LA FRANCE PITTORESQUE
Clocher (Le) qui danse,
à Moustiers-Sainte-Marie
(D’après « Annales des Basses-Alpes », paru en 1936)
Publié le vendredi 27 décembre 2013, par Redaction
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Dans toute l’ancienne Provence, le clocher de Moustiers était légendaire ; il branlait au son des cloches. C’était le clocher qui danse.
 

Le clocher, joli et doré qui, dans le paysage d’automne, paraît comme végétal a sa légende (quel monument, quelle source, quel rocher et peut-être quel homme n’a sa légende à Moustiers ?)

Au Moyen Age, le clocher de Moustiers était en effet connu pour vibrer aux sons des cloches ; on venait, l’oreille sur la pierre, entendre gémir la haute mitre jaune. Puis on regardait la tour comme secouée d’un frisson. Polydor Virgile, dans son recueil Des inventeurs des choses (1528), cite comme merveille ce clocher oscillant.

Clocher de Moustiers-Sainte-Marie (Alpes-de-Haute-Provence)

Clocher de Moustiers-Sainte-Marie (Alpes-de-Haute-Provence)

Gaffarel qui avait lu ce Virgile fut émerveillé par cette particularité et fit le voyage de Moustiers pour le constater. Il. écrivit après sa visite dans son livre Des curiosités des choses (1650) :

« Quelques fois on nomme des choses qu’on estime ridicules et incroyables et qui pourtant ne le sont pas, s’en étant trouvé dans les siècles passés et l’on en voit encore de nos jours ; ainsi cette tour de pierre ou admirable clocher que Virgile avait fait avec un si merveilleux artifice, que la tour se mouvait au branle de la cloche, n’est pas sans pareille, car à Moustiers, ville de Provence, le clocher dont les pierres sont enclavées à presque un même branle que la cloche avec tant de prodiges que ceux qui sont autrefois montés dessus sans le savoir, quand ils ont vu branler les cloches, ils n’ont pas été exempts de frayeur comme il m’est arrivé à moi-même. »

Viviers, Bar, en France, Bristol, en Angleterre, avaient aussi un clocher qui branlait au son des cloches. Dans la Gueuse Parfumée, éditée en 1845, le marquis de Gallifet consacre la tradition. Il écrit du clocher à sa fille, la marquise de Barbentane : « On assure que le branle des cloches lui imprimait jadis un léger balancement ».

Mais déjà le clocher ne balançait plus. Ou presque plus... Le prieur de Moustiers, Jean de Bertet (1614-1670) l’avait fait affermir par des poutres en dedans et par de bonnes clefs de fer en dehors. Malgré tout en 1849 le bon curé des Sièyes, J.-M. Féraud, ne voulait avouer que le clocher était tout à fait immobile. Il écrivait dans sa Géographie des Basses-Alpes. « Le mouvement n’est presque plus sensible ». Retenons ce presque qui n’est pas si vieux.

Au dire des positifs, le bon clocher roman qui depuis huit siècles veille sur Moustiers, ne boulègue plus. N’en croyez rien. Aux soirs de paix, près du vallon cascadeur, prêtez l’oreille. La pierre fidèle s’animera, vous dira une voix secrète, une chanson discrète, quelques légendes, la plainte d’un passé qui veut revivre sa tradition pour l’honneur de Moustiers. Non, le clocher n’est pas figé ni muet. Regardez-le ; il remue et dit la complainte secrète du vieux pays.

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