LA FRANCE PITTORESQUE
9 juillet 1716 : mort du géomètre
et physicien Joseph Sauveur,
fondateur de l’acoustique musicale
(D’après « Biographie universelle des musiciens et bibliographie
générale de la musique » (Tome 8), paru en 1844)
Publié le dimanche 9 juillet 2023, par Redaction
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Ce géomètre et physicien naquit à La Flèche le 24 mars 1653. Jusqu’à l‘âge de sept ans il resta muet, et jamais il n’eut l‘organe de la parole bien libre. Il fit ses études dans un collège de jésuites ; mais son goût passionné pour le calcul lui fit faire peu de progrès dans la littérature, tandis qu’il apprit sans maître, et en l’espace d’un mois, les six premiers livres des éléments d’Euclide.

Arrivé à Paris, en 1670, il y suivit les leçons du physicien Rohault, et donna, pour exister, des leçons de mathématiques. Parmi ses élèves, on compte le prince Eugène. En 1680 il obtint le titre de maître de mathématiques des pages de la Dauphine, et peu de temps après le grand Condé l’engagea à écrire un traité sur la fortification des places.

Le désir de joindre la pratique à la théorie conduisit Sauveur au siège de Mons, en 1691, où il prit part aux opérations les plus périlleuses. De retour à Paris, il s’y occupa de divers travaux relatifs aux mathématiques appliquées ; mais l’objet qui finit par attirer toute son attention fut l’acoustique musicale ; science nouvelle qui lui doit sa création, dont il posa les bases, et dont il a fait jusqu’au nom, qui a sa racine dans le mot grec qui signifie j’entends.

Ce choix de l’objet principal des recherches de Sauveur a cela de bizarre qu’il était sourd, avait la voix fausse, et n’entendait rien à la musique. Pour vérifier ses expériences, il était obligé de se faire aider par des musiciens exercés à l‘appréciation des intervalles et des accords. Ainsi qu’on l’a très bien remarqué, cette position de Sauveur rappelle celle du professeur Saunderson, aveugle de naissance qui, dans ses leçons sur la philosophie naturelle, expliquait les phénomènes de la lumière.

Sauveur avait été nommé membre de l’Académie des sciences, en 1696 ; c’est dans les mémoires de cette compagnie savante qu’il donna les résultats de ses intéressants travaux. Il mourut le 9 juillet 1716, à l’âge de soixante-trois ans.

Depuis l’antiquité jusqu’à Sauveur, la théorie des rapports des sons était restée à peu près stationnaire : elle n’était basée que sur des nombres abstraits. Une seule expérience, attribuée à Pythagore dans une anecdote évidemment fausse, était tout ce qu’on pouvait citer pour la démonstration de cette théorie. Sauveur, le premier, imagina de chercher dans l’examen des phénomènes de vibrations des corps sonores, les éléments de la science de l’acoustique.

Ses premiers travaux en ce genre datent de 1696. L’année suivante il dicta un traité de Musique spéculative, dans ses leçons au collège royal ; mais il se refusa à la publication de ce traité, par des motifs qu’il a exposés dans son mémoire sur le Système général des intervalles des sons.

Son point de départ fut un trait de génie. Il avait remarqué que ni les anciens, ni les écrivains du Moyen Age ne fournissent de moyen de retrouver l’unisson d’une des cordes de leurs systèmes musicaux, et que c‘est à cette cause qu‘il faut attribuer en partie l’obscurité qui enveloppe leur tonalité, non relative, mais absolue. Sauveur comprit donc que pour donner une base à une tonalité quelconque, il était nécessaire de déterminer un son fixe pour point de comparaison, et que ce son ne pouvait être fixé que par le nombre de vibrations qu’il fait dans un temps donné ; par exemple, dans une seconde.

Mais la difficulté consistait à compter ces vibrations, même dans les sons graves où elles sont plus lentes que dans les sons aigus. Le moyen dont il se servit, en l’absence de tout autre instrument de précision, est ingénieux. Le son dont il voulait déterminer l’intonation en nombre de vibrations était l’ut grave, fourni par un tuyau d’orgue de huit pieds. Les facteurs avaient remarqué depuis longtemps que lorsque deux tuyaux d’orgue sonnent ensemble, il s‘établit entre eux des battements lorsqu‘il résulte une dissonance de leurs deux sons ; et que ces battements ont lieu à des intervalles de temps égaux d’autant plus longs, que les intervalles musicaux sont plus petits entre les sons simultanés :

« Sauveur (dit M. de Prony) vit l‘explication de ce phénomène dans les coïncidences périodiques des oscillations des colonnes d’air respectives en mouvement dans chaque tuyau : lorsque ces coïncidences ont lieu, les deux oscillations contemporaines font sur l‘organe une impression plus forte que lorsqu’elles sont successives. Supposons que le rapport des nombres respectifs d‘oscillations soit celui de 8 a 9 ; chaque huitième oscillation du tuyau le plus grave, et chaque neuvième du plus aigu, auront lieu ensemble, et frapperont l‘oreille par un battement qui ne se reproduira qu’à la fin de la période suivante, de huit pour l’un, et de neuf pour l’autre. »

Il résulte de là que comptant les battements qui se font dans une seconde, puis multipliant ces battements par les nombres des rapports de proportions des deux tuyaux, on trouve le nombre absolu d‘oscillations fait par chacun d’eux dans le même espace de temps. C‘est ainsi que Sauveur trouva que l’ut grave du tuyau de 8 pieds fait 122 vibrations dans une seconde. Cet ut est celui du ton d’orgue de son temps ; à Paris l’ut grave du violoncelle, qui correspond à cette note, est élevé jusqu‘à 131 vibrations ; à Bruxelles, cette même note est élevée jusqu‘à 134.

Il est à remarquer que l‘application qu’il fit ensuite du problème aux cordes vibrantes lui donna pour celles-ci des nombres de vibrations doubles de ceux des oscillations trouvées pour les tuyaux ; mais il explique fort bien comment cette dissidence apparente confirme ses résultats au lieu de les infirmer. Sauveur fut aussi le premier qui analysa les phénomènes des sons harmoniques, et qui en donna une théorie devenue la base du Système d’harmonie de Rameau.

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