Durant les 15 années de son règne, Henri III devra affronter quatre guerres de religion et faire face à des partis politiques et religieux soutenus par des puissances étrangères malmenant son autorité, celui de la Ligue parvenant à le faire assassiner
Henri III, troisième fils de Henri II et de Catherine de Médicis, monta sur le trône de France après la mort de Charles IX, son frère, décédé sans enfants. Les historiens lui ont appliqué avec raison ce mot de Tacite : Dignus imperio nisi imperasset (Il parut digne de régner tant qu’il ne régna point). En effet, pendant sa jeunesse, ce prince s’était acquis une grande réputation par le courage qu’il avait montré dans plusieurs combats, et principalement à ceux de Jarnac et de Moncontour ; sa renommée s’étendit si loin, qu’il fut élu roi de Pologne.
A peine avait-il pris possession de cette couronne, qu’il apprit la mort de son frère Charles IX : à cette nouvelle, il s’évada de Pologne comme on s’enfuit d’une prison. Il s’était toujours regardé comme en exil, au milieu d’un peuple dont il n’entendait pas la langue, et qui, moins agité et moins malheureux à la vérité que les Français, était cependant beaucoup plus agreste. Henri s’empressa de fuir ce pays sauvage, pour revenir chercher dans sa patrie des malheurs et une mort dont il n’y avait pas encore d’exemple en France.
Henri III. Dessin de Jean de Court (1581) |
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Le royaume était alors déchiré par les guerres civiles des protestants et des catholiques. Henri pouvait y rétablir le calme ; toutes les factions sont aisément comprimées par l’autorité souveraine, quand elle est déployée sans faiblesse et sans excès ; mais il ne sut ni contenir les huguenots, ni contenter les catholiques, ni discipliner une armée. Des processions peu décentes, où il se donnait en spectacle, l’avilirent aux yeux du peuple ; ses profusions dans un temps où il fallait n’employer l’or que pour avoir du fer, énervèrent son autorité. Nulle police, nulle justice ; on tuait, on assassinait ses favoris sous ses yeux, ou ils s’égorgeaient mutuellement dans leurs querelles. Son propre frère, le duc d’Alençon, catholique, s’unit centre lui, avec le prince de Condé, calviniste, et fit venir des Suisses, tandis que Condé entrait dans la Champagne avec des Allemands.
Les dévastations qu’on avait vues sous Charles IX recommencent : le roi fait alors, par un traité honteux, dont on ne lui sait point de gré, ce qu’il aurait dû faire en souverain habile à son avènement ; il donne la paix ; mais il accorde beaucoup plus qu’on ne lui eût demandé d’abord : libre exercice de la religion réformée, temples, synodes, chambres mi-parties de catholiques et de réformés dans les parlements de Paris, de Toulouse, de Grenoble, d’Aix, de Rouen, de Dijon, de Rennes ; il se soumet à payer les troupes allemandes du prince Casimir, qui le forçaient à cette paix ; mais n’ayant pas de quoi les satisfaire, il les laisse vivre à discrétion pendant trois mois dans la Bourgogne et dans la Champagne.
Dans cette anarchie, Henri, duc de Guise, devenu le chef de la maison de Lorraine, en France, idolâtré du peuple comme son père, songe à former la ligue projetée par son oncle, et à s’élever sur les ruines d’un royaume si malheureux et si mal gouverné. Tout respirait alors l’esprit de faction. On fait courir chez les bourgeois de Paris un projet d’association pour défendre la religion, le roi et la liberté. La ligue est successivement signée dans toutes les provinces. Le roi d’Espagne la protège, et ensuite les papes l’autorisent.
Le roi, pressé entre les calvinistes qui demandaient trop de liberté, et les ligueurs qui voulaient lui ravir la sienne, croit faire un coup d’état, en signant lui-même la ligue, de peur qu’elle ne l’écrase ; il s’en déclare le chef, et par cela même il en devient l’esclave ; il se voit obligé de rompre, malgré lui, la paix qu’il avait donnée aux protestants, sans avoir d’argent pour renouveler la guerre. Les États généraux assemblés à Blois lui refusent des subsides pour cette guerre, à laquelle les États même le forçaient ; il assemble pourtant une armée, en engageant les revenus de la couronne, et en créant de nouvelles charges. Les hostilités se renouvellent de tous côtés, et la paix se fait encore. Le roi n’avait voulu avoir de l’argent et une armée, que pour être en état de ne plus craindre la faction des Guises ; mais dès que la paix est faite, il consomme ces faibles ressources en vains plaisirs, en fêtes, en profusions pour ses favoris.
La conduite du roi donnait chaque jour de nouvelles forces à la ligue ; mais ce qui aggrava la situation des affaires, ce fut la mort du duc d’Alençon, frère du roi : cette mort rendait Henri, roi de Navarre, le plus proche héritier de la couronne ; ce prince (qui fut depuis Henri IV) suivait encore la religion protestante. Le duc de Guise, habile à profiter de tous les événements, fait aussitôt envisager aux catholiques du royaume, le péril auquel était exposée la religion, si jamais un prince protestant venait à monter sur le trône. La ligue éclate avec une nouvelle fureur. Le futur Henri IV écrit à son beau-frère Henri III, pour lui remontrer que c’est à lui et à sa couronne que le duc de Guise en veut, bien plus qu’aux protestants ; il lui fait voir le précipice ouvert ; il lui offre ses biens et sa vie pour le sauver.
« Il paraît encore plus grand mort que vivant » : mots prêtés au roi Henri III lors de l’assassinat du duc de Guise à Blois, le 23 décembre 1588). Lithographie réalisée vers 1900, publiée dans la série des Citations mises en scène pour les enfants |
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Mais dans ce temps-là même, le pape Sixte-Quint fulminait contre le roi de Navarre et le prince de Condé, cette fameuse bulle, dans laquelle il les déclare déchus de tout droit à la couronne de France. La ligue fait valoir la bulle, et force le roi à poursuivre son beau-frère qui voulait le secourir, et à seconder le duc de Guise, qui le détrônait avec respect. C’est la neuvième guerre civile depuis la mort de François II.
Le roi de Navarre se fit connaître dès lors pour un grand homme, en bravant le pape jusque dans Rome, en y faisant afficher, dans les carrefours, un démenti formel à Sixte-Quint, et en appelant à la cour des pairs de cette bulle. Quant à l’armée royale qu’on envoya contre lui, sous les ordres du duc de Joyeuse, on sait comment il la vainquit à Coutras, combattant en soldat à la tête de ses troupes, faisant des prisonniers de sa main, et montrant après la victoire, autant d’humanité et de modestie, que de valeur pendant la bataille.
Tandis que le roi de Navarre battait l’armée de Henri III à la journée de Coutras, le duc de Guise, de son côté, dissipait une armée d’Allemands qui venait se joindre au roi de Navarre. Cette victoire du duc de Guise et la défaite de Coutras, furent deux nouvelles disgrâces pour le roi de France. Guise concerte, avec les princes de sa maison, une requête au roi, par laquelle on lui demande la publication du concile de Trente, l’établissement de l’inquisition, la confiscation de tous les biens des huguenots au profit des chefs de la ligue, et le bannissement des favoris qu’on lui nommera.
Le roi, pour éviter les troubles qu’il prévoyait dans Paris, fait défense au duc de Guise d’y venir ; le duc y vient malgré cette défense. De là suit la journée des barricades (12 mai 1588). On sait que le roi abandonna sa capitale, fuyant devant son sujet, et qu’il assembla ensuite les seconds États généraux de Blois, où il fit assassiner le duc de Guise, devenu trop puissant pour qu’on osât lui donner des juges.
Une grande faute de Henri III, fut de ne pas courir dans l’instant à Paris avec ses troupes : il resta dans Blois inutilement, occupé à examiner les cahiers des États, tandis que Paris, Orléans, Rouen, Dijon, Lyon, Toulouse, se soulevaient en même temps contre lui. Le pape l’excommunie, et cette excommunication, qui eût été méprisée en d’autres temps, devient alors terrible, parce qu’elle se joint aux cris de la vengeance publique. Le duc de Mayenne, frère du duc de Guise, est déclaré lieutenant général de l’État royal et couronne de France. On emprisonne, à la Bastille, les membres du parlement affectionnés à la monarchie ; et à la requête du procureur-général, deux conseillers, Courtin et Michon, instruisent le procès criminel contre Henri de Valois, ci-devant roi de France.
Le malheureux Henri III est alors obligé d’avoir recours au roi de Navarre, son vainqueur et son successeur légitime, qu’il eût dû, dès le commencement de la ligue, prendre pour son appui, non seulement comme le seul intéressé au maintien de la monarchie, mais comme un prince dont il connaissait la franchise, dont l’âme était au-dessus de son siècle, et qui n’aurait jamais abusé de son droit d’héritier présomptif. Les deux rois ayant joint leurs troupes, arrivent devant Paris, et campent à Saint-Cloud. Les rebelles n’avaient pas eu le temps de mettre la capitale en état de défense. La ligue est consternée : déjà l’insolence faisait place au repentir, lorsque l’attentat du moine le plus fanatique, attentat inouï jusqu’alors dans notre histoire, changea totalement la face des affaires.
Ce moine, appelé Jacques Clément, natif du village de Sorbonne, près de Sens, était un jeune homme d’environ vingt-deux ans, sans lettres, vivant dans le libertinage et l’oisiveté, et toujours mêlé avec la canaille ; les déclamations furieuses des prédicateurs de la ligue exaltèrent l’imagination de cet esprit faible, et lui donnèrent l’idée du plus horrible projet. Il consulta son prieur Bourgoin, qui lui conseilla de prier et de jeûner pour connaître la volonté de Dieu. On lui fit entendre pendant la nuit une voix qui semblait venir du ciel, et qui lui ordonnait de tuer le tyran. La duchesse de Montpensier, sœur du duc de Guise, acheva de le déterminer, en l’assurant, que s’il échappait, le pape le ferait cardinal, et que s’il périssait, il serait canonisé (Histoire ecclésiastique du père Fabre). On dit même (Histoire du président de Thou) qu’elle en vint jusqu’à lui promettre tout ce qu’il y avait de plus capable de tenter un moine.
Le roi Henri III blessé à mort par le moine dominicain Jacques Clément. Gravure (colorisée) de Matthäus Merian l’ancien (1630) |
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Jacques Clément, après s’être muni des sacrements, sort de Paris la veille du 1er août, et se rend à Saint-Cloud, au camp de l’armée royale ; des soldats l’arrêtent et l’amènent devant La Guesle, procureur-général, auquel il dit qu’il avait des secrets importants à révéler au roi. La Guesle, qui se défiait des moines, l’ayant fait épier pendant la nuit, on le trouva profondément endormi, son Bréviaire auprès de lui, ouvert à l’endroit du meurtre d’Holopherne par Judith. Le matin, il fut introduit dans la chambre de Henri III, et lui remit une lettre, qu’il disait écrite par le premier président Achille de Harlay.
Tandis que ce malheureux prince lisait avec attention, le moine parricide, tirant un couteau de sa manche avec une vitesse étonnante, lui en porte un coup dans le bas-ventre ; le roi, étourdi du coup, jette un cri, et retirant lui-même le couteau qui était resté dans la plaie, il en frappe le meurtrier au dessus de l’œil gauche. En même temps, les seigneurs qui étaient dans la chambre, se jettent sur le monstre qui levait les mains et les yeux vers le ciel, et le font expirer sous mille coups ; ensuite on fit le procès à son cadavre, et on le condamna à être traîné sur la claie, tiré à quatre chevaux et brûlé : cet arrêt s’exécuta sur-le-champ, et les cendres furent jetées à la rivière.
Après avoir mis le premier appareil à la blessure du roi, les chirurgiens s’imaginèrent qu’elle n’était pas mortelle ; mais ces espérances s’évanouirent bientôt. Henri III avait été blessé le matin du 1er août ; dès le soir, il lui prit une fièvre très violente. Il mourut le jour suivant.
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