LA FRANCE PITTORESQUE
30 juin 1278 : pendaison du grand
chambellan Pierre de La Brosse
(D’après « Histoire générale de France depuis les temps les
plus reculés jusqu’à nos jours » par Abel Hugo (Tome 3) paru en 1839, « Biographie universelle ancienne et moderne » (Tome 6) paru en 1812,
« Dictionnaire de la conversation et de la lecture » (Tome 8) paru en 1833,
« Histoire de Touraine, depuis la conquête des Gaules par les Romains,
jusqu’à l’année 1790 » (Tome 4) paru en 1828 et « Mémoires historiques,
critiques et anecdotes des reines et régentes de France »
par Jean-François Dreux du Radier (Tome 3) édition de 1782)
Publié le dimanche 28 mai 2017, par Redaction
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Chirurgien du roi saint Louis, il gagne la confiance de son successeur Philippe le Hardi et s’attire le profond respect des barons, prélats et chevaliers du royaume, avant que certains d’entre eux ne deviennent jaloux de lui voir exercer tant de puissance et amasser nombre de richesses
 

Né en 1230 en Touraine, Pierre de la Brosse était de famille bourgeoise, fils de Pierre de la Brosse II mort en 1252, sergent du roi saint Louis, et de Perronelle Pinet remariée en 1269 à Geoffroy de Varettes, chevalier. Il était également le petit-fils de Pierre de la Brosse Ier, à qui Dreux de Mello, seigneur de Loches, en Touraine, avait en 1219 donné une rente en considération des bons services qu’il en avait reçus.

Le Pierre de la Brosse qui nous occupe, dit seigneur de la Brosse, l’était aussi de Langeais et de Châtillon-sur-Indre, en Touraine, de la Louppelande et de Moliberne, en Anjou, de Damville et de Corneilles, en Normandie, de Chémery en Nivernais, de Fains en Berry, et de deux maisons et une rente à Chartres, de plusieurs droits et parties de rentes considérables. Ses richesses et sa faveur furent cause de sa disgrâce.

Il paraît qu’il étudia l’art de la chirurgie et que, l’emploi de son père lui ayant donné quelque accès à la cour, il y devint en 1261 le barbier, autrement dit le chirurgien de Philippe, fils aîné du roi saint Louis, et qu’il capta tellement la faveur de ce jeune prince, que lorsque ce dernier fut parvenu à la couronne après la mort de son père en 1270, il nomma Pierre son grand-chambellan, et lui confia le maniement des affaires les plus importantes de l’État. Bientôt, Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, ne posséda plus entièrement la confiance du jeune roi, et la faveur du chambellan nuisit beaucoup à l’autorité du premier ministre.

Matthieu, abbé de Saint-Denis et conseiller intime de Philippe le Hardi, consulte la béguine de Nivelle. Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (fin du XIVe siècle)

Matthieu, abbé de Saint-Denis et conseiller intime de Philippe le Hardi, consulte
la béguine de Nivelle. Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (fin du XIVe siècle)

Le roi Philippe le Hardi perdit, en 1271, sa première femme, Isabelle d’Aragon, dont il avait trois enfants, et épousa, en 1274, une princesse remarquable par son esprit et par ses charmes, Marie de Brabant, dont il eut un fils, tige de la branche royale d’Évreux. Ici commence un tissu d’atrocités invraisemblables, qui n’a jamais été appuyé par des preuves, et qui alimentèrent la légende noire entourant Pierre de la Brosse.

Selon Guillaume de Nangis, moine bénédictin de l’abbaye Saint-Denis et chroniqueur contemporain de saint Louis et de Philippe le Hardi, la reine faisant de jour en jour « des progrès dans l’amour et la faveur du roi, Pierre de La Brosse, chambellan du roi Philippe (qui lui-même vivait alors dans une si étroite familiarité avec le roi son seigneur, qu’au-dessus de tous et par tous il était honoré dans la cour du roi) commença à s’affliger, à ce que plusieurs assurent, de ce penchant du roi pour la reine. Il imagina qu’une femme bien intentionnée pouvait le connaître pour ce qu’il était, peut-être parce qu’il avait quelque reproche à se faire, ou parce que sa familiarité préjudiciable à la majesté royale pouvait en souffrir.

« De ce moment, dit-on, l’iniquité fut conçue dans son cœur. Il commença à chercher de quelle manière il pourrait détourner le cœur du roi de l’amour de la reine, ou l’en détacher entièrement. » Guillaume de Nangis explique que Philippe prit pour tant de goût pour La Brosse, « lui accorda une telle confiance en toutes choses, et l’éleva si haut, que tous les barons, prélats et chevaliers du royaume de France lui rendaient de grands honneurs et le comblaient de présents considérables. Ils le craignaient même beaucoup, parce qu’il faisait faire au roi tout ce qu’il voulait. »

Notre chroniqueur raconte qu’ « en 1276, mourut Louis, fils aîné du roi de France ; quelques uns répandaient le bruit tout bas qu’il avait été empoisonné, et ce bruit, Pierre de La Brosse s’efforça de le confirmer dans l’esprit du roi. Il travaillait, en effet, mais non pas ouvertement, à faire croire que la mort de l’enfant devait être attribuée à la reine Marie, épouse du roi, et que celle-ci préparait le même sort aux autres enfants de la première épouse, afin de transmettre leur droit d’hérédité aux enfants qui naîtraient d’elle-même. »

Guillaume de Nangis poursuit : « Il y avait alors en France deux faux prophètes : le vicaire de l’église de Laon, et un certain Sarabita [ce nom était alors donné aux reclus volontaires qui, sans se soumettre à aucune règle, se consacraient à la vie monastique], le pire des hommes, ainsi qu’une fausse prophétesse, la béguine de Nivelle. Ils n’étaient approuvés par aucune religion, mentaient au nom de Dieu, et prétendaient prouver leur seconde vue par la vie austère dont ils faisaient parade au-dehors ; l’esprit de mensonge parlant par leur bouche abusa cependant quelques hommes qui ajoutèrent foi à leurs paroles.

« Pierre de La Brosse, selon la pensée de beaucoup de gens en France, les avait engagés par promesse à dire de la reine des choses qui pussent diminuer l’amour et la faveur que lui accordait le roi. Philippe, ému de leurs oracles, envoya Matthieu, abbé de Saint-Denis, son conseiller intime, et Pierre, évêque de Bayeux, beau-frère de Pierre de La Brosse, consulter ensemble la béguine, afin de savoir la vérité au sujet de son fils ; mais l’abbé fut précédé par l’évêque ; celui-ci parla le premier seul à cette femme ; on ignore ce qu’elle lui dit. Lorsque l’abbé vint ensuite, elle n’ouvrit la bouche que pour dire : J’ai parlé à l’évêque votre compagnon, et je lui ai clairement expliqué ce qu’il m’a demandé. L’abbé s’indigna de la conduite de l’évêque et des réponses de cette femme ; il pensa à part lui qu’elle avait médité quelque trahison.

Entrevue du comte d'Artois et du roi Alphonse de Castille. Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (fin du XIVe siècle)

Entrevue du comte d’Artois et du roi Alphonse de Castille. Enluminure extraite
des Grandes Chroniques de France (fin du XIVe siècle)

« Lorsqu’ils furent tous deux de retour, le roi interrogea d’abord l’abbé, et lui demanda quelles réponses la béguine avait faites à ses ordres. L’abbé lui apprit qu’il avait été précédé par l’évêque, et que la prophétesse n’avait rien voulu lui répondre. Le roi fit aussitôt approcher l’évêque qui répondit ainsi à ses demandes : Roi, mon seigneur, cette femme m’a révélé sous le sceau de la confession des choses que je ne puis ni ne dois répéter à vous ni à d’autres. Le roi irrité lui dit : Je ne vous avais pas envoyé pour confesser cette femme ; mais je n’en resterai pas là, et, si je puis, la vérité sera connue. Le roi dépêcha alors vers la prophétesse Thibault, évêque de Dol en Bretagne, et Arnolphe de Visemale, chevalier du Temple. Ceux-ci se rendirent en toute hâte à Nivelle, et, entamant la conversation, ils apprirent à la béguine qu’ils étaient envoyés par le roi.

« La béguine les reçut avec joie, et, après beaucoup de questions, leur dit : Dites au roi que si on a mal parlé de la reine son épouse, il n’y ajoute aucune foi, parce qu’elle est bonne et fidèle, et l’aime de tout son cœur ainsi que les siens. Les envoyés revinrent et racontèrent fidèlement au roi ce qu’ils avaient entendu. Le roi comprit facilement qu’il avait auprès de lui des serviteurs qui n’étaient ni bons ni fidèles ; mais il ne découvrit point alors les pensées de son cœur, et même il les dissimula autant que possible. »

La France était alors en guerre avec Alphonse X, roi de Castille : le comte d’Artois, qui commandait l’armée française envoyée en Espagne, eut une entrevue avec ce roi, et prétendit qu’il était convenu d’avoir des intelligences à la cour de Philippe le Hardi, et des espions dans son conseil. On répandit le bruit que Pierre de La Brosse était le traître.

Près de deux ans plus tard, et toujours selon Guillaume de Nangis, « il arriva que, le roi Philippe se trouvant à Melun-sur-Seine, un moine vint lui apporter des lettres qu’il disait avoir été laissées, enveloppées de poix, dans l’hospice de son abbaye, par un messager qui y était mort, et qui avait recommandé de ne les remettre à nul autre qu’au roi. Celui-ci fit un gracieux accueil au moine, et, mandant aussitôt son conseil, fit ouvrir les lettres, qui portaient le sceau de Pierre de La Brosse. Le contenu de ces lettres a été et est encore ignoré de tout le monde, excepté de ceux qui faisaient partie du conseil.

« Tout ce qu’on sait, c’est qu’il les étonna beaucoup, et qu’aussitôt le roi quitta Melun pour venir à Paris, où il eut une nouvelle délibération avec son conseil, à la suite de laquelle Pierre de La Brosse, s’étant rendu au bois de Vincennes près Paris, y fut fait prisonnier, enfermé d’abord à Paris, puis conduit à Janville en Beauce, et emprisonné dans une forteresse. Aussitôt que l’évêque de Bayeux, parent de Pierre de La Brosse, apprit son arrestation, il quitta la France, et se réfugia à Rome, où il fut forcé de rester longtemps comme exilé sous la protection du souverain pontife. Ramené à Paris, et emprisonné de nouveau, Pierre de La Brosse fut attaché au gibet des voleurs », après un procès qui ne fut point instruit publiquement et mené par une commission composée du duc Robert II de Bourgogne, du duc Jean Ier de Brabant — frère de la reine Marie —, et du comte Robert II d’Artois, neveu de feu saint Louis et cousin de Philippe III.

Pierre de La Brosse avait peu de faveur à attendre de tels juges, qu’un profond secret sur l’objet même de l’accusation mettait à l’abri de toute responsabilité. Les ducs de Bourgogne et de Brabant, le comte d’Artois, et une foule de seigneurs à qui sa mort était agréable parce qu’il leur avait rendu de mauvais services auprès du roi, voulurent assister à son exécution. Pierre de La Brosse fut pendu au gibet de Montfaucon, le 30 juin 1278.

Pendaison de Pierre de La Brosse. Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (fin du XIVe siècle)

Pendaison de Pierre de La Brosse. Enluminure extraite
des Grandes Chroniques de France (fin du XIVe siècle)

Rien ne prouve qu’il fut coupable de haute trahison ; Mézerai, cependant, trouve « qu’il l’était assez quand il n’aurait commis d’autre crime que d’avoir obsédé son roi, et enlacé sa personne sacrée et son esprit par ses artifices ». Pour l’historien Jean de Sismondi (1773-1842), « s’il faut en croire la Chronique de Saint-Magloire, les barons durent faire une sorte de violence au roi pour lui arracher son consentement à ce supplice, et le peuple regarda La Brosse comme victime de l’envie, non comme un coupable puni de ses forfaits. » Et l’on peut en effet lire dans cette chronique :

L’an mil et deux cent septante huit,
S’accordèrent li barons tuit
A Pierre de la Brosse pendre :
Pendu fu sans reançon prendre.
Conte la volonté li roy,
Fu il pendu, si com je croy.
Mien encient qu’il fu desfet
Plus par envie que par fet.

Durant sa période faste, Pierre de La Brosse avait acheté d’Alphonse de France, comte de Poitiers et de Toulouse, oncle du roi, la seigneurie de Langeais, et de Maurice de Craon, sénéchal des trois provinces, tous les droits qu’il pouvait avoir sur ce domaine. Il avait acquis pareillement la terre de Danville de Robert de Courtenay, « le lundi avant les Brandons, l’an 1274 ».

À la mort de Pierre de La Brosse, ses biens furent confisqués, et la châtellenie de Langeais fut réunie à la couronne. Il paraît qu’il eut deux femmes : la première était sœur de Pierre de Benais, et la seconde était fille de Mathieu de Saint-Venant. Il laissa quatre enfants : Pierre, qui se maria avec Jeanne de Parthenay, mais dont le mariage fut rompu par le supplice de son père ; Renée, femme de Simon de Beaugency ; Isabeau, mariée à Mathieu de Vatebois ; Perrenelle, femme d’Étienne de Savary.

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