LA FRANCE PITTORESQUE
Inoculation d’émotions
grâce au parfum des fleurs ?
(D’après « Le Petit méridional », paru en 1898)
Publié le mercredi 1er février 2023, par Redaction
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Un chroniqueur du Petit méridional nous parle en 1898 des travaux d’un savant ayant entrepris de populariser l’inoculation de parfums tirés des fleurs et censés procurer des émotions variées à quiconque accepte de s’y soumettre
 

Plus la science progresse, écrit-il, plus on remarque qu’elle tend à confirmer une foule de traditions et de croyances populaires, restes obscurcis ou déformés de connaissances anciennes tombées dans l’oubli. Ce n’est pas qu’il faille conclure que toutes les superstitions aient un fond de vérité, mais du moins est-il nécessaire de rester dans le doute scientifique en face de beaucoup de problèmes qu’on eût autrefois écartés un peu dédaigneusement.

En réalisant expérimentalement l’inoculation des maladies, la science a jeté une vive lumière sur beaucoup de phénomène mal connus ou mal interprétés. Voici maintenant qu’un chimiste à l’âme poétique et tendre prétend avoir trouvé le moyen de procurer des émotions variées à quiconque voudra se prêter à l’inoculation de parfums tirés des fleurs. L’idée peut paraître un peu extravagante au premier abord ; aussi n’a-t-elle pas manqué de soulever de faciles plaisanteries.

Il est à noter que les rieurs les plus déterminés admettent fort bien que la santé d’une mère peut retentir très directement sur l’état de l’enfant qu’elle allaite. Mais, d’autre part, ils ne manquent pas de s’élever très vigoureusement contre ce préjugé campagnard que les enfants élevés au lait de chèvre sont d’un tempérament plus vif, plus nerveux et plus irritable que ceux soumis au régime ordinaire. Explique qui pourra de semblables contradictions.

Quoi qu’il en soit, le savant continue ses recherches avec obstination et ses expériences lui auraient donné, paraît-il, des résultats probants. De sorte que, selon lui, le géranium donnerait le goût des voyages, l’esprit d’aventures ; le lis prédisposerait à l’obstination et la campanule au bavardage. L’ylang-ylang donne des idées folâtres, tandis que la rose porte à l’avarice et la violette à la dévotion. Désirez-vous un état d’âme bucolique, des sensations de campagne verdoyante et grasse, adressez-vous à la jacinthe ; voulez-vous être aimable, il ne vous faut qu’une petite injection au musc. Ceux qui manquent d’idées artistiques se compléteront avec du chiendent ; quant à l’ambre, il confère tout simplement le génie.

L’extrait de muguet déterminerait chez ceux qui en font usage une sorte d’ivresse joyeuse. Le sujet, comme hors de lui, plein d’une gaieté exubérante et communicative se montrerait très disposé à voir la vie en rose. Au contraire, la jusquiame développerait des idées sombres et tragiques. Le sens de l’élégance, le goût de la beauté sont invinciblement attachés au parfum du chèvrefeuille, mais l’azalée, moins bien partagée, ne saurait communiquer que de la sècheresse de cœur.

Il est assez remarquable que tandis que certaines de ces affirmations corroborent très exactement la signification symbolique attachée à certaines plantes depuis les temps historiques, d’autres s’en écartent absolument. C’est ainsi que le trèfle, regardé partout comme un porte-bonheur assuré, est dépossédé par notre chimiste de toutes ses vertus. Il développerait l’humeur acariâtre, et loin de devenir un talisman, il placerait sous la plus désastreuse influence les personnes assez imprudentes pour en faire usage.

Ajoutera foi qui voudra à ces affirmations catégoriques. En ces matières, rien ne vaut l’expérience personnelle. Que ceux de nos lecteurs qui ont la foi se soumettent donc à la petite expérience : ils seront fixés tout de suite sur la sagacité du savant chimiste. Encore faut-il choisir judicieusement son parfum. Car quelles conclusions fondées pourrait-on tirer après une injection de roses à Harpagon ou du campanule aux neuf bons neuf dixièmes du sexe faible ? conclut notre chroniqueur.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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