LA FRANCE PITTORESQUE
4 septembre 1759 : mort de l’historien
Paul-François Velly
(D’après « Biographie universelle, ancienne et moderne » (Tome 48), paru en 1827)
Publié le samedi 4 septembre 2021, par Redaction
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Débutant fort tard sa carrière littéraire, l’abbé Velly s’illustra principalement par son Histoire de France, à une époque où on ne lisait plus de relations de ce type rédigées avant le milieu du siècle précédent : si la clarté, la douceur et l’élégance de sa diction rendirent notre histoire plus lisible, son récit, honnête, comporte cependant des omissions et erreurs que ses adversaires n’ont pas manqué de souligner en termes parfois peu amènes
 

Paul-François Velly naquit à Crugny, près de Reims, le 9 avril 1709. Son père, François, avait exercé plusieurs professions ; on l’avait vu tour à tour ou à la fois médecin, chirurgien, apothicaire, notaire, huissier et bailli, cumulant certaines fonctions ainsi que l’atteste son épitaphe : « Ici repose en paix le corps de François, maire de la justice de Crugny et autres lieux, notaire royal, chirurgien et père de l’historien de ce nom, décédé le 24 mars 1761, âgé de 85 ans. »

Le jeune Velly fit ses études au collège de Reims, que tenaient les Jésuites, et entra dans leur société, en octobre 1726. On ignore en quelles villes ils l’envoyèrent remplir les fonctions de professeur ; mais on sait qu’en décembre 1740 il quitta leur compagnie, non sans conserver cependant des relations avec plusieurs d’entre eux. Il fut même, quand il revint à Paris en 1741, employé dans leur collège de Louis-le-Grand , en qualité # précepteur.

Premier tome de l'édition originale de l'Histoire de France de Paul-François Velly, paru en 1755

Premier tome de l’édition originale de l’Histoire de France de Paul-François Velly, paru en 1755

Pour se délasser de ce service, et se mettre en état de s’en affranchir un jour, il se livrait à des études sérieuses, et se préparait à prendre place parmi les écrivains. Il ne débuta pourtant dans cette carrière qu’en 1753, par la traduction d’un opuscule satirique de Swift, sur la guerre terminée en 1713 par le traité d’Utrecht. Les Jésuites s’empressèrent d’annoncer cette version dans leurs Mémoires de Trévoux (décembre 1753), en louèrent excessivement le style, et déclarèrent que le traducteur était capable de quelque chose de mieux.

En effet, l’abbé Velly avait entrepris un bien plus grand ouvrage. On ne lisait presque plus les histoires générales de la France rédigées avant le milieu du XVIIe siècle. On s’apercevait même que Mézeray s’était souvent dispensé de remonter aux sources de nos anciennes annales, et on pouvait le regretter d’autant plus, qu’il eût été fort capable d’y puiser avec clairvoyance et discernement. Daniel, tant prôné en 1713, n’avait déjà plus qu’un petit nombre de lecteurs : Longuerue et Voltaire avaient signalé ses erreurs, accusé sa partialité ; on se plaignait encore plus de la négligence de sa diction, de la monotonie de son style ; et ces défauts choquaient ou rebutaient à tel point, qu’on ne lui tenait point assez compte des recherches laborieuses par lesquelles il avait, l’un des premiers, porté quelque lumière dans l’histoire si ténébreuse de la dynastie mérovingienne.

Les matériaux d’un corps d’Annales, plus complet et plus exact, venaient d’être fournis par dom Martin Bouquet (1685-1754) — moine bénédictin à l’abbaye de Saint-Maur et bibliothécaire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés — dans huit volumes du recueil de relations et de pièces originales (Rerum gallicarum et francicarum scriptores, Recueil des historiens des Gaules et de la France), imprimé de 1738 à 1752. On dut croire que Velly avait exploité une mine si féconde, lorsqu’on le vit mettre au jour les deux premiers tomes d’une nouvelle Histoire de France, en 1755, l’année même où une seconde édition de celle de Daniel, augmentée par Griffet, commençait à paraître : au sein de ce récit qui lui assigna un rang distingué parmi nos historiens, il se proposait de remarquer les commencements de certains usages, les vraies sources et les divers fondements du droit public, l’origine des grandes dignités, l’institution des parlements, des universités, des ordres religieux ou militaires, enfin, les découvertes utiles à la société.

Cependant tous les règnes mérovingiens tenaient, avec ceux de Pepin et de Charlemagne, dans le premier tome de Velly, et le second finissait à l’an 1108, époque de la mort de Philippe Ier, quatrième roi capétien. C’était beaucoup de rapidité : ces deux volumes essuyèrent des critiques, auxquelles l’auteur répondit dans la préface du troisième, où l’histoire est continuée jusqu’à la mort de Philippe II Auguste, en 1223. Les trois suivants ont pour matière les règnes de Louis VIII, Saint-Louis, Philippe III et Philippe IV le Bel.

L’auteur travaillait au huitième, il en avait rédigé les 226 premières pages, quand il mourut d’un coup de sang, le 4 septembre 1759, âgé de cinquante ans. Il avait négligé le régime et les précautions que lui conseillaient ses amis, avertis par l’extrême rougeur de son visage des périls dont son tempérament le menaçait. Sa gaieté naturelle les lui dissimulait ; et son ardeur pour le travail l’entraînait à les affronter.

Ceux qui le connaissaient le regrettèrent vivement ; car il était sensible à l’amitié, et ses mœurs, aussi pures qu’aimables, commandaient l’estime, en inspirant l’affection. On ne sait pas de quelle fortune il jouissait : on dit seulement que les libraires Desaint et Saillant lui payaient quinze cents francs par volume de son histoire.

L’abbé Lebeuf (Journal de Verdun, 1755 et 1759) releva rigoureusement, et néanmoins sans malveillance, quelques détails inexacts au sein de l’ouvrage de Velly ; des noms de lieux, de personnes, de dignités, mal écrits ou mal expliqués. Lebeuf était peu satisfait du plaidoyer, assez étrange en effet, que l’auteur avait composé en faveur de la reine Brunehaut, et refusait de reconnaître le nom de cette princesse dans celui des anciennes chaussées qui traversent des parties du royaume.

Une critique plus amère et bien moins juste parut sous le titre de Lettre importante ; elle roulait sur de prétendues fautes de chronologie, et sur la qualification de patrice, attribuée à Charlemagne. Les journalistes de Trévoux (décembre 1755), tout en traitant avec de grands égards leur ancien confrère, lui reprochèrent de n’en avoir point assez montré pour le clergé et pour les moines. Sa réponse à ces observations diverses, imprimée à la tête de son tome troisième, est écrite avec humeur ; elle n’est pas d’un très bon goût. Il eût été plus honorable d’avouer naïvement quelques erreurs aussi réelles que légères, et de se défendre avec modération sur d’autres articles très soutenables.

Les expressions dont il s’était servi en parlant de sainte Geneviève et de saint Germain, et l’usage qu’il avait fait, à plusieurs reprises, du mot de destinée, provoquèrent (Jourmal de Verdun, 1763) des réflexions sort sévères, dont l’auteur était l’abbé Jean-André Mignot, grand-chantre d’Auxerre. On se récria ensuite contre ce qu’il disait, dans ses tomes II et IV, sur l’autorité des états-généraux et des parlements.

D’une autre part, le jésuite Claude-Adrien Nonnotte (1711-1793) prétendit qu’il copiait l’Essai sur les mœurs des nations, de Voltaire, et qu’ayant un jour écrit à ce poète, pour savoir à quelle source était puisée certaine anecdote, il en avait reçu cette réponse : « Qu’importe qu’elle soit vraie ou fausse ? Quand on écrit pour amuser le public, faut-il être si scrupuleux ? » La vérité est que Voltaire n’a eu aucune correspondance avec Velly.

Frontispice de l'édition de 1789 de l'Histoire de France avant Clovis ; précédant et faisant partie de l'Histoire de France, commencée par MM. Velly et Villaret, et continuée par M. Garnier, historiographe du roi... par M. Laureau, écuyer, historiographe de monseigneur comte d'Artois

Frontispice de l’édition de 1789 de l’Histoire de France avant Clovis ; précédant et faisant
partie de l’Histoire de France, commencée par MM. Velly et Villaret, et continuée par M. Garnier,
historiographe du roi...
par M. Laureau, écuyer, historiographe de monseigneur comte d’Artois

Celui-ci, d’ailleurs, s’il a quelquefois consulté l’Essai sur les mœurs, était loin d’en adopter aveuglément tous les récits : il contredit, par exemple, celui qui concerne les vêpres Siciliennes — révolte populaires de la Sicile contre la domination du roi de Naples et de Sicile Charles Ier d’Anjou, fils de Louis VIII et de Blanche de Castille — ; et à ce propos, il appelle Voltaire « un peintre inimitable en tout, mais principalement dans les portraits d’imagination », paroles qui ne semblent pas destinées à louer ce grand écrivain comme historien.

De son côté, Voltaire, en avouant qu’il y a des morceaux bien faits dans Velly, trouve qu’en général son style est au-dessous de son sujet, et qu’il n’a point assez profité de l’avantage d’être venu le dernier, et d’avoir à sa disposition plus de matériaux qu’aucun de ses prédécesseurs.

Mais de tous les juges de Velly, le plus intraitable a été Mably, qui n’a pas craint de s’exprimer en ces termes : « Il a voulu prendre une autre route, rendre compte de nos lois et peindre nos mœurs ; mais il a tout confondu par ignorance. Il attribue à la première race [dynastie mérovingienne] des usages qui n’appartiennent visiblement qu’à la troisième : son histoire est un chaos, où tout est jeté, mêlé, confondu sans règle et sans critique ; en un mot, je vois un historien qui s’est mis aux gages d’un libraire, et dont la stérile abondance fait la richesse. » Palissot le trouve au contraire fort éclairé ; mais il renouvelle contre lui les plaintes des rédacteurs du Journal de Trévoux. Un plus savant critique l’a déclaré « superficiel », en lui accordant toutefois de l’esprit et du goût.

Le fond de son ouvrage n’est pas sans mérite, et suppose au moins quelque travail : l’auteur redresse Baillet, critique Rapin Thoyras, et le contredit un peu trop, selon Voltaire ; il corrige Daniel, et donne des conseils à son éditeur Griffet ; il profite des ouvrages modernes, de l’Esprit des lois, de l’Essai sur les mœurs des nations, et surtout des Mémoires de l’académie des inscriptions et belles-lettres : mais on est forcé d’avouer que son érudition et sa critique sont presque toujours d’emprunt : ce n’est pas sans raison que Meusel et d’autres étrangers lui reprochent d’avoir trop négligé les sources. Il y avait plus de parti à tirer de la collection de dom Bouquet.

Paul-François Velly n’avait point fait assez de recherches pour éviter les omissions et les erreurs : faute d’études, il est resté quelquefois plus crédule qu’il n’avait envie de l’être. Mais la droiture de ses intentions, sa véracité, sa franchise, méritent des éloges : il dit toujours ce qu’il croit vrai, n’omet que ce qu’il ignore, et n’altère que ce qu’il sait mal. Ses récits ne sont dominés, déterminés d’avance par aucun système ; et s’il n’a point les avantages de la véritable et profonde science, il n’a pas les travers de la fausse.

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