LA FRANCE PITTORESQUE
Méridien de Greenwich
(Remplacement du) :
question faisant débat en 1907
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1907)
Publié le lundi 6 février 2017, par LA RÉDACTION
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Périodiquement, on agite la question d’unifier le méridien, et cela ne serait pas un mal, surtout pour les navigateurs, peut-on lire en 1907. Mais il y a un hic. Les Anglais veulent conserver le leur, celui de Greenwich, qui retarde de neuf minutes et vingt et une secondes sur le nôtre.
 

Ils ont de bonnes raisons pour y tenir. La majeure partie des cartes employées aujourd’hui dans la marine mondiale, sont des cartes anglaises. De notre côté, nous voudrions que ce fût le méridien de Paris qui eût gain de cause.

Nos raisons ne sont pas moins bonnes. C’est la France qui a innové cette mesure de l’arc du méridien terrestre, c’est l’Académie française qui a envoyé des savants à travers le globe (jusqu’en Laponie) pour établir cette réglementation, et c’est enfin la France qui a dressé les premières et les meilleures cartes, sans compter que ces premiers travaux ont été bien plus coûteux que ceux qui ont suivi, et que, bien entendu, c’est la France qui a payé.

Mais est-il bien politique, à l’heure où beaucoup de nos propres géographes se servent du méridien de Greenwich, et où nous voudrions voir notre système métrique adopté par l’Angleterre, de refuser son méridien ? Nous ne le pensons pas, et ils avaient été bien inspirés, nos députés, lorsqu’en 1897, ils demandaient à ce qu’on adoptât le méridien de nos voisins. Mais c’était, à cette époque, une tare que de faire la moindre concession à l’Angleterre, qui, de son côté, avouons-le, ne nous faisait pas très bonne figure, non plus. D’autant plus que, depuis 1885, le méridien de Greenwich avait été reconnu - par une convention régulière - méridien international.

A cette époque, toujours, la Société astronomique de France avait défendu notre vieux méridien français, avec des avocats comme MM. Janssen et Oppert, de l’Institut ; Capari, ingénieur hydrographe, et d’autres personnages de qualité... scientifique. « La Société astronomique de France, considérant qu’au congrès de Washington, la proposition du méridien de Béring (il devait traverser Venise, Rome et coupait l’Afrique par le milieu), qui avait un caractère éminemment géographique, impersonnel et d’ordre universel, n’a pas été adoptée, ne juge pas à propos d’en adopter un qui n’a, à aucun degré, le caractère auquel la France est toujours restée fidèle dans les réformes dont elle a pris l’initiative... »

Méridienne de Perpignan

Méridienne de Perpignan

Cette bisbille de méridiens est d’autant plus regrettable, qu’en même temps serait résolue la question de l’unification de l’heure. Mais c’est toujours la difficulté pareille qui se dresse dans les unifications, même celle des langues. Quel méridien adopter sans froisser les chauvinismes toujours en éveil ; il y en a plusieurs en usage : celui de l’île de Fer, d’abord, - Ab Jove principium - Cadix, Vienne, Poulkow, Washington, Oudjeïn, Greenwich, Paris, peut-être d’autres que nous ignorons.

Notre seul avantage est que nous pouvons arguer de notre antériorité. Mais encore une fois, cet argument serait-il bien politique ? Vers 1895, on avait proposé, dans la louable intention de mettre tout le monde d’accord, d’adopter le méridien de Jérusalem, de même qu’on demanda d’adopter le latin comme langue universelle. Mais si cette langue rencontre peu d’adversaires, attendu que la majorité du monde intellectuel la parle, le méridien de Jérusalem n’eût contenté que les catholiques. Aussi, fallut-il renoncer à cette fantaisiste proposition.

Le méridien ne date pourtant pas d’aujourd’hui, puisque si nous en croyons nos lectures, le calife Haroun-al-Raschid, le héros des « Mille et une Nuits », eut le premier l’idée de faire mesurer la grandeur exacte de la terre, tentative qui ne réussit pas, puisqu’on croyait la terre beaucoup plus petite qu’elle ne l’était réellement (on ignorait alors l’Amérique et l’Océanie). On remit la question sur le tapis sous Louis XIII et Louis XIV, et c’est alors que brille cette constellation d’astronomes italiens qui forment un des plus beaux fleurons de la science française : les Cassini.

A côté de ces noms illustres, il nous faut inscrire ceux des Méchain, des Delambre, des Legendre qui établirent précisément les différences de longitude entre les méridiens de Paris et de Greenwich, et celui d’Arago, qui, sur la recommandation de Monge, accompagna Biot, collabora en 1806 avec Chaix et Rodriguez à l’achèvement des travaux de mensuration terrestre depuis Dunkerque jusqu’aux îles Baléares. Il nous faut ajouter aussi le nom du capitaine Périer qui, en 1872, redressa une erreur concernant le passage du méridien à Perpignan, et tout récemment, dans les Andes de Quito, les noms de nos compatriotes MM. Lacombe et Maurain.

On voit que la France a toujours tenu la plus large place dans les travaux d’établissement des méridiens, et que nous avons quelque droit vraiment à vouloir que le méridien de Paris soit reconnu comme seul méridien ; mais nous répèterons toujours : « Est-ce bien politique ? Devons-nous montrer la même intransigeance qu’en 1897 ? Sommes-nous comme sous Louis XIII, qui fit remplacer internationalement le méridien de l’île de Fer par celui de Paris le 1er juillet 1634 ; sommes-nous comme sous Louis XIII, le seul peuple scientifique du monde ? » L’humanité a marché depuis.

Peut être aurions-nous dû profiter de la proposition faite par un enseigne de vaisseau, M. Jacotin, qui avait, il y a une dizaine d’années, conseillé aux nations civilisées, d’adopter comme méridien unique et international, le 280° astronomique ; M. Jacotin donnait ses raisons, qui auraient dû paraître très bonnes, ou du moins très sages. Ce 280° méridien était celui dans le plan duquel se trouvait le soleil quand l’homme parut sur la terre, c’est-à-dire le premier jour de l’an 1 de la genèse.

Tout le monde aurait été satisfait, même les chauvinistes ; le difficile était de prouver ce que l’on entendait par l’an 1 de l’humanité ? Était-ce l’apparition de ces grands singes anthropomorphes et pithécanthropes, qui ont fait couler tant d’encre et dont la science veut faire nos grands-pères ? Était-ce aussi ces êtres ni hommes ni singes, qui sont venus sur terre les derniers du règne animal et que les préhistoriens ont classés dans l’humanité ? Or, cette humanité, saluée par le soleil au plan du 280°, est-elle celle de la Bible, et voilée sous le nom d’Adam ? On voit que la question était aussi complexe qu’intéressante, et que ce sont peut-être ces causes qui ont empêché la proposition de M. Jacotin d’être examinée.

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