LA FRANCE PITTORESQUE
« Musique de Chambres » pour adoucir
les moeurs parlementaires ?
(D’après « La Joie de la maison. Journal
hebdomadaire illustré », paru en février 1896)
Publié le mardi 25 février 2014, par Redaction
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On s’accorde à déplorer les mœurs fâcheuses des assemblées délibérantes. L’intérêt général passionne si fort les esprits que les particuliers s’entre-dévorent, peut-on lire en 1896
 

L’épithète dite « parlementaire » est précisément la seule qu’on ignore dans les Parlements. L’Italie, la Belgique, l’Espagne et la France rivalisent à ce petit jeu de massacre législatif.

L’Officiel ne relate pas les interjections amères qui s’envolent des bancs dans les discussions un peu chaudes. Mais il suffit d’avoir assisté à quelque séance à sensation pour être édifié sur l’érudition de nos honorables en matière de langue verte. Ce vocabulaire leur est plus familier que le règlement.

Si un modéré monte à la tribune pour faire observer timidement que le projet de loi en discussion est peut-être une concession aux socialistes, aussitôt l’ouragan se déchaîne. « Chéquard, panamiste, vendu, ramolli, vieux bonze » sont décochés par les gens bien élevés. Les autres vont de « crapule, infection, Judas » à « majoritard », le comble de l’injure. Les orateurs aimés s’en tirent avec un « vieux goitreux ! » ou bien quelque : « Descends-donc de ton perchoir, hé ! feignant ! ».

Les âmes douces et généreuses gémissent de ces scandales ; mais les honnêtes gens font si peu de bruit qu’on ne risque pas de les écouter : on ne les entend pas. Pourtant M. Asquith, ancien ministre de l’intérieur anglais, a songé à réagir, et il propose un remède aux abus des apostrophes et des engagements parlementaires. M. Asquith propose simplement d’introduire dans les Parlements la musique, qui est réputée adoucir les mœurs.

Au cours d’une harangue prononcée dans le Temple-Hall de la Cité, pour les ouvriers de ce quartier, M. Asquith s’écriait : « Dans les cours de justice, où c’est mon destin de retourner ; dans la Chambre des communes, où je passe une grande partie de ma vie, je crois que l’interposition occasionnelle d’une heure de musique pourrait bien contribuer à rétablir l’harmonie entre des esprits combatifs et irréconciliables, à adoucir l’humeur et les querelles des partis. »

M. Asquith est un de ces hommes de bonne volonté auxquels la paix est promise, sinon donnée, sur la terre. Mais son remède est un peu simplet. Il a oublié que la discussion recommencerait sur le choix des morceaux à exécuter, et c’est alors qu’on s’en dirait de belles ! Les wagnériens pousseraient des hurlements si l’orchestre attaquait la valse des Roses ; d’autre part, les amis de la « vieille gaîté française » hurleraient à la mort devant Siegfried-Idyll, par exemple. Si, par cas, on jouait la Marseillaise, M. de Baudry d’Asson jetterait plus de clameurs que sa meute tout entière...

Non, le remède de M. Asquith n’est pas près de nous délivrer des bruits et incongruités parlementaires. Il passera des ouragans sonores dans les orchestres avant que nous ayons une musique victorieuse des passions politiques, une musique de Chambres.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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