LA FRANCE PITTORESQUE
16 juillet 1691 : mort de l’homme d’Etat
François le Tellier, marquis de Louvois
()
Publié le dimanche 15 juillet 2012, par Redaction
Imprimer cet article

Le marquis de Louvois, fils de Michel Letellier, chancelier de France, était né à Paris le 18 janvier 1641. Il fut reçu en survivance de la charge de secrétaire d’Etat de la guerre en 1664, et son père la lui abandonna entièrement en 1666. Il fut fait surintendant général des postes en 1668. En 1683, à la mort de Colbert, il eut la surintendance des bâtiments. Il était d’ailleurs chancelier des ordres du roi, etc. etc.

François Le Tellier

François Le Tellier

On accuse Louvois d’avoir entrepris des guerres et de les avoir prolongées, et d’avoir embarrassé les affaires pour en tenir seul le fil et se rendre nécessaire. Mais la discipline établie et maintenue parmi les troupes ; l’entretien et l’approvisionnement des armées, toujours fournies avec une supériorité d’intelligence et d’activité vraiment admirable ; la célèbre instruction envoyée, pour le siège de Gand, au maréchal d’Humières ; la construction de l’Hôtel des Invalides , une foule d’établissements militaires, ou nécessaires ou utiles ; une continuité de succès qui ne peut appartenir qu’à l’habileté, voilà les titres de gloire de Louvois, dont le nom ne réveille pas moins l’idée d’un grand ministre que relie d’un homme altier et dur : il était né pour l’oppression et pour la gloire de sa patrie.

Il avait tellement ranimé l’ancien esprit militaire dans les armées françaises, et en avait si bien banni la mollesse, qu’un officier ayant paru à une alerte en robe de chambre, le général la fit brûler à la tête du camp comme une recherche de commodité indigne d’un homme de guerre.

Dans les opérations de l’armée, dans les délibérations du conseil, partout il faisait régner le secret le plus inviolable. Près de partir pour un voyage, il feignit un jour de vouloir dire où il allait : « Ne nous le dites point, dit le comte de Grammont, nous n’en croirions rien. » Madame de Sévigné rapporte un trait de Louvois, qui peint bien la rudesse de son caractère, mais qui montre en même temps un amour de la discipline, très louable dans un ministre de la guerre :

« M. de Louvois, dit l’autre jour tout haut à M. de Nogaret : Monsieur, votre compagnie est en fort mauvais état. — Monsieur, dit-il, je ne le savais pas. — Il faut le savoir, dit M. de Louvois. L’avez-vous vue ? — Non, Monsieur, dit Nogaret. — Il faudrait l’avoir vue, Monsieur. — Monsieur, j’y donnerai ordre. — Il faudrait l’avoir donné : il faut prendre parti, Monsieur : ou se déclarer courtisan, ou s’acquitter de son devoir, quand on est officier. »

On sait avec quelle rigueur Louvois fit traiter Dupas pour avoir rendu Naerden. « Il ne tint, à la vérité, que quatre jours, dit Voltaire, mais il ne remit la ville qu’après un combat de cinq heures, donné sur de mauvais ouvrages, et pour éviter un assaut général, qu’une garnison faible et rebutée n’aurait point soutenu. Le roi, irrité du premier affront que recevaient ses armes, fit condamner Dupas à être traîné dans Utrecht, une pelle à la main, et son épée fut rompue : ignominie inutile pour les officiers français, qui sont assez sensibles à la gloire pour qu’on ne les gouverne pas par la crainte de la honte. Il faut savoir qu’à la vérité, les provisions des commandants des places les obligent à soutenir trois assauts ; mais ce sont de ces lois qui ne sont jamais exécutées. Dupas se fit tuer un an après, au siége de la petite ville de Grave, où il servit volontaire. Son courage, et sa mort, durent laisser des regrets à Louvois , qui l’avait fait punir si durement : la puissance souveraine peut maltraiter un brave homme, mais non pas le déshonorer. »

On a une lettre de Louvois, dans laquelle il trouve qu’on a usé d’indulgence envers Dupas, et que son crime prétendu méritait la mort. C’étaient toujours les moyens les plus durs et les plus violents que Louvois jugeait les plus efficaces. « Si l’ennemi brûle un village de votre gouvernement, écrivit-il au maréchal de Boufflers, brûlez en dix du sien. » C’est à Louvois qu’on a toujours imputé le double embrasement du Palatinat, en 1674, et en 1689. On dit que Louis XIV se repentit de ces cruautés, et que le remords qu’il en eut fut une des causes qui diminuèrent la faveur de Louvois.

Ce ministre hautain et altier était parvenu à mettre son caractère en liberté avec le roi ; mais ce qui lui avait réussi dans les jours de sa grande faveur, fut fort mal reçu dans un temps où la haine de madame de Maintenon l’avait perdu dans l’esprit de Louis XIV. Ce prince ayant témoigné du mécontentement sur une affaire dont Louvois lui rendait compte : « Oh, s’écria celui-ci, il n’y a plus moyen de vous servir. » Le roi, indigné, courut prendre sa canne ; Madame de Maintenon l’arrêta. Louvois retourna chez lui, également désespéré de son imprudence et de sa disgrâce. Il but un verre d’eau, et mourut subitement le 16 juillet 1691, à cinquante et un ans.

« Je suis tellement éperdue, s’écrie Madame de Sévigné, de la mort très subite de M. de Louvois, que je ne sais par où commencer pour vous en parler. Le voilà donc mort, ce grand ministre, cet homme si considérable, qui tenait une si grande place ; dont le MOI, comme dit M. Nicolle, était si étendu ; qui était le centre de tant de choses ! Que d’affaires ! Que de desseins ! Que de projets ! Que de secrets ! Que d’intérêts à démêler ! Que de guerres commencées ! Que d’intrigues ! Que de beaux coups d’échecs à faire ou à conduire ! Ah ! mon Dieu, donnez-moi un peu de temps : je voudrais bien donner un échec au duc de Savoie, un mat au prince d’Orange. Non, non, vous n’aurez pas un seul, un seul moment. Faut-il raisonner sur cette étrange aventure ? Non, en vérité, il y faut réfléchir dans son cabinet. Voilà le second ministre [Seignelay était le premier] que vous voyez mourir depuis que vous êtes à Rome ; rien n’est plus différent que leur mort ; mais rien n’est plus égal que leur fortune, et les cent millions de chaînes qui les attachaient tous deux à la terre. »

La mort de Louvois a été l’objet de beaucoup de discussions. On a prétendu qu’il avait été empoisonne. Saint-Simon l’affirme, et son récit charge le roi de ce crime ; mais un roi puissant n’empoisonne point un ministre qui lui déplaît, il le renvoie ; et Voltaire observe, avec raison, que cela répugne à toutes les idées qu’on s’est faites du caractère de Louis XIV. D’autres ont dit que c’était une vengeance du duc de Savoie ; d’autres enfin, qu’il s’était empoisonné lui-même. Ce fait ne sera jamais éclairci. Ce qu’il y a de certain, c’est que le roi ne cacha point que cette mort le délivrait d’un homme qui lui était devenu insupportable. Ce qu’il y a de certain encore, c’est qu’en perdant cet homme, qui avait fait tant de mal, on perdit beaucoup. L’épitaphe de Louvois, qui parut alors, était l’expression juste de l’opinion publique :

Ici gît, sous qui tout pliait,
Et qui de tout avait connaissance parfaite,
Louvois que personne n’aimait,
Et que tout le monde regrette.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE