LA FRANCE PITTORESQUE
Mystères de l’histoire :
Louis XVII, l’évadé du Temple
est-il réellement mort en 1795 ?
(Source : Le Point)
Publié le mardi 21 août 2012, par Redaction
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Est-il bien mort en 1795, où est-il inhumé ? Malgré l’analyse ADN, on n’en a pas fini avec la disparition du petit roi et le mystère de l’évadé du Temple, mystère que certains estimaient un peu vite définitivement résolu, en 2000.
 

On pensait en avoir fini avec le mystère de l’évadé du Temple et du petit roi caché, définitivement résolu, en 2000, par les travaux de Philippe Delorme. Après avoir contacté la noblesse française, l’historien avait cette année-là publié une enquête historique et scientifique, basée sur une étude d’ADN du cœur de l’enfant mort au Temple et autopsié par le docteur Pelletan. Un médecin qui avait soustrait le petit cœur sur la dépouille qui lui avait été présentée comme celle de Louis-Charles, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, puis qui l’avait roulé dans du son, avant de le placer dans son mouchoir.

En comparant l’ADN de l’organe desséché à celui des descendants de la reine, les analyses génétiques, réalisées par les laboratoires de Louvain et de Muenster, établirent que ce cœur était celui d’un enfant apparenté à Marie-Antoinette, en lignée féminine. Dès lors, on pensa la troublante énigme enfin résolue. Et on en déduisit que le cœur conservé à Saint-Denis était bien celui de Louis XVII. C’était sans compter sur la hargne des tenants de l’exfiltration et de la survie de Louis XVII, qui, un temps anéantis par les révélations de Delorme, allèrent faire renaître l’énigme de ses cendres, à grand renfort d’arguments.

Un palpitant au parcours rocambolesque
Qu’est-ce qui prouve, en effet, que le cœur étudié est bien celui de Louis XVII ? Bien que identique pour tous les individus d’une même lignée maternelle, un code génétique mitochondrial n’est pas unique. Dans des cas exceptionnels, des personnes peuvent avoir le même profil ADN mitochondrial (transmis par la mère) sans avoir le moindre degré de parenté. Ce cœur peut donc être aussi bien celui de Louis XVII que celui d’un Habsbourg ou d’un parfait inconnu. Surtout, le parcours rocambolesque de ce petit palpitant, un temps conservé dans un bocal d’alcool, a connu de bien curieuses vicissitudes, changeant plusieurs fois de main avant d’être placé, en 1975, dans la crypte royale de la basilique de Saint-Denis, où sont enterrés ses parents et une grande partie des rois de France.

Comment attester sérieusement que ce précieux viscère, qui a été volé, perdu, retrouvé sur du sable, est celui de l’enfant du Temple ? Louis-Charles a eu un frère aîné, Louis-Joseph, décédé en juin 1789, à huit ans, d’une tuberculose et dont le cœur a, lui aussi, été conservé. De là à imaginer une inversion, il n’y a qu’un pas. Et c’est dans cette brèche que se sont engouffrés les « survivantistes », pour qui la mort au Temple est une trop mauvaise fin pour une histoire aussi passionnante.

Le cœur du premier dauphin, profané en 1793
Pour Laure de la Chapelle, présidente du Cercle d’études historiques pour la question Louis XVII (CEHQ) et juriste de formation, le cœur analysé en 2000 ne peut être que celui de Louis-Joseph. Philippe Delorme réfute cette thèse, après l’avoir un temps envisagée. À chaque étape de son périple, depuis la tour du Temple jusqu’à la crypte de Saint-Denis, la relique a fait l’objet de procès-verbaux officiels, de certificats d’authenticité, de déclarations sur l’honneur et d’actes notariés. Pour que l’échange ait été possible, il aurait fallu que le cœur du frère aîné de Louis XVII ait été disponible.

Or, celui-ci a été profané par les révolutionnaires en 1793 avec les autres cœurs royaux du Val-de-Grâce. Il réapparaît en 1817, entre les mains du maire du 12e arrondissement (l’actuel 5e), qui le remet à son légitime destinataire, Louis XVIII. Le roi entend réunir les deux cœurs, en vue de les transporter à Saint-Denis. Celui de Louis-Charles échoue à l’archevêché de Paris, avant d’être remis aux Bourbon espagnols. Celui de Louis-Joseph disparaît sans laisser d’adresse. Aucun document historique ne prouve que les deux cœurs se sont retrouvés côte à côte, et qu’il y a donc pu avoir substitution. Quel intérêt Pelletan ou ses héritiers auraient-ils eu à agir ainsi ? Le cœur qui a été analysé dans les deux laboratoires n’a pas été embaumé, contrairement aux usages royaux. Pelletan s’est contenté de le placer dans un bocal rempli d’eau et d’alcool, comme une vulgaire curiosité anatomique. Or, celui de Louis-Joseph, comme tous les cœurs princiers conservés au Val-de-Grâce, a probablement été embaumé comme le voulait la tradition.

Une kyrielle de faux dauphins
Dès 1795, année de la mort de Louis XVII, des rumeurs font courir le bruit que le dauphin, remplacé dans sa geôle, aurait été libéré du Temple. Ce mythe de la survie du jeune prisonnier se développe tout au long de la première moitié du XIXe siècle. Il est favorisé par la restauration de la monarchie en France, par le goût romantique pour les histoires de conspiration ainsi que par les conditions d’isolement total imposées au dauphin. De quoi semer le doute sur l’identité du petit prisonnier, atteint de la scrofule par manque d’hygiène, vivant accroupi, à demi muet, la tête rasée et pratiquement méconnaissable.

De nombreux faux dauphins, suffisamment crédibles pour réunir autour d’eux une cour d’adeptes, vont hanter la France, dont les plus célèbres sont certainement Naundorff, Richemont, Hervagault et un métis du nom d’Eleazar Williams ayant vécu en Amérique. Aujourd’hui encore, la lignée des Naundorff, descendants de Wilhelm Naundorff - le moins folklorique de tous -, continue de revendiquer l’héritage de la couronne de France, bien que déboutée par des tests ADN qu’elle avait demandés sur les restes de son aïeul.

Et si c’était le fils de Madame Poitrine ?
Derrière tous ces prétendants, on trouve une ribambelle de pistes, sans l’approche d’une preuve, qui évoquent des points de chute potentiels pour le petit roi évadé. Il y a la piste "auvergnate", avec le Velay, où plusieurs familles sont persuadées d’être les rejetons du dauphin. Une autre, tout aussi fantaisiste, évoque une survie de Louis XVII dans une ferme de Saulx-les-Chartreux, dans l’Essonne, et même à Saint-Domingue.

De toutes ces pistes, une histoire méconnue du public a intrigué Didier Audinot, spécialiste des énigmes : celle de deux lettres signées Louis-Charles, datées du 27 mars 1867 et dont l’auteur, âgé de 87 ans, prétendait être le véritable Louis XVII. L’une avait été envoyée au directeur du journal Le Figaro, la seconde au Grand Journal, une gazette qui avait publié une étude sur les usurpateurs. La première, acquise en 1972 par un collectionneur, faisait suite à un article sur le décès du comte de Ligny-Luxembourg, l’un des prétendus dauphins recensés.

L’auteur avance que le comte de Ligny-Luxembourg n’est autre que le frère de lait du premier dauphin, décédé en 1789. Louis avait, en effet, une nourrice, Madame Poitrine, qui alimentait d’autres enfants en sevrage. Si on s’en tient à cette hypothèse, l’un de ses fils aurait été éduqué à la manière de Louis XVII pour, à un moment donné, prendre sa place, pendant ou après l’enfermement dans le Temple. Par la suite, cette doublure aurait abusé des connaissances acquises et serait devenue l’un des faux prétendants, en l’occurrence le comte de Ligny-Luxembourg. L’auteur mystérieux de ces deux missives se présentait comme un pauvre vieillard, oublié du monde. Il est clair qu’il ne supportait pas la concurrence, imposée par une bonne quarantaine de faux dauphins !

Les enveloppes qui auraient permis d’en identifier la provenance ont été perdues. Quant à l’envoi imminent de ses Mémoires, accompagnés prétendument de pièces authentiques, on l’attend toujours. Seule la lettre autographe, celle du Figaro, fut soumise à une expertise graphologique. On la compara aux devoirs effectués par le dauphin au début de sa détention. Et curieusement, les deux écritures semblaient se confondre, tant par l’orthographe que par la forme des lettres et la manière dont elles ont été rédigées.

Le vrai Louis XVII a-t-il fini sa vie obscure, sous les cocotiers, à la veille... de la désastreuse guerre de 1870 ? Après plus de deux cents ans, la disparition de Louis XVII fait toujours fantasmer. Chaque année, un livre est publié sur le sujet et un prétendant au trône de France se manifeste. Souvent des personnes de naissance inconnue ou nées sous X.

L’enfant du cimetière Sainte-Marguerite
Le 10 juin 1795, à 21 heures, un cortège d’une trentaine d’âmes quitte la prison du Temple, en direction du cimetière Sainte-Marguerite, affecté aux inhumations des guillotinés. Dans le cercueil de bois blanc se trouve l’enfant mort deux jours plus tôt. D’après le témoignage du fossoyeur, Pierre Bertrancourt, surnommé Valentin, qui a procédé à l’enterrement, le corps du gamin a été jeté dans une fosse commune, avant d’en être exhumé, pour être réinhumé dans un cercueil de plomb, contre le mur de fondation de l’église.

En 1846 et 1894, des exhumations eurent bien lieu, mais les ossements retrouvés dans la bière étaient ceux d’un enfant de 15 à 18 ans, alors que le dauphin n’avait que 10 ans lorsqu’il est mort. En 1979, une troisième exhumation a eu lieu sans apporter d’élément nouveau quant à l’identité de ce corps. Mais les hypothèses continuent de fleurir : le corps du dauphin aurait été subtilisé et remplacé par celui d’un autre. Et puis, a-t-on cherché au bon endroit ? Au moins quatre témoins se contredisent sur le lieu d’inhumation. Dans ce cas, le corps du dauphin repose toujours quelque part dans l’enceinte du cimetière.

En 2004, pour les besoins d’une étude de la population parisienne sous l’Ancien Régime, la terre du cimetière est retournée, le caveau de l’enfant du Temple ouvert. Étrangement, aucun examen ADN n’a été pratiqué sur les ossements prélevés : enfermés dans des sacs-poubelles, ils ont été mis dans les sous-sols de l’église. Si l’énigme n’a toujours pas été élucidée, l’enquête se poursuit. En juin dernier, le CEHQ Louis XVII a acquis quatre mèches de cheveux provenant de l’exhumation de l’enfant du Temple en 1894. Si l’on retrouve la même signature ADN que celle inscrite dans les gènes de la reine, on aura la preuve que l’enfant du Temple est bien Louis XVII. Affaire à suivre.

Nathalie Lamoureux
Le Point

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