LA FRANCE PITTORESQUE
Bataille de Tolbiac (496) : victoire
et conversion de Clovis au christianisme
(D’après « Faits mémorables de l’Histoire de France », paru en 1844)
Publié le dimanche 29 octobre 2023, par Redaction
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C’est à la suite d’une victoire inespérée à Tolbiac, lors d’une bataille opposant les tribus germaniques aux troupes de Clovis, que ce dernier, y voyant l’œuvre d’une force supérieure et tandis qu’il refusait jusqu’ici de suivre les exhortations de son épouse Clotilde à se convertir au christianisme, accepte enfin, se faisant baptiser quelque temps plus tard et devenant le Fils Aîné de l’Eglise
 

Le grand mouvement des invasions qui changea si souvent la face de l’Europe, et dont le passage d’Attila fut un des plus funestes épisodes, s’était arrêté, et les peuples longtemps errants commençaient à former des établissements stables. Les tribus franques qui s’étaient fixées au nord de la Somme avaient, sous la conduite de Clovis, étendu leur domination jusqu’à la Loire.

Représentation de Clovis invoquant le Christ à la bataille de Tolbiac
Représentation de Clovis invoquant le Christ
à la bataille de Tolbiac

Dirigées par ce prince jeune, actif, audacieux, elles avaient défait une armée romaine ; mais, malgré ces succès, malgré les insignes consulaires que l’empereur d’Orient envoyait au chef des Francs, il y avait loin de cette réunion confuse de soldats sous les drapeaux de Clovis à l’unité qui fait les nations. Les guerres, ou plutôt les violentes incursions inspirées par le besoin du pillage, formaient les seules ressources des Francs ; leurs mœurs et leur religion, composée de croyances superstitieuses, étaient également barbares. Vainement le christianisme avait déjà fondé d’illustres églises dans les Gaules, les Francs persistaient dans l’idolâtrie.

Clovis cependant avait épousé une princesse chrétienne, la nièce du roi de Bourgogne, Clotilde, dont les écrivains contemporains vantent la grâce et la beauté ; la jeune femme ne cessait de supplier son époux de reconnaître le vrai Dieu et d’abandonner les idoles : mais, malgré ses puissantes sollicitations, le roi refusait le baptême. Deux tristes circonstances fortifiaient les résistances de Clovis ; entraîné par les prières de Clotilde, séduit peut-être aussi par l’espoir de donner à son autorité naissante l’appui de l’Église, qui semblait disposée à le lui accorder, le roi avait consenti à ce que ses fils fussent baptisés.

Bientôt il regretta de l’avoir permis : en effet, l’un d’eux, Clodomir, n’avait que difficilement échappé à une grave maladie ; et Ingomir, l’aîné, avait succombé. Dès lors Clovis se fit de la mort d’Ingomir une arme contre les instances de Clotilde : « Si l’enfant, lui disait-il, eût été consacré au nom de mes dieux, il vivrait encore ; mais, comme il a été baptisé au nom de votre Dieu, il est mort. » A ce reproche la pieuse mère avait trouvé le courage de répondre : « Je rends grâces au puissant créateur de toutes choses, qui ne m’a pas jugée indigne de voir associé à son royaume l’enfant né de mon sein » ; sans que son époux fut ébranlé par cette touchante résignation.

Enfin un événement important, dans lequel Clovis crut reconnaître la toute-puissance de l’intervention divine, triompha de sa longue obstination et décida sa conversion. Les Alamans, tribus germaniques qui occupaient la rive droite du Rhin, jaloux de l’accroissement de la puissance des Francs et des richesses qu’ils avaient acquises par leurs victoires, leur déclarent la guerre et s’apprêtent à franchir le Rhin. En présence de cette invasion Clovis réunit ses soldats, et, fier des succès qui avaient étendu son empire au delà de la Seine, il se prépare à repousser l’agression étrangère.

Conversion de Clovis à Tolbiac
Conversion de Clovis à Tolbiac

Les deux armées se rencontrèrent à quelques lieues de Cologne, dans la plaine de Tolbiac, aujourd’hui nommée Zulpich : la lutte fut terrible entre ces barbares également courageux, également impitoyables ; le combat durait depuis plusieurs heures, sans qu’un mouvement décisif eût fait présager qui l’emporterait, quand les soldats de Clovis, frappés d’une soudaine terreur, reculent tout d’un coup en désordre sans que la voix de leur chef pût les arrêter.

Vainement Clovis leur montre l’ennemi, fait appel à leur courage tant de fois éprouvé, ils fuient : dans ce moment suprême Clovis, après avoir jeté un regard de détresse autour de lui et inutilement invoqué ses idoles impuissantes, lève les yeux au ciel et s’écrie : « Dieu de Clotilde, j’invoque avec dévotion la gloire de ton secours. Si tu m’accordes la victoire sur mes ennemis, je vivrai en toi et me ferai baptiser en ton nom. »

Puis il se jette avec une invincible ardeur au plus fort de la mêlée, et, soit que le danger de leur chef leur eût rendu toute leur audace, soit qu’une volonté supérieure aux efforts humains eût ranimé leur âme, les soldats de Clovis reforment leurs rangs, s’élancent sur les traces du fils de Childéric, et bientôt les Alamans, culbutés de toutes parts , implorent la générosité de leur ennemi victorieux.

Au retour de son heureuse expédition, Clovis, fidèle au vœu qu’il avait fait, se disposa à recevoir le baptême. Clotilde, qui avait appelé par tant de prières le moment où son royal époux partagerait sa foi, manda saint Remi, évêque de Reims, afin qu’il fît pénétrer dans le cœur du roi la parole de salut ; et tout se prépara pour cette solennelle cérémonie, qui eut lieu à Reims.

Bataille de Tolbiac (496)
Bataille de Tolbiac (496)

Avant de renoncer pour toujours au culte de ses idoles, Clovis, qui craignait que ses soldats ne vissent avec méfiance son changement, les réunit afin de leur faire connaître sa résolution ; mais, loin de s’y opposer, ceux-ci, frappés sans doute encore du souvenir de Tolbiac, lui répondirent : « Pieux roi, nous rejetons les dieux mortels, et nous sommes prêts à obéir au Dieu immortel que prêche saint Remi. »

Le jour de cette grande régénération arrivé, tout prit dans Reims un aspect de fête. Des toiles peintes ombragent les rues, les églises sont garnies de riches tentures et ornées de voiles blancs ; on dispose le baptistère ; des nuages de parfums s’élèvent sous les voûtes sacrées, des cierges odoriférants brillent de toutes parts ; et le temple, dit Grégoire de Tours, l’historien de cette époque, se remplit d’une ardeur divine qui ravit les assistants d’une pieuse et céleste joie : les barbares émerveillés se croyaient transportés au milieu des pompes du paradis.

Enfin Clovis s’avance le premier, s’incline devant saint Remy, lui demande le baptême, et confesse un Dieu tout-puissant ; alors, au moment où il s’agenouille pour recevoir l’eau sainte, l’évêque étend les mains sur lui, et, prenant pour ainsi dire au nom de l’Église possession des barbares, lui adresse ces éloquentes et fières paroles, que l’histoire a conservées : « Courbe humblement le front, Sicambre ; brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé. » « Et Rome, a dit Chateaubriand dans ses Études Historiques, Rome, reconnue des barbares eux-mêmes comme la source de la domination, parut recommencer son existence et continuer la ville éternelle. »

Cette cérémonie, qui donna à l’Église son Fils Aîné, est entourée de merveilleuses traditions qui attestent tout l’intérêt que le clergé des Gaules prit à la conversion de Clovis. Dès lors le chef des Francs fut pour ainsi dire couvert de sa protection, et, dans plusieurs circonstances, il parut recevoir, comme à Tolbiac, un appui mystérieux du Dieu qu’il venait de reconnaître. Ainsi, lorsqu’il allait combattre les Visigoths, dont la foi était entachée d’arianisme, on raconte qu’une biche lui indiqua un gué pour traverser la Vienne : une colonne de feu s’éleva, ajoutent les chroniques, sur la tour de la cathédrale de Poitiers, pour éclairer sa marche durant la nuit.

Baptême de Clovis
Baptême de Clovis

Saint Avitus, évêque de Vienne, n’hésitait pas alors à lui dire : « Quand tu combats, c’est à nous qu’est la victoire. » L’Église traça autour du chef converti comme un cercle de sainteté ; et l’évêque de Rome, félicitant avec effusion le nouveau Constantin, lui écrivait : « Le Seigneur a pourvu aux besoins de l’Église en lui donnant pour défenseur un prince armé du casque du salut ; sois à jamais pour elle une couronne de fer, et elle te donnera la victoire sur tes ennemis. »

De son côté, Clovis ne méconnut pas cette bienveillance ; il accordait au clergé de nombreux privilèges, il reconnaissait aux églises, et même aux demeures ecclésiastiques, le droit d’asile ; enfin, il fit des concessions de terrain considérables et de riches donations au clergé des Gaules. Pendant ses expéditions, il obligeait ses soldats à respecter les terres qui dépendaient des évêchés et des abbayes. Près de Tours même, il frappa de son épée un soldat qui enlevait du pain sur le territoire de cette ville consacrée par le tombeau de saint Martin : « Où est, dit-il, l’espoir de la victoire, si nous offensons saint Martin ? »

Les deux sœurs de Clovis, Alboflède et Lantahilde, ainsi que trois mille hommes, reçurent également le baptême, à l’exemple du roi. La France était chrétienne, et désormais elle possédait le principe énergique qui devait tant contribuer à sa grandeur et aux progrès de sa civilisation. Ce n’est pas, il faut l’ajouter, que tout d’abord la religion qu’ils avaient adoptée ait changé les mœurs des Francs ; ils étaient chrétiens, mais ils étaient encore barbares.

Après son baptême, Clovis ne fut guère moins implacable dans ses vengeances, ni moins dissimulé dans sa politique, ses soldats ne furent pas moins cruels dans les combats ; mais lentement les préceptes de la foi nouvelle pénétrèrent dans les âmes, modifièrent les esprits, et amenèrent après bien des siècles, dans les pensées et dans les habitudes, cette complète révolution qui a produit la société moderne.

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