LA FRANCE PITTORESQUE
6 juillet 1809 : enlèvement du pape Pie VII
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Publié le vendredi 6 juillet 2012, par Redaction
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En 1805, époque où les Autrichiens se reportaient en force en Italie, et où une armée anglo-russe était attendue à Naples, les Anglais avaient envoyé dans la Méditerranée une flotte destinée à seconder les opérations de leurs alliés. Calculant que les forces combinées pourraient, en se portant sur l’Adriatique entre l’armée du prince Eugène qui se trouvait alors sur l’Adige, et celle du général Gouvion Saint-Cyr, alors cantonnée dans le pays d’Otrante, interrompre leurs communications, Napoléon pria le saint Père d’admettre une garnison française dans la citadelle d’Ancône qui n’était pas gardée, et dont les alliés pouvaient se saisir ; il l’invita aussi à se liguer avec les autres puissances d’Italie pour l’intérêt commun, et à fermer ses ports aux Anglais.

C’était au souverain temporel que ces demandes s’adressaient. Pie VII y fit, comme chef de l’Eglise, une réponse plus propre à édifier un chrétien, qu’à satisfaire un politique. La neutralité en pareil cas était hostile. Napoléon rappela à Sa Sainteté que Charlemagne n’avait investi le pape d’une souveraineté temporelle, que dans l’intérêt de l’Italie et de la catholicité. C’était lui donner beaucoup à entendre. La chose en resta là néanmoins pour le moment.

Après la paix qui suivit la victoire d’Austerlitz, en 18o5, Joseph Bonaparte ayant été mis en possession du trône de Ferdinand, ou plutôt du trône de Caroline, Rome devint le foyer des intrigues du ministère anglais avec la cour de Palerme.

Les Français étaient journellement assassinés dans les Etats du pape. Napoléon le somma d’expulser leurs ennemis, de fermer ses ports aux vaisseaux anglais ; et parlant en maître cette fois, il le menaça, en cas de refus, de s’emparer de la partie du territoire romain, par laquelle le royaume de Naples communiquait avec le royaume d’Italie. Pie VII ayant répondu à cette menace de confiscation par une menace d’excommunication, Napoléon envoya le général Miollis avec six mille hommes occuper Rome, où Sa Sainteté conserva d’ailleurs toutes les apparences de l’autorité. Tel était encore l’état des choses en 1808.

Résolu d’en sortir enfin, Napoléon déclara nettement alors au saint Père, qu’à refus par lui d’entrer dans la confédération italienne, la donation de Charlemagne serait tenue pour nulle. En effet, le pape ayant persisté dans son inaction, les provinces romaines sur l’Adriatique fuient réunies à l’empire français, et on ne lui laissa que celles qui sont entre les Apennins et la Méditerranée. De plus, les troupes françaises continuèrent d’occuper Rome, qu’elles rie devaient évacuer qu’après que ce démembrement aurait été sanctionné par le pape. Pour toute réponse, le pape rappela l’ambassadeur qu’il avait à Paris.

Sur ces entrefaites éclata la coalition de 1809. A cette nouvelle, la population de Rome ayant pris une attitude menaçante, le général français qui commandait dans cette ville ayant demandé des renforts , il reçut ordre d’incorporer les troupes romaines dans l’armée française, et fut autorisé à prendre les mesures les plus propres pour se faire respecter, tout en conservant pour le chef du gouvernement le respect auquel il avait droit comme chef de l’Eglise. C’est alors que, enhardi par le résultat douteux de la bataille d’Essling, Pie VII crut pouvoir fulminer une bulle d’excommunication contre Napoléon. « Que les souverains, y est-il dit, apprennent encore une fois qu’ils sont soumis par la loi de Jésus-Christ à notre trône et à notre commandement ; car nous exerçons aussi une souveraineté, mais une souveraineté bien plus noble, à moins qu’il ne faille dire que l’esprit doit céder à la chair, et les choses du ciel à celles de la terre. »

Retiré dans son palais de Monte-Cavalo, où il s’était barricadé, le saint Père, cependant, s’y faisait garder par quelques centaines de sbires, qui exhalaient leur bravoure en menaces. Cela exaspéra l’humeur des soldats français. Déjà ils avaient échangé des injures avec les soldats du pape, et l’on avait lieu de craindre que des paroles les troupes n’en vinssent aux faits, et qu’il ne s’engageât un combat dans lequel les jours de Sa Sainteté elle-même seraient exposés. Les balles ne respectent personne, dit Napoléon. Le général français, dont les remontrances n’avaient pas été écoutées , crut, pour éviter un plus grand malheur, devoir enlever de nuit le pape de son palais, et le faire partir aussitôt pour Florence.

L’empereur n’apprit pas cet événement sans déplaisir. De Schœnbrünn, où il se trouvait alors, il envoya ordre au gouvernement de Florence de mettre à la disposition de Pie VII la plus belle maison de campagne du grand-duché, et d’entourer le pontife des égards dus à son saint caractère. Le prince qui commandait en Piémont reçut aussi ordre d’en user de même dans le cas où le pape viendrait à Turin. Enfin, dans le cas où Sa Sainteté aurait franchi les Alpes, elle devait, d’après les ordres de l’Empereur, être dirigée sur Savone, où le palais archiépiscopal serait mis à sa disposition.

Cette dernière volonté est celle qui fut exécutée. Pie VII supporta son sort avec une résignation bien plus redoutable pour la puissance séculière que l’emportement auquel plusieurs de ses prédécesseurs s’étaient livrés en pareille circonstance. Conservant une simplicité tout apostolique au milieu du luxe dont Napoléon s’étudiait à l’environner, et toujours intraitable sur l’article de la renonciation aux domaines qu’il tenait de ses prédécesseurs, il appela sur lui cet intérêt que la constance appelle toujours sur la faiblesse opprimée. Il ne négligea pas toutefois de riposter, par les moyens que lui fournissait la puissance spirituelle, aux déplaisirs que la puissance temporelle lui suscitait. C’est de Savone que furent lancés plusieurs brefs qui, en d’autres temps, eussent troublé la France, et que fut adressé à l’Eglise de Paris celui par lequel était improuvée la conduite du cardinal Maury, qui, nommé au siège de cette métropole par Napoléon , en avait pris possession sans avoir reçu de Rome les institutions canoniques.

Le 17 février 1810, un sénatus-consulte réunit néanmoins à la France les Etats romains, et attribua au prince impérial le titre et les droits de roi de Rome, déclarée seconde ville de l’Empire. Le pape disparaissait ainsi de la liste des souverains séculiers ; et, comme le même acte portait qu’il aurait un palais à Paris, et le mettait, quant à ses revenus, dans la dépendance de l’empereur, est-ce bien lui qui devait être désormais le chef de l’Eglise ?

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