LA FRANCE PITTORESQUE
21 novembre 1671 : première représentation
de Bérénice, tragédie de Racine
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Publié le mercredi 21 novembre 2012, par Redaction
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Quelques gens de goût ont regardé cette pièce moins comme une tragédie, que comme une pastorale héroïque. Elle est conduite avec art ; les sentiments en sont nobles et délicats ; la versification en est élégante et harmonieuse ; mais elle manque de ce sublime et de ce terrible, les deux grands ressorts de la tragédie. On a moins trouvé dans Titus un héros romain, qu’un courtisan de Versailles. Tout roule sur ces trois mots de Suétone : Invitas, invitam dimisit. Titus renvoya Bérénice malgré lui et malgré elle.

Jean Racine

Jean Racine

La belle Mancini, nièce du cardinal Mazarin, que Louis XIV aima d’abord, au point d’être tenté de l’épouser, avait dit à ce prince, au moment de leur douloureuse séparation : Vous m’aimez, vous êtes roi, vous pleurez, et je pars.

Louis XIV dut être sensiblement flatté, en retrouvant ces quatre mots si touchants dans la bouche de Bérénice :

Vous êtes empereur, seigneur, et vous pleurez !
...Vous m’aimez, vous me le soutenez,
Et cependant je pars...

Mais, comme l’a remarqué judicieusement Voltaire, Mancini s’exprime avec plus de précision et de sentiment. La première fois que cette pièce fut jouée à la cour, tous les yeux se portèrent sur Louis XIV au moment où Bérénice dit, en parlant de Titus :

En quelque obscurité que le sort l’eût fait naître,
Le monde en le voyant eût reconnu son maître.

Louis XIV, dont le discernement était si juste, apercevant, au sortir de la pièce, son premier médecin, Dodart, lui dit en riant : « J’ai été sur le point de vous envoyer chercher pour une princesse qui voulait mourir sans savoir comment. » Ce fut Henriette d’Angleterre (femme de Monsieur, frère du roi) qui engagea Racine à traiter le sujet de Bérénice. Elle fit en même temps inviter Corneille, par le marquis de Dangeau, à travailler sur le même sujet. Elle avait en vue, non seulement la rupture du roi avec Mancini, et le frein qu’elle-même avait mis à son penchant pour Louis XIV, mais elle voulait encore se donner le plaisir de voir lutter deux illustres rivaux. Corneille se laissa imprudemment engager dans ce combat inégal, oubliant le sage précepte d’Horace :

Solve senescentem mature sanus equum, ne
Peccet ad extremum ridendus, et ilia ducat.

Bérénice, dit Fontenelle, fut un duel, et la victoire resta au plus jeune. Longtemps après que cette pièce eut paru, le grand Condé , à qui on en demandait son avis, répondit par ces deux vers que Titus dit au sujet de Bérénice :

Depuis cinq ans entier chaque jour je la vois,
Et crois toujours la voir pour la première fois.

J, J. Rousseau, dans sa Lettre sur les Spectacles, a parfaitement jugé Bérénice. L’endroit est fort beau, et finit ainsi : « La reine part sans le congé du parterre. L’empereur la renvoie invitus invitam ; on peut ajouter, invito spectatore. Titus a beau rester Romain, il est seul de son parti ; tous les spectateurs ont épousé Bérénice. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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