LA FRANCE PITTORESQUE
18 juillet 1100 : mort de
Godefroy de Bouillon
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Publié le lundi 18 juillet 2016, par Redaction
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Il serait fidèle le beau portrait que le Tasse a tracé du héros de son poème, s’il eût ajouté quelques traits pour rendre sa valeur plus brillante. Godefroy de Bouillon possédait toutes les perfections chevaleresques, la générosité, la loyauté, la douceur ; toutes les vertus chrétiennes, la modestie, la pureté, la foi ; toutes les qualités guerrières, le courage et la force, l’audace et la prudence. Il est la première et la plus belle gloire des Croisades ; son nom seul est resté sans tache.

Godefroy était jeune encore, lorsqu’il défendit bravement son duché de Lorraine contre les prétentions de l’empereur Henri IV. Néanmoins, oubliant ses injures, lors des fameuses querelles de Grégoire et de Henri, il prit parti pour ce dernier, et il avait un commandement dans les troupes impériales qui s’emparèrent de Rome. Mais, atteint bientôt après d’une maladie grave, il crut que le Ciel le châtiait d’avoir porté les armes contre le pape, et promit à Dieu qu’il consacrerait sa vie à la défense des Chrétiens de l’Orient.

Procession des croisés conduits par Pierre l'Ermite et Godefroy de Bouillon. Peinture de Jean-Victor Schnetz (1841)

Procession des croisés conduits par Pierre l’Ermite et Godefroy de Bouillon
Peinture de Jean-Victor Schnetz (1841)

Les pieuses fureurs de Pierre l’Ermite lui ayant offert l’occasion d’accomplir son vœu, Godefroi prit la croix. Pour subvenir aux frais de sa sainte entreprise, il fut obligé, comme la plupart des autres seigneurs, d’affranchir, moyennant rançon, la ville de Metz, dont il était suzerain, et de vendre ses cités et ses terres aux évêques, qui, bien que des plus intéressés dans ces querelles du ciel, ne se faisaient aucun scrupule d’abuser du fol enthousiasme des Croisés pour les dépouiller à bon marché de leurs domaines.

Des hordes de Chrétiens avaient déjà pris les devants, et marqué leur route par des brigandages et des cruautés, lorsque Godefroi partit (1096) à la tête de l’armée croisée. Reconnu unanimement pour chef, quoiqu’il n’eût pas été élu, il agit, non pas en fanatique insensé, mais en général habile et prudent ; il prépara par des précautions purement humaines le succès de l’expédition ; et, sans refroidir le zèle ardent de ses troupes, il les soumit à une sévère discipline : il avait déjà de grands efforts à faire pour relever les Croisés dans l’opinion publique.

Son arrivée à Constantinople délivra quelques chevaliers, retenus captifs par l’empereur Alexis Comnène, qui, voyant bien, après quelques hésitations, qu’il ne pouvait raisonnablement rien refuser à six cent mille hommes, fit succéder des démonstrations d’amitié à des actes d’hostilité. Il combla les principaux chefs de présents magnifiques, de promesses et de protestations, et obtint d’eux qu’ils lui rendraient hommage pour toutes leurs conquêtes. L’habile empereur espérait tirer bon parti de son alliance avec les Croisés, et il ne se trompait pas. Ce fut pour lui que les Chrétiens firent le siège de Nicée : au moment où ils allaient s’en emparer, après de nombreux assauts, l’étendard d’Alexis, flottant sur les remparts, leur apprit que la ville appartenait à leur allié, et qu’ils n’avaient en conséquence plus rien à faire contre elle. Les Turcs, à l’instigation des agents secrets d’Alexis, avaient préféré lui rendre leur ville que de la laisser prendre par les Croisés.

Parmi les détails de ce siège de Nicée, on raconte, comme chose merveilleuse, une prouesse de Godefroy. Il perça d’une flèche le cœur d’un géant, devant qui tout fuyait. On parle aussi avec admiration d’un combat qu’il livra à un ours énorme, de chameaux dont il faisait voler la tête d’un seul coup de sabre, et surtout d’un cavalier qu’il frappa avec une si vigoureuse dextérité qu’il sépara son corps en deux parties, dont l’une tomba à terre, tandis que l’autre continuait à courir à cheval. Ces exploits sont trop et trop peu merveilleux pour qu’on eût dû les mentionner.

Après la prise de Nicée, les Chrétiens, pour se procurer plus facilement des vivres, marchèrent divisés en deux corps, dont l’un était commandé par Bohémond, fils de Robert Guiscard, et l’autre par Godefroy. La première division, attaquée par l’actif Kilidge-Arsan, dans les plaines de Dorylée, allait succomber, malgré son héroïque résistance, lorsque Godefroy survint et arracha par sa bravoure et son habileté la victoire aux Infidèles. Dans sa route de Nicée à Antioche, à travers les campagnes arides et brûlées de la Phrygie et de l’Isaurie, l’armée chrétienne souffrit les horreurs de la faim et de la soif. Le généreux Godefroy, non seulement ranimait les Croisés par sa piété, son courage et sa douce éloquence, mais il épuisait ses provisions pour nourrir les femmes et les enfants.

Antioche était tombée ; mais les Chrétiens, assiégés dans leur camp, et dévorés par la famine et la maladie, étaient réduits à la dernière extrémité. Un miracle seul les pouvait sauver : on le disposa donc, et il réussit. Un prêtre, nommé Pierre Barthélemy, publia que Jésus-Christ lui avait révélé que, si les Chrétiens passaient trois jours dans le jeûne et la prière, ils trouveraient le fer de la lance qui lui avait percé le côté, et que par ce fer ils seraient vainqueurs de leurs ennemis. Les Croisés, qui manquaient de vivres, n’eurent pas de peine à jeûner, et Barthélemy n’en eut pas davantage à leur faire trouver un fer. Cependant, les chefs profitèrent de la confiance que cette fraude pieuse rendait aux soldats, et les Sarrasins furent complètement battus. » Dans cette journée mémorable, Godefroy se couvrit encore d’une nouvelle gloire.

La route de Jérusalem était libre. Quelques jours après que cette ville eut été prise et saccagée (15 juillet 1099), on l’érigea en royaume, et on s’occupa de lui donner un chef. Comme plusieurs chevaliers se mettaient sur les rangs, on choisit dix électeurs, qui devaient nommer le plus digne et le mieux méritant. Godefroy de Bouillon fut proclamé à la satisfaction générale : mais le modeste héros refusa les insignes de la royauté, disant qu’il ne porterait jamais une couronne d’or dans une ville où le Sauveur avait été couronné d’épines.

Blessés, les Sarrasins revenaient disputer leur conquête aux Chrétiens. Godefroy marcha à leur rencontre ; et la glorieuse victoire d’Ascalon, remportée le jour même de l’Assomption, mit fin à la guerre. Le roi de Jérusalem profitait de la paix pour assurer le bonheur et la prospérité intérieures de son nouveau royaume, lorsqu’une mort subite , attribuée au poison, vint interrompre ses travaux législatifs et détruire l’avenir de la Palestine. « Godefroy de Bouillon, dit l’historien des Croisades, surpassa tous les capitaines de son siècle par son habileté dans la guerre : s’il eût régné plus longtemps, on l’eût placé parmi les grands rois. »

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