LA FRANCE PITTORESQUE
Déclaration de guerre
aux qui et que
(D’après « Nouvelles récréations littéraires et historiques », paru en 1921)
Publié le lundi 27 mars 2023, par Redaction
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Un historien et critique d’art, nouvelliste à l’occasion, Henry de Chennevières, se créa au XIXe siècle la spécialité de ne jamais employer les qui, les que, lequel, dont, et autres pronoms relatifs qui n’effrayaient pas Brunetière, au contraire
 

Il leur déclare une « guerre à mort ». « La mort des qui et des que, Déclaration de guerre », c’est le titre de la préface de ses « Contes sans qui ni que » (1886). Ainsi qu’il le dit dans une note de cette préface, il avait déjà publié à cette époque quatre in-folio « désinfectés » de qui et consacrés aux Dessins du Louvre. D’autres volumes du même auteur parus depuis, comme Les Tiepolo (1898), présentent également cette particularité, de ne contenir ni qui ni que.

Antérieurement, en 1883, lors de la publication de ses Dessins du Louvre, le journal Le Voltaire ayant relevé, comme curiosité littéraire, cette absence de pronoms relatifs, Henry de Chennevières adressa à ce journal une lettre où, comme dans la susdite préface, il expose les motifs – plus imaginaires que réels : alourdissement de la phrase, discordance de sons, etc., – de son aversion pour les qui et les que :

« J’ai, écrit-il, juré haine aux qui et aux que, ces lourds conjonctifs de la syntaxe. Cette guerre à toute outrance contre de paisibles pronoms trouble l’économie de la langue et le mécanisme ordinaire des phrases ; mais elle éclaircit la pensée, elle allège la période, elle suspend les longueurs. Depuis quatre siècles, l’horrible qui tyrannise les lettres françaises, il infeste les meilleurs écrivains... Le qu’il mourût du vieux Corneille ne me persuade pas... », etc.

Cet éloquent cri du cœur, tout précédé qu’il est d’un que, ce superbe qu’il mourût de Corneille, était bien fait cependant pour convaincre Henry de Chennevières de l’inanité de sa campagne. La lutte n’était pas nouvelle, d’ailleurs ; elle a eu, sinon contre les qui et les que, plus d’un précédent ; et, à diverses époques d’autres mots de notre langue ont été pareillement en butte à des tentatives d’ostracisme.

« Que ferons-nous, messieurs, de car et de pourquoi ? » demande le poète et romancier Gomberville (1600-1674) dans la comédie Les Académiciens de Saint-Évremond (Œuvres choisies de Saint-Évremond). Dans ses Femmes savantes, Molière parle aussi des « proscriptions de tous ces mots divers, dont nous voulons purger et la prose et les vers. »

Et ce projet, « dont Saint-Évremond et Ménage s’étaient déjà moqués, ce ridicule projet de bannir de la langue les mots les plus utiles, comme car, encore, néanmoins, pourquoi, etc., plusieurs académiciens l’avaient conçu » (Note des Œuvres complètes de Molière, édition variorum Charles Louandre, t. III). Car surtout a subi, au dix-septième siècle, de terribles assauts et, selon la remarque de La Bruyère (Les Caractères, De quelques usages), « s’il n’eût trouvé de la protection parmi les gens polis, n’était-il pas banni honteusement d’une langue à qui il a rendu de si longs services, sans qu’on sût quel mot lui substituer ? »

La lettre de Vincent Voiture à Mlle de Rambouillet, relative à la conjonction car, et où il prévoit qu’après l’exclusion de ce petit mot, on tentera de vouer d’autres termes au même sort, est demeurée célèbre dans notre histoire littéraire : « Je ne sais pour quel intérêt ils (ces puristes) tâchent d’ôter à Car ce qui lui appartient pour le donner à Pour ce que, ni pourquoi ils veulent dire avec trois mots ce qu’ils peuvent dire avec trois lettres. Ce qui est le plus à craindre, mademoiselle, c’est qu’après cette injustice on en entreprendra d’autres ; on ne fera point de difficulté d’attaquer Mais, et je ne sais si Si demeurera en sûreté : de sorte qu’après nous avoir ôté toutes les paroles qui lient les autres, les beaux esprits nous voudront réduire au langage des anges, ou, si cela ne se peut, ils nous obligeront au moins à ne parler que par signes. » (Vincent Voiture, Lettres, t. I)

Dans le numéro du 17 janvier 1920 du journal La Renaissance, Théodore Reinach avertit que « notre vocabulaire est si pauvre déjà qu’il n’y a pas lieu de l’appauvrir davantage ».

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