LA FRANCE PITTORESQUE
Comment il prit fantaisie au diable
de tenter une jeune fiancée
dans une forêt lorraine
(D’après « Revue d’Austrasie », paru en 1841)
Publié le lundi 20 mars 2017, par Redaction
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Le diable qui tente une jeune fille : ce n’est point là, dira-t-on, chose nouvelle et digne de remarque ; messire Satan se montre effectivement très coutumier du fait, et, sans nul doute, le succès de ses tentatives l’engage à recommencer. Il n’est un de ces petits cœurs si palpitants et si craintifs qui ne soit le but de quelque piège, et si l’on a dit qu’il n’est de fille sans amoureux, on pourrait bien ajouter que le plus souvent le malin se met en tiers et voyage de compagnie...
 

Nous ne voulons donc rien conter de bien nouveau, mais dire seulement certaine histoire qui court depuis longtemps dans le pays lorrain. Or ceux qui s’en vont à pied de la ville de Metz à celle de Nancy, n’ont qu’à compter bien exactement dix mille pas, en prenant garde d’eu ajouter ou d’en omettre un seul, puis tourner, à gauche, durant un demi-mille, prendre le premier sentier à droite et le suivre jusqu’à la lisière d’un petit bois, ils verront devant eux une petite croix de pierre. S’ils ont quelques minutes à perdre, ils peuvent s’asseoir au pied de la croix et lire jusqu’au bout la présente histoire, car ils seront au lieu même où elle s’est passée ; s’il leur vient quelque doute, qu’ils interrogent le premier villageois des champs voisins, et ils entendront une seconde fois ce bienheureux récit.

C’était un soir : une jeune fille cheminait seulette le long d’un sentier ; ses petits pieds se hâtaient de toute leur force sur le joli tapis de mousse déjà tout humide de brume. Les clochettes du village semblaient rappeler à la veillée maternelle la fillette attardée, et le soleil, dont les derniers rayons empourpraient le couchant, l’avertissait de cette heure périlleuse où l’honneur des filles se met en bien grands risques quand il court les champs. Tout cela était bel et bon mais Louise avait seize ans ; et à cet âge les idées changent de cours avec une merveilleuse facilité. Une belle touffe de bluets se penchait sur le chemin ; mais un vrai buisson de fleurs, si azurées, si diaphanes, qu’on eût dit de petites étoiles découpées dans la voûte même du ciel.

La tentation était trop forte et l’occasion trop belle ; Louise s’arrêta et se mit à cueillir des bluets. Il y a entre les jeunes filles et les fleurs une mystérieuse attraction qui pourrait bien venir d’une coquetterie mutuelle, car si les fleurs parent les jeunes filles, les jeunes filles embellissent les fleurs ; mais les bluets surtout jouent un grand rôle dans l’histoire des jeunes filles. On ne peut le nier, rien n’est plus chanceux ni plus traître ; on ferait des volumes de roman avec des aventures de bluets. Joignez à cela que Louise était blonde, et vous comprendrez qu’elle ne dut quitter la gerbe qu’après avoir cueilli une couronne tout entière.

Mais le temps avait passé, le soleil avait disparu derrière la colline ; le murmure de la campagne commençait à s’éteindre, les cloches soupiraient leurs derniers tintements, et la pauvre enfant entrevoyait à peine, au loin dans le crépuscule, le clocher du village, plus mince qu’un peuplier de six mois. Elle reprit sa marche avec plus de vitesse qu’auparavant, et commença à sentir battre son cœur un peu plus vite : au milieu de ces champs déjà déserts, l’histoire du cavalier noir lui revenait.

Il est bon qu’on le sache, ce cavalier noir n’était rien autre qu’un personnage fort équivoque et de mauvaise renommée qui passait pour rôder dans la campagne plus volontiers la nuit que le jour, et plus particulièrement vers les sentiers hantés par les fillettes, que de tout autre côté ; or, quand il en trouvait une sur son chemin, il n’y avait guère de chances qu’on la revît, et Dieu sait ce qu’il en pouvait faire.

Louise ne devait donc se trouver rien moins que rassurée ; mais qu’on juge de ce que dut être son effroi quand elle entendit bien distinctement derrière elle le trot d’un cheval qui se rapprochait de plus en plus. D’autres qu’elle eussent tremblé ; c’était bien l’heure, le lieu des apparitions du cavalier noir, c’était même cette allure allongée et qui laissait dire aux paysans que le diable en personne était dans les flancs du cheval, comme dans l’âme du cavalier. Louise avait bien peur, et cependant, voyez un peu ces jeunes filles, elle tourna doucement, bien doucement la tête, hasarda un rapide regard et ferma bien vite les yeux : qu’avait-elle vu ?

C’était bien un cavalier, mais non pas le terrible homme noir dont parlait les villageois, Satan n’est guère si malhabile ; c’eût été un beau moyen vraiment, de tenter une fillette, que cette laide et noire apparence sous laquelle le maudit se fût deviné comme un larron sous la robe d’un procureur. Rien de cela : c’était un gentil page au frais visage, aux beaux habits, monté sur un joli cheval blanc aux fringantes allures ; c’était le seigneur de la contrée, le plus jeune et le plus beau gentilhomme de toute la Lorraine. Nous le répétons : le diable est adroit, on voit bien qu’il est vieux, il connaît plus d’un tour.

Nous devons le dire, du reste, à l’honneur de notre héroïne : à la vue du comte Roger elle ne s’enfuit que plus vite, et pria tout bas sa mère et tous les saints du paradis ; mais que peuvent toutes les oraisons contre le trot d’un bon cheval d’Espagne. Louise vit bientôt qu’il n’y avait guère pour elle de salut dans la fuite ; sans nul doute le seigneur Roger, allait l’atteindre, et que deviendrait-elle, la pauvrette, si, usant de son droit de conquête, et d’après ses allures ordinaires, il la mettait tout bellement en croupe, pour l’emporter bien loin au grand galop de son cheval blanc ?

Louise réunit toutes ses forces et s’arrêta ; hélas ! elle eut tort peut-être, mais mettez-vous bien à sa place, qu’auriez-vous fait ? « Monseigneur, dit-elle de sa voix la plus douce, en joignant ses toutes petites mains blanches, que me voulez-vous ? » Le damoisel, en la voyant s’arrêter, n’eut garde, comme on pense, de rebrousser chemin ; il sembla au contraire fort ravi de ce gentil minois tout éploré, et, sautant lestement en bas de sa monture qui s’en fut paisiblement brouter l’herbe du chemin avec sa belle bride de soie et or pendante à ses pieds, il vint tout droit vers la jolie fille, et lui prenant doucement la main, comme aurait pu faire un véritable page et non comme un traître fantôme qu’il était :

— Cà, dit-il, la belle, il se fait tard et vous êtes seulette ; prenez mon bras, je veux vous reconduire vers ce clocher.

— Mon beau seigneur, dit Louise toute tremblante, si quelqu’un me voyait !

Mais déjà tous deux cheminaient côte à côte, le long de l’étroit sentier, et le cœur de la pauvre enfant battait si fort qu’on eût dit qu’il allait se briser ; et le beau page se penchait vers elle en lui parlant tout bas. La lune, qui venait de se lever derrière les peupliers, répandait une molle clarté sur la prairie, le silence n’était troublé que par le léger froissement de deux pas bien égaux sur la mousse ; puis peu à peu, nous ne savons comment cela se fit, on s’éloigna du sentier qui allait vers le clocher. Louise voyait bien la traîtrise de son compagnon, et elle eût volontiers donné sa petite croix d’or et son ruban de velours pour rentrer dans la bonne voie ; mais que faire ? Ne fallait-il pas se montrer revêche et résister, pour que le terrible cavalier, dans un moment d’humeur, l’emportât en croupe sur son cheval blanc ! Louise pensait d’ailleurs qu’il n’y a pas grand mal à se promener au clair de lune dans les prairies avec un page ; mais il est toujours, comme on va voir, des gens maussades disposés à prendre le mauvais côté des choses les plus simples.

Louise, on le pense bien, avait un amoureux, ou plutôt elle avait, comme toute jolie mie doit avoir, une demi-douzaine de soupirants en première ligne, sans compter l’arrière-ban ; mais l’un de ces soupirants, le plus jeune et le plus beau avait, sur tous les autres, l’avantage d’un mutuel aveu et d’une bonne promesse d’épousailles. Or, le susdit amoureux qu’on nommait Jehan, l’arbalétrier, fort étonné du retard que Louise mettait à rentrer au hameau et craignant quelque aventure, s’en venait à la rencontre de la jolie fille. La nuit était déjà tombée et il avait bien marché un hon quart d’heure, quand il vit, non loin du sentier, un cheval blanc tout harnaché d’or qui paissait dans les hautes herbes.

Ceci lui parut de mauvais augure, car il savait mainte histoire de certain cavalier ; il explora les alentours avec le flair d’un amoureux jaloux et vit bientôt les deux promeneurs. La fureur de maître Jehan fut des plus grandes et, comme il avait l’humeur un peu vive, il fut bien près de se faire justice ; mais il vit luire au côté du comte une si longue épée, et il lui revint à l’esprit tant de terribles faits du cavalier noir, qu’il lui sembla plus sûr de retenir quelque peu sa colère et de gagner le village. Ce qu’il fit, mais non sans jurer bien fort de se venger d’une autre manière.

Las ! il ne tint que trop parole. On avait, dans le hameau, la faiblesse de mal des juger des fillettes qui se promènent au clair de lune avec des pages. Le lendemain, c’était à qui tournerait le dos à la pauvre enfant ; mainte jeune fille se vengeait de sa beauté par ses dédains, maint soupirant reprenait sa revanche. Louise qui voyait sa conscience pure comme l’onde la plus limpide, se désolait fort de tout ceci. Que devint-elle, mon Dieu, quand elle vit Jehan à son tour se détourner à son approche, et comme elle se plaignait de cette froideur, lui répondre durement qu’elle pouvait retourner voir le comte Roger et son beau cheval blanc.

Louise baissa la tête, et toute rouge de honte sortit du village par le premier chemin qui s’offrit à elle ; puis, arrivée hors de la vue des méchants villageois, s’assit au bord d’un chemin, cacha son frais visage dans ses petites mains, et se mit à sanglotet de toutes ses forces. Un homme qui passait fut tout surpris de ce grand désespoir, et, s’arrêtant devant la pauvrette, lui demanda la cause de ses pleurs. Louise écarta doucement ses deux mains, puis voyant que l’inconnu avait l’extérieur vénérable et qu’il semblait la prendre en pitié, elle lui conta toute son histoire.

« N’est-ce que cela ? dit le bonhomme, il ne faut vous désespérer pour si peu ; suivez-moi, et je vous dirai le moyen dont on guérit tous les petits chagrins des jeunes filles. » Et Louise qui avait grande confiance dans l’inconnu, n’hésita guère à le suivre, toute curieuse déjà de savoir ce grand secret qui guérit tous les chagrins des jeunes filles. Mais ne voilà-t-il pas que le reste du jour, le soir, puis la nuit s’écoulèrent sans que Louise reparût au hameau ? Le lendemain ce fut bien une autre affaire : le bruit se répandit que la jeune fille s’était enfuie pour tourner à mal et que le beau comte Roger lui avait donné asile dans sa petite maison. Or, il est bon de dire que la petite maison du comte Roger, cachée dans un lieu bien mystérieux, avait la plus mauvaise réputation possible en ce qui concernait l’honneur des jeunes filles,

On conçoit donc que quand un tel bruit vint aux oreilles de Jehan, sa mauvaise humeur de la veille ne put que s’accroître d’une manière terrible. Il aimait d’ailleurs encore beaucoup sa fiancée quoiqu’il en dît, et l’amour-propre se joignant à sa jalousie, il jeta feu et flamme, blasphéma comme un païen et jura qu’il irait chercher Louise, fût-elle chez le diable lui-même. L’embarras était de découvrir la petite maison du comte, que celui-ci avait su jusqu’alors cacher à tous les yeux ; mais il est toujours des gens prompts à lever les obstacles qui entravent une curieuse aventure. On dit à notre amoureux que le comte avait été aperçu le matin même auprès du village, et que lui Jehan n’avait qu’à suivre les traces bien reconnaissables laissées sur l’argile humide par les sabots du cheval blanc, que ces traces aboutiraient infailliblement à la petite maison de monseigneur.

Jelan se composa son maintien le plus redoutable, jura de nouveau en présence de ses amis de faire bonne justice du ravisseur, et se mit en chemin sans plus tarder, suivant les traces du cheval, comme un chasseur suit sur la neige les pas pressés d’un loup ou d’un sanglier. Les choses allèrent bien pendant quelque temps ; maître Jehan, dans toute l’ardeur de son premier courroux, ne prenait conseil que du grand coutelas pendu à son côté, et rêvait force carnage. Il marcha ainsi longtemps, longtemps, et finit par s’étonner de la durée de son voyage : ces malheureuses empreintes continuaient leur ligue interminable et rien n’annonçait l’approche d’un logis seigneurial. Notre homme continuait cependant sa route avec courage ; vers la fin du jour, il vit les traces du cheval aboutir à la lisière d’un petit bois : c’était celui-là même dont nous avons parlé au commencement de ce récit.

Maître Jehan avait dans le pays une réputation de bravoure assez bien établie ; cependant la vue de ce bois parut produire sur lui une impression fâcheuse : il s’arrêta court, fronça les sourcils, puis se prit à se gratter le front d’un air pensif : c’était mauvais signe. En effet, notre homme commença bientôt à rétrograder, fit un demi-tour et s’en revint franchement sur ses pas d’un air assez piteux. Ayant ralenti sa marche à dessein, il n’arriva au village qu’à la nuit close, et au lieu de rentrer chez lui s’en alla droit au logis de monsieur le curé.

Ce dernier parut fort surpris, de telles visites n’étant sans doute pas dans les habitudes de maître Jehan ; mais il le devint bien davantage encore, quand le visiteur nocturne lui eut appris le but de sa venue et la nature du service qu’il attendait de lui. Après avoir mis le saint homme au fait de sa mésaventure maritale, le bon arbalétrier raconta tout au long sa tentative héroïque, et la certitude qu’il venait d’obtenir de l’identité du logis, de la personne et du cheval du prétendu comte Roger, avec le logis, la personne et le cheval du terrible cavalier noir, l’effroi de la contrée.

Il ajouta que son ennemi paraissant appartenir de très près à Satan, et ne pouvant être prudemment combattu avec les armes temporelles, il était préférable que M. le curé allât lui-même le combattre avec le redoutable arsenal des exorcismes et des oraisons. Sur quoi le saint homme n’ayant pas élevé la moindre objection, car il n’était pas fâché, du reste, de pouvoir enregistrer sur ses états de services quelqu’une de ces pieuses victoires toujours profitables au salut, la partie fut résolue pour le lendemain au point du jour.

Les deux confédérés se mirent effectivement en route à l’heure convenue, suivirent les pas du cheval, et arrivés à la lisière du bois, se séparèrent prudemment. Jehan demeura à faire faction en dehors, et le saint homme pénétra bravement dans le fourré, répétant avec une certaine émotion les plus redoutables formules d’exorcisme, et tenant la main droite appuyée sur son goupillon, comme un bon soldat fait pour son sabre quand il s’attend à être attaqué de minute en minute.

Du reste, rien de terrible ne se présentait encore. Il était naturel de supposer, et tout homme de sens en eût fait autant à la place du curé, que le centre de ce bois servant de gîte à l’un des suppôts de Satan, grand mangeur de jeunes filles, à mesure qu’on avancerait les allées se rétréciraient, s’obstrueraient de houx, de sapins, et deviendraient de plus en plus noires avec d’affreux cris de chouettes et de hiboux. Eh bien ! grande eût été cette erreur ; à mesure que l’honnête curé avançait, de belles allées sablées, alignées au cordeau, s’ouvraient devant lui ; puis c’étaient de vastes clairières toutes couvertes de fleurs et montrant des échappées de ciel bleu, des saules penchés sur des ruisseaux, des gerbes de plantes odorantes enroulées au tronc des arbres, et un charmant charivari exécuté à grand renfort de gosier par des myriades d’oiseaux. Le brave homme allait toujours, cherchant avec un mélange d’impatience et d’effroi les cryptes et les cavernes auxquelles il s’était attendu ; il avait hâte surtout de se trouver face à face avec l’effroyable géhenne où la jeune fille devait être détenue pour la perte de son corps et de son âme.

Cependant le petit ruisseau s’élargit peu à peu en une sorte de bassin creusé dans un roc dur et poli comme le granit, sur lequel une voûte de branches de saules projetait une obscurité si douce, si fraîche, que jamais rêve d’opium n’en fit voir une semblable au malheureux arabe dévoré par le soleil du désert. Peu à peu les yeux du saint homme s’accoutumant à cette pénombre, il put distinguer sur l’onde marmoréenne une sorte de bateau de fleurs, une île flottante tissée avec des roses, au milieu de laquelle, comme un alcyon dans son nid, une femme était demi-couchée.

Satanas, Satanas, voilà bien un de tes tours ; que pouvait le goupillon du pauvre prêtre contre de tels ennemis. Cependant, à la vue du messager de Jehan, Louise, car c’était elle, se mit a fondre en larmes, et, à bien faire la dolente et à s’agenouiller, les yeux levés au ciel comme une personne en grande affliction. « Çà, mon enfant, disait le vieillard tout ému, il ne faut point tant gémir ni répandre de larmes, je viens vous chercher et vos maux sont finis. »

Mais Louise ne semblait point l’entendre, car elle continuait de pleurer et de crier :

— Jésus Seigneur que je suis malheureuse ! si vous ne me venez en aide, il me faut mourir.

— Ne tremblez plus, ma fille, reprenait le vieux prêtre ; s’il a pour lui tous les pouvoirs des méchants, le Seigneur va nous prêter son aide ; ne pouvez-vous me suivre, et rejoindre Jehan, votre fiancé ?

— Ah que ne le puis-je, ainsi que vous le dites, et maudites soient alors ces vaines parures ! disait-elle en feignant de briser un beau collier de diamants qui ruisselait à son cou.

— Venez çà, disait le prêtre, fuyons ; qui attendez-vous ? Je ne vois d’autres chaînes à ce batelet, que ces cordons de soie qui l’attachent au rivage.

— Hélas ! mon père, dit Louise avec un redoublement de larmes et de lamentations, plus d’espoir. Ne vous abusez à ce sujet ; il n’est prisonnier, dans sa prison de pierre, qui soit plus durement captif que moi entre ces fleurs et ces joyaux. Allez, car je ne puis vous suivre, et dites à Jehan que tantôt je vais mourir, tant je suis malheureuse, et tant j’ai conservé mon pur amour pour lui, au milieu de mes maux.

Et le bon curé fut si attendri qu’il se prit à pleurer quelque peu à son tour, et, sans plus tarder, donna sa bénédiction à la pauvrette qui la reçut humblement, et s’éloigna tout attristé. Comme il approchait de la lisière du bois, il aperçut Jehan qui l’attendait. Il vint le plus vite qu’il put vers le pauvre fiancé et lui conta son aventure ; mais Jehan qui sans être bien rusé, se piquait néanmoins de l’être un peu plus que son curé, vit tout de suite la duplicité de Louise et sa complicité avec le beau comte ; si bien qu’il entra dans une terrible colère, en face de laquelle le vieillard jugea prudent de prendre la fuite.

Et Jehan, demeuré seul, se prit à chercher des moyens de vengeance, et ne pouvant en trouver contre le comte qui était trop puissant, ni contre Louise placée sous une protection trop redoutable, il fit ce que bien d’autres ont fait avant et après lui : il appela le diable à son secours, ce bon diable toujours si disposé, dans ce temps-là, à aider au dénouement des aventures ; et messire Satan s’étant empressé de se rendre à son appel, Jehan lui offrit de lui donner son âme, s’il promettait de si bien tourmenter à l’avenir toutes les jeunes filles du pays qu’il n’y eût plus désormais, à dix lieues à la ronde, d’amoureux dont le sort ne fût aussi chanceux que le sien ; ce que Satan accepta avec la plus grande joie, tous les avantages du marché étant pour lui ; et quelques-uns prétendent qu’il a tenu parole, et qu’il ne faut chercher ailleurs pourquoi les jeunes filles de la Lorraine ont si souvent à se plaindre de ses traîtrises.

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