avait remis une cassette fermée, avec un rouleau de papiers cachetés, à son ami le chevalier de Menil, qui ne se doutait de rien alors ; mais quand le chevalier apprit qu’on venait d’arrêter le prince de Cellamare pour affaires d’Etat, il crut devoir s’éclaircir de la nature du dépôt dont on l’avait chargé. Il ouvrit adroitement la cassette, et, n’y ayant trouvé qu’un testament et des papiers indifférents, il la referma sans qu’il y parût ; mais ayant décacheté le rouleau de papiers où étaient tous les projets, mémoires et autres écrits relatifs à la conjuration, et voyant les noms de beaucoup de gens de distinction qui allaient être impliqués dans cette affaire , il jeta tout le paquet au feu.

Le lendemain de l’incendie qu’avait fait le chevalier, l’abbé Dubois, dont il était très connu, et qui connaissait ses liaisons avec l’abbé Brigaut, l’envoya chercher, et s’informa de ce qu’il aurait pu en apprendre sur l’affaire en question. Le chevalier de Menil l’assura que l’abbé ne lui en avait jamais parlé ; qu’il lui avait seulement donné à garder une cassette fermée, laquelle ne contenait, à ce qu’il lui avait dit, que des papiers concernant ses propres affaires. On envoya bien vite chercher la cassette, où tout se trouva selon l’exposé du chevalier.

Cependant MM. d’Argenson et Le Blanc, commis à l’examen de toute cette affaire, vinrent à la Bastille interroger l’abbé Brigaut, et pour entamer la conversation, lui dirent que le chevalier de Menil leur avait remis ce qu’il lui avait confié. « Eh bien, dit l’abbé, puisque vous avez ces papiers-là, vous savez tout, car il n’y a rien qui n’y soit. » Cet aveu, qui se rapportait si peu à ce qu’on avait trouvé dans la cassette, leur fit voir que le chevalier n’avait fait qu’une confession tronquée.

Le Blanc en rendit compte à l’abbé Dubois, qui jeta feu et flamme, et envoya sur-le-champ le chevalier à la Bastille. Un marquis de Menil, d’une autre famille, s’empressa aussitôt d’aller trouver le duc d’Orléans, et lui protesta qu’il n’était ni parent ni ami du chevalier. « Tant pis pour vous, répondit le régent, le chevalier de Menil est un très galant homme. »

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