LA FRANCE PITTORESQUE
Langage des animaux :
mythe ou réalité ?
(D’après « La Science française », paru en 1893)
Publié le mardi 16 décembre 2014, par Redaction
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Le sujet d’une émission raisonnée chez l’animal n’est point nouveau. Dans l’antiquité, on croyait à leur âme : ainsi de Platon et Flavius Josèphe qui ont cru au langage et à la raison des bêtes. Saint Basile lui-même dit dans son Homélie du Paradis terrestre, dont il fait une belle description, qu’il était peuplé de bêtes qui s’entendaient entre elles et qui parlaient sensément.
 

Nous pourrions citer bien d’autres auteurs, mais cela nous mènerait trop loin. Dupont de Nemours a cherché à comprendre et à traduire la langue de quelques animaux et surtout le chant des oiseaux ; et, bien que ses opinions soient hasardées, elles doivent du moins fixer l’attention sur une foule de faits curieux, car il est certain que les animaux, vivant en société ou en famille, doivent avoir quelques moyens de s’entendre et de se communiquer leurs idées.

C’est, selon cet observateur curieux, une erreur de croire que les oiseaux répètent toujours le même son. II assure que le croassement des corbeaux ne comprend pas moins de vingt-cinq mots différents, que voici :

Cra, cré, cro, cron, cronon.
Grass. gress, gross, gronss, grononess.
Crac, crea, crae, crona, groness.
Crao, creo, croe, crone, gronass.
Craon, creo, croo, crono, gronoss.

« Si nous pensons, ajoute Dupont, qu’avec nos dix chiffres arabes, qui sont dix lettres, dix mots, en les combinant deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, on forme les chiffres diplomatiques de 100, de 1000, de 10000 caractères, et si on les combinait de cinq à cinq, on en ferait un chiffre de 100000 caractères, ou de plus de mots que n’en a aucune langue connue, on aura moins de peine à comprendre que les corbeaux puissent se communiquer leurs idées. Leurs vingt-cinq mots suffisent bien pour exprimer là, droite, armé, froid, chaud, partir, je t’aime, moi de même, un nid, et une dizaine d’autres avis qu’ils ont à se donner, selon leurs besoins. »

Le chien n’emploie que des voyelles, et quelquefois, mais seulement dans la colère, les deux consonnes g et z. Le chat emploie les mêmes voyelles que le chien, et de plus six consonnes, m, n, g, r, v, f. Les araignées emploient deux voyelles et deux consonnes, puisqu’elles prononcent les mots tak et tok.

A propos du chant des oiseaux, Dupont continue ainsi : « Cette énergique accentuation du discours tient à la surabondance de l’amour. Les oiseaux ne peuvent trouver cette force énorme dans leurs muscles, si frêles, que par un excès de vie dont les éléments donnent à leur amour une extrême ardeur. En pareil cas, il ne suffit pas d’aimer, il faut ajouter à la pensée même par les intonations et le rythme. C’est ce qui fait nos poètes et ce qui rend nos oiseaux musiciens. »

Le coq parle la langue de ses poules, mais, de plus, il chante sa vaillance et sa gloire. Le chardonneret, la linotte, la fauvette, chantent leurs amours. Le pinson chante son amour et son amour-propre ; le serin, son amour et son talent réel. Le mâle alouette chante un hymne sur les beautés de la nature, et déploie toute sa vigueur lorsqu’il fend les airs et s’élève aux yeux de la femelle qui l’admire. L’hirondelle, toute tendresse, toute affection, chante rarement seule, mais en duo, trio, en quatuor, en sextuor, en autant de parties qu’il y a de membres dans la famille sa gamme n’a que peu d’étendue et pourtant ce petit concert est plein de charmes.

Le rossignol a trois chansons : celle de l’amour suppliant, d’abord langoureuse, puis mêlée d’accents d’impatience très vive, qui se termine par des sons filés, respectueux, qui vont au cœur. Dans cette chanson, la femelle fait la partie en interrompant le couplet par des sons très doux, auquel succède un oui timide et plein d’expression. Elle fuit alors, mais les deux amants voltigent de branche en branche, le mâle chante avec éclat très peu de paroles rapides, coupées, suspendues par des poursuites qu’on prendrait pour de la colère : aimable colère !... C’est sa seconde chanson, à laquelle la femelle répond par des mots plus courts encore : Ami, mon ami.

Enfin on travaille au nid : c’est une affaire trop grande, on ne chante plus. Le dialogue continue, mais il n’est que parlé, et on y distingue à peine le sexe de ces interlocuteurs. C’est après la ponte que, perché sur une jeune branche voisine de celle qui porte sa famille, un peu au-dessus d’elle, battant la mesure par le petit mouvement qu’il imprime au rameau, et quelquefois par un léger mouvement des ailes, il distrait sa compagne des soins pénibles de l’incubation par les charmes d’une harmonie indicible.

Les deux couplets suivants rappelleront peut-être les vers de Du Bartas, qui essaya par des onomatopées bizarres de figurer le chant de l’alouette : du moins ceux-ci rendent en partie ce qu’en musique on appelle motif : c’est tout ce qu’il était possible de faire.

Dors, dors, dors, dors, ma douce amie,
Amie, amie,
Si belle et si chérie ;
Dors en aimant,
Dors en couvant,
Ma belle amie,
Nos jolis enfants,
Nos jolis, jolis, jolis, jolis, jolis,
Si jolis, si jolis, si jolis
Petits enfants.
(Un silence)

Mon amie,
Ma belle amie,
A l’amour,
A l’amour ils doivent la vie.
A tes soins ils devront le jour.
Dors, dors, dors, dors, ma douce amie,
Auprès de toi veille l’amour,
L’amour,
Auprès de toi veille l’amour.

Le rossignol cherche la solitude. Cependant on ne trouve point cet oiseau dans l’intérieur des grandes forêts, ni surtout dans les montagnes couvertes de sapins. Cet oiseau sédentaire se tient dans les-bosquets ou sur la lisière des bois.

Un observateur s’est assuré que la sphère remploie par la voix du rossignol n’avait pas moins d’un tiers de lieue de diamètre, lorsque l’air était calme, et Beichstein est parvenu à rendre assez exactement, par les combinaisons de nos lettres, l’effet produit par le rossignol. Beichstein recommande de les siffler et d’essayer de prononcer en sifflant les sons indiqués par les lettres.

Voici la chanson du rossignol dans la langue de ces oiseaux. C’est vraisemblablement l’original rossignolier dont Dupont nous a donné la traduction en français.

Tiouou, tiouou, tiouou, tiouou,
Shpetiou tokoua,
Tio, tio, tio, tio,
Kououtio, kououtio, kououtio, kououtio,
Tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii,
Kouorortiou, Tskoua pipistkouisi,
Tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tsirrhading !
Tsisi si tosi si si si si si si si,
Tsorre tsosrre tsorse tsorrchi ;

Tsatn, tsatn, tsatn, tsatn, tsatn, tsatn, tsatn,tsi.
Dlo dlo dlo dla dlo dlo dlo dlo dlo
Kouioo trrrrrrrrtzt.
Lu lu lu ly ly ly lil li li li
Kouio didl li loulybi.
Ila guour guour, koui kouio !
Kouio, kououi kououi kououikoui koui koui koui
Ghi, ghi, ghi.
Gholl gholl gholl gholl ghia hududoi.
Koui koui horr ha dia dia dillhi !
Hets, hets, hets, hets, hets, hets, hets, hets, hets,
hets, hets, hets, hets, hets, hets.
Touarrho hostehoi.
Kouia kouia kouia kouia kouia kouia kouia kouiati ;
Koui koui koui io io io io io io io koui
Lu lyle lolo didi io kouia.
Higuai guai guay guai guai guai guai guai kouior tsio tsiopi.

Jeunes lecteurs, chantez, égayez-vous en accompagnant les oiseaux qui s’ébattent au printemps.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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