LA FRANCE PITTORESQUE
6 juillet 1495 : bataille de Fornoue
remportée par Charles VIII
(D’après « Histoire générale de France depuis les temps les plus reculés
jusqu’à nos jours » Tome 4 (par Abel Hugo) paru en 1841
et « Victoires, conquêtes, revers et guerres civiles des Français,
depuis les Gaulois jusqu’en 1792 » (Tome 5), paru en 1822)
Publié le mardi 6 juillet 2021, par Redaction
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Après avoir fait la conquête du royaume de Naples, Charles VIII se disposait à revenir en France avec son armée ; mais le pape, le roi des Romains et la république de Venise s’étaient ligués pour lui fermer le retour, et le 6 juillet 1495 les Français se trouvaient à Fournoue, sur la rive droite du Taro qu’il leur fallait traverser cependant qu’il avait été grossi par les pluies abondantes d’un violent orage, et en présence des ennemis campés à trois milles
 

Charles VIII était entré dans Naples le 22 février 1495. Mémorialiste, diplomate, ancien et fidèle conseiller de feu Louis XI — père de Charles VIII —, Philippe de Commines avait été envoyé par le monarque français en ambassade à Venise et avait fait connaître au roi la ligue formidable conclue le 31 mars 1495 que les États italiens avaient formée avec le pape.

Par des articles secrets de ce traité, Ferdinand II d’Aragon, roi de Castille et d’Aragon, s’engageait à attaquer la France du côté du Roussillon, et à envoyer une armée dans le royaume de Naples ; le duc de Milan, Ludovic Sforza dit le Maure, à empêcher l’arrivée de nouvelles troupes françaises à Asti ; la république vénitienne, à défendre le passage des Apennins, et à attaquer les établissements français sur les côtes de la Pouille. Dans le même temps, le roi des Romains, Maximilien d’Autriche, devait pénétrer en France par la Champagne, et le roi d’Angleterre Henri VII débarquer à Calais et envahir la Picardie.

Le roi Charles VIII aux prises avec des cavaliers milanais tentant de le capturer lors de la bataille de Fornoue. Détail d'une illustration de Richard Hook publiée dans Fornovo 1495. France's bloody fighting retreat, par David Nicolle (1996)

Le roi Charles VIII aux prises avec des cavaliers milanais tentant de le capturer
lors de la bataille de Fornoue. Détail d’une illustration de Richard Hook
publiée dans Fornovo 1495. France’s bloody fighting retreat, par David Nicolle (1996)

Philippe de Commines avait averti le duc d’Orléans de veiller à la défense d’Asti, et écrit au duc de Bourbon de lui envoyer des secours ; il avait pressé Charles VIII de ramener son armée en France avant que les bataillons de la ligue faisaient lever en Allemagne fussent arrivés en Lombardie. Le roi de France se décida à suivre ce conseil ; mais en revenant en France, il voulut conserver sa conquête, et laissa à Naples une partie de ses forces, le reste de l’armée se mettant en marche le 20 mai 1495.

Charles VIII trouva, à son passage à Sienne le 13 juin, Philippe de Commines, arrivé de Venise et qui le pressa de hâter sa marche. Le roi commit à la faute de diminuer encore son armée en laissant des garnisons à Sienne, à Pise, à Sarzane, et dans d’autres villes, ainsi qu’en envoyant un fort détachement faire contre Gênes une tentative qui n’eut aucun succès. Le passage des Apennins s’effectua cependant sans obstacle, et l’armée, avec son artillerie, descendit, au commencement de juillet, par le Val de Taro, dans les plaines de la Lombardie.

Le marquis de Mantoue, Gonzague, général en chef de l’armée vénitienne, avait établi son camp sur la rive droite du Taro, et à une lieue de Fornoue, occupé par l’avant-garde française. Le passage du Taro devait se faire en présence de l’ennemi, qui, campé sur la même rive que le roi, était mal posté pour s’y opposer. Les Italiens furent étonnés de voir les Français venir en si petit nombre à leur rencontre, et cette surprise altéra leur confiance.

Aucun d’eux n’avait douté que le roi ne laissât une partie de son armée à Pise, et ne s’embarquât pour retourner en France, ou qu’ayant traversé l’Apennin, il ne gagnât Tortone par les sentiers escarpés de Cento-Croce. Aussi leurs chefs auraient-ils accordé au roi le passage qu’il leur avait fait demander, si l’ambassadeur d’Espagne, aux yeux duquel la perte des Français était du plus grand intérêt, et qui s’inquiétait peu des dangers qu’une défaite pouvait faire courir à ses alliés, n’eût fait prononcer le refus pendant qu’on attendait la décision de Ludovic le Maure et de la république de Venise.

Cependant les Français s’avançaient pleins d’audace et de fierté. Il leur fallait traverser le torrent du Taro, grossi par les pluies abondantes d’un violent orage, et ce passage devait être effectué en présence de l’ennemi. L’opération commença dès la pointe du jour, le lundi 6 juillet, par la plus grande partie de l’artillerie, et elle ne fut troublée que par quelques escarmouches, faute essentielle que commit encore le marquis de Mantoue.

L’avant-garde, sous les ordres du maréchal de Gié, était composée de quatre cents lances, de quelques Suisses, de trois cents archers à pied, de quelques arbalétriers à cheval de la garde du roi, et de la plus grande partie de l’infanterie. Le roi, armé de toutes pièces, marchait avec le corps de bataille commandé par Louis II de la Trémoille ; l’arrière-garde, suivie du bagage, était confiée au comte de Foix, père du célèbre Gaston ; et, suivant l’usage de ce temps, ces trois corps marchaient à de très grandes distances l’un de l’autre.

L’armée française, ne pouvant se déployer dans la plaine trop étroite de San-Andrea, descendit le long de la rive gauche du Taro. Lorsque son avant-garde fut arrivée à la hauteur du camp des Italiens, elle fut attaquée par les troupes du duc de Milan, qui fondirent rapidement sur elle, pendant que le marquis de Mantoue, après avoir pourvu à la sûreté de son camp, passait plus haut le torrent pour tourner l’arrière-garde, sur laquelle il vint tomber avec six cents hommes d’armes, cinq mille fantassins, et un gros de chevau-légers.

Il laissait sur l’autre rive un corps de troupes considérable, sous le commandement d’Antoine, fils naturel de Frédéric Montefeltro, duc d’Urbin, auquel il prescrivit d’attendre de nouveaux ordres pour venir le joindre. Enfin, une partie de sa cavalerie légère devait aller prendre les Français en flanc, pendant que le reste, traversant le Taro vis-à-vis Rocca-Lazzone, s’emparerait du bagage, que la pénurie de troupes ne permettait pas au roi de faire garder.

Charles VIII, ayant vu le mouvement du marquis de Mantoue, fit marcher sur-le-champ son corps de bataille au secours de l’arrière-garde, et il se précipita lui-même avec tant de diligence à la tête d’une compagnie d’hommes d’armes, que, dès le commencement de l’action, il se trouva aux premiers rangs. La mêlée s’engagea bientôt, et le combat se soutint de part et d’autre avec une égale ardeur. La terre fut en un instant jonchée d’hommes et de chevaux, l’acharnement fut porté à son comble, et les Italiens, encouragés par leur grand nombre, et surtout par l’exemple du brave Gonzague, qui était présent partout, allaient peut-être remporter l’avantage, lorsque le corps de bataille vint mettre fin aux dangers que le roi courait personnellement, et lui rendit l’espérance.

Pendant ce nouveau choc, qui fut terrible, les chevau-légers pillaient le bagage, au lieu de l’enlever militairement, et traversaient le torrent avec les mulets, les chevaux et les autres équipages, rapporte Philippe de Commines. À la vue de leurs compagnons chargés de butin, tous les chevau-légers, destinés à pénétrer dans la ligne française par les ouvertures que le choc des lances y avait faites, coururent au pillage, et entraînèrent avec eux l’infanterie et la grosse cavalerie.

Les Italiens, affaiblis et vainement soutenus par l’intrépidité de leur général, se trouvèrent enfin acculés contre le torrent, qu’ils furent contraints de repasser en désordre, et ils rejoignirent le corps d’Antoine de Montefeltro, qui n’avait fait aucun mouvement, parce que Rodolfe, oncle du marquis de Mantoue, avait été tué en lui portant l’ordre d’avancer.

Pendant que l’avantage se décidait en faveur des Français à l’arrière-garde et au centre, le succès de l’avant-garde avait encore été plus rapide ; elle avait répondu à la première attaque des Milanais par une charge si impétueuse, qu’ils avaient regagné à la hâte le gros de leur armée. Le maréchal de Gié aurait pu les poursuivre ; mais, voyant sur l’autre rive un corps de gendarmes en bataille, il avait cru prudent de ne point permettre à sa troupe de se disperser, et il avait attendu dans une belle contenance l’arrière-garde et le corps de bataille.

Les préparatifs du combat avaient occupé une heure environ ; « mais, dit Philippe de Commines, ne dura point le combat un quart d’heure, car, dès que les ennemis eurent rompus [été mis en désordre] ou jeté les lances, tout fuit. Leurs batailles d’Italie n’ont point accoutumé d’être telles, car ils combattent escadre après escadre, et durent quelquefois tout le jour sans que l’un ni l’autre gagne. » Ce combat fut néanmoins l’un des plus meurtriers qu’on eût vus depuis longtemps en Italie, bien que l’artillerie n’y ait presque point eu de part. Camille Vitelli, Trivulce, le comte de Vendôme et Louis de La Trémoille, avaient particulièrement contribué au gain de cette bataille, dans laquelle venait de se distinguer, à l’âge de vingt ans, Pierre du Terrail, cet immortel Bayard, auquel sa bravoure et ses talents méritèrent, par la suite, le titre de chevalier sans peur et sans reproche.

Bataille de Fornoue. Gravure réalisée d'après une peinture d'Éloi Firmin Féron (1837). Le cavalier de gauche est identifié à Charles VIII. Le jeune homme se battant à pied, tenant une épée dans sa main gauche et brandissant l'étendard pris à l'ennemi est Bayard

Bataille de Fornoue. Gravure réalisée d’après une peinture d’Éloi Firmin Féron (1837).
Le cavalier de gauche est identifié à Charles VIII. Le jeune homme se battant à pied, tenant
une épée dans sa main gauche et brandissant l’étendard pris à l’ennemi est Bayard

À la nuit, l’armée italienne rentra dans son camp, l’armée française campa à un quart de lieue du champ de bataille. « Et descendit le roi en une métairie pauvrement édifiée, rapporte Commines ; mais où il se trouva nombre infini de blé en gerbe, dont toute l’armée se sentit. Aucune autre maisonnette n’y avait auprès qui pût servir ; chacun logea comme il put. Je sais bien que je couchai en une vigne, sur la terre, et sans manteau ; car le roi avait emprunté le mien le matin, et mes sommiers [bêtes de somme] étaient loin. Qui eut de quoi fit collation ; mais bien peu en avaient, si ce n’était quelque lopin de pain pris au sein d’un valet. Je vis le roi en sa chambre, où il y avait des gens blessés, comme le sénéchal de Lyon, et autres, qu’il faisait habiller [panser], et n’étions point tant en gloire comme peu avant la bataille, parce que nous voyions les ennemis près de nous. Cette nuit firent, les Allemands, le guet, et le firent bien, et sonnaient bien leurs tambourins. »

Charles VIII passa la journée du 7 juillet à Medesana, au-dessous de Fornovo. Il envoya Commines au camp vénitien, pour ouvrir de nouvelles négociations qui furent remises au lendemain ; mais, sans en attendre le résultat, l’armée française partit le 8, une heure avant le jour, et se dirigea sur San-Donnino.

Le gonflement des eaux ne permit point aux Vénitiens de passer le Taro avant quatre heures de l’après-midi. Les Français eurent ainsi une journée d’avance sur leurs ennemis. Ils marchaient sans s’arrêter, mais avec ordre, et supportant avec patience les privations et les fatigues. Les gentilshommes, comme les simples fantassins, prêtaient leurs bras et leurs chevaux pour faire avancer l’artillerie, et allaient à leur tour recueillir les vivres et les fourrages.

Trois cents Suisses, armés de couleuvrines et d’arquebuses, couvraient la retraite contre les Stradiotes, qui inquiétaient les traînards. Les provéditcurs vénitiens, effrayés de la défaite de Fornovo, ne voulurent jamais consentir à ce que l’armée coalisée s’approchât assez pour livrer une seconde bataille. Charles VIII, continuant sa route, arriva le 15 juillet devant Asti, sans avoir perdu un seul canon.

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