LA FRANCE PITTORESQUE
18 octobre 1817 : mort du compositeur
Étienne-Nicolas Méhul
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Publié le vendredi 18 octobre 2024, par Redaction
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Méhul naquit à Givet le 22 juin 1763 : dès son enfance il se passionna pour la musique. Il avait à peine dix ans quand on lui confia l’orgue des Récollets de Charlemont ; à douze, il fut organiste adjoint de la riche abbaye de la Valledieu. Arrivé à Paris, en 1779, Gluck prit de l’amitié pour lui et l’initia aux mystères de son art. Après le départ de son protecteur pour Vienne, Méhul présenta vainement à l’Opéra sa partition de Cora et Alonzo ; mais il fut plus heureux à l’Opéra-Comique ; et quand il y eut obtenu un brillant succès avec Euphrosine et Coradin, messieurs de l’Académie royale de musique se ravisèrent et représentèrent l’ouvrage qu’ils avaient d’abord repoussé.

Depuis ce temps, Méhul a constamment obtenu des succès sur le théâtre de l’Opéra-Comique, auquel il resta fidèle. Nous y avons vu applaudir tour à tour et longtemps une Folie, Stratonice, Uthal, Joseph, La journée aux aventures, et enfin l’lrato, composé pour mystifier les prôneurs exclusifs de la musique italienne. Valentine de Milan fut représentée après la mort de Méhul ; il y a des morceaux sublimes dans cette partition. Le style de Méhul est surtout remarquable par la force de l’expression dramatique et des accompagnements écrits avec beaucoup de soin et de science.

Etienne Méhul, par Antoine-Jean Gros
Étienne Méhul, par Antoine-Jean Gros

Méhul avait de l’esprit, un caractère doux, affectueux, un bon ton, de bonnes manières ; il fuyait le grand monde, mais se plaisait dans l’intimité d’une petite société, où il contait volontiers et à demi-voix. Il était amusant et souriait lui-même en disant qu’un jour les habitants de sa petite ville voulurent fêter son vieux père, et représentèrent devant lui une Folie avec le dialogue seulement et sans une note de musique. Et le vieillard, les larmes aux yeux, s’écriait : Ah ! que mon fils a de talent !

Voici une anecdote plaisante de la jeunesse d’Étienne-Nicolas Méhul, où nous allons le laisser parler lui-même. « J’arrivais à Paris ne possédant rien que mes seize ans, ma vielle et l’espérance. J’avais une lettre de recommandation pour Gluck ; c’était mon trésor : voir Gluck, l’entendre, lui parler, tel était mon unique désir en entrant dans la capitale, et cette idée me faisait tressaillir de joie. En sonnant à sa porte je respirais à peine. Sa femme m’ouvrit et me dit que M. Gluck était en travail et qu’elle ne pouvait le déranger. Mon désappointement donna sans doute à mes traits un air chagrin qui toucha la bonne dame : elle s’informa du sujet de ma visite : la lettre, dont j’étais porteur, venait d’un ami : je me rassurai, parlai avec feu de mon admiration pour les ouvrages de son mari, du bonheur que j’aurais en apercevant seulement le grand homme, et Mme Gluck s’attendrit tout à fait.

« En souriant, elle me proposa de voir travailler son mari, mais sans lui parler, sans faire aucun bruit. Alors elle me conduisit à la porte d’un cabinet d’où s’échappaient les sons d’un clavecin sur lequel Gluck tapait de toutes ses forces. Le cabinet s’ouvrit donc et se referma sans que l’illustre artiste se doutât qu’un profane approchait du sanctuaire, et me voilà derrière un paravent heureusement percé par-ci par-là, pour que mon œil pût se régaler du moindre mouvement, de la plus petite grimace de mon Orphée. Sa tête était couverte d’un bonnet de velours noir à la mode allemande ; il était en pantoufles ; ses bas étaient négligemment tirés par un caleçon, et pour tout autre vêtement il avait une sorte de camisole d’indienne à grands ramages qui descendait à peine à la ceinture, et qui assurément était un pet-en-l’air de sa femme.

« Sous ces accoutrements, je le trouvai superbe. Toute la pompe de la toilette de Louis XIV ne m’aurait pas émerveillé comme le négligé de Gluck. Tout à coup je le vois bondir de son siège, saisir des chaises, des fauteuils, les ranger autour de la chambre en guise de coulisses, retourner à son instrument et prendre le ton, et voilà mon homme, tenant de chaque main un coin de sa camisole, fredonnant un air de ballet, faisant la révérence comme une jeune danseuse, des glissades autour de ses chaises, des tricotets et des entrechats, et figurant enfin les poses, les passes, et toutes les allures mignardes d’une nymphe de l’Opéra. Ensuite il lui prit sans doute envie de faire manœuvrer le corps du ballet, car, l’espace lui manquant, il voulut agrandir son théâtre, et, à cet effet, il donna un grand coup de poing à la première feuille du paravent qui se replia brusquement, et je fus à découvert.

« Après une explication et d’autres visites, Gluck m’honora de sa protection et de son amitié. Il allait faire représenter Iphigénie en Tauride, et il me fit entrer à la dernière répétition générale. Quand elle fut terminée, j’étais dans l’ivresse ; mais je songeais à la représentation du lendemain ; je n’avais point d’argent à consacrer à mes plaisirs ; une idée folle et que je trouvai admirable vint soudain s’emparer de moi ; on éteignait les chandelles, et, l’obscurité me secondant, je grimpai plusieurs banquettes et je me nichai dans une petite loge du paradis, où je passai la nuit, et où je voulais encore passer la journée du lendemain pour me régaler d’Iphigénie, sans qu’il m’en coûtât une obole. Je dormis ; mais le froid me réveilla.

« Onze heures du matin sonnèrent, et, peu à peu, j’aperçus, de ma cachette, quelques fantômes blancs qui glissaient sur le théâtre, comme des ombres aux Champs-Elysées ; mais à leurs pirouettes, je reconnus des danseuses qui venaient dès le matin faire des battements et s’exercer dans l’art chorégraphique. Cependant j’étais glacé, brisé, l’estomac totalement vide, et prêt enfin à me trouver mal. Je ne savais quel parti prendre, quand, le théâtre se peuplant davantage, je reconnus Vestris, regardant les pieds des danseuses, et arpentant les planches, comme un Soliman les jardins de son harem. Oh ! ma foi, je n’y tins plus : je connaissais Vestris, je l’avais vu chez Gluck, je sortis de mon gîte, descendis l’escalier, traversai le parterre, me glissai le long de la rampe, et, debout et tremblant sur le siège du chef d’orchestre, je tendis les bras à Vestris, en l’appelant d’une voix lamentable.

« Les danseuses poussèrent un cri : mes cheveux frisés et poudrés de la veille étaient dans le plus grand désordre et avaient chargé de poudre et de pommade mon modeste habit noir, costume alors de rigueur pour qui n’avait pas un sou, sans compter la poussière des banquettes dont j’étais couvert, et la pâleur de mon visage ; j’étais enfin plus effrayant qu’un diable du pays. Cependant je rassemblai un reste de forces pour raconter mon aventure : un éclat de rire général succéda au cri de frayeur. Vestris me fit porter du chocolat ; il rendit compte à ses camarades de l’intrépidité avec laquelle j’avais affronté le froid et la faim pour jouir de leurs talents : on en fit un rapport à M. le premier gentilhomme de la chambre, et on jugea que ma passion pour le théâtre méritait les entrées grandes et petites. La réception de la lettre qui me les octroya a été, je crois, le plus vif plaisir de ma vie. »

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