LA FRANCE PITTORESQUE
30 juin 1670 : mort d’Henriette d’Angleterre,
petite-fille d’Henri IV
()
Publié le vendredi 29 juin 2012, par Redaction
Imprimer cet article

Henriette d’Angleterre, fille de l’infortuné Charles Ier et de Henriette de France, était née à Excester en 1644. Philippe de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIV, l’épousa en 1661. Elle avait les grâces de la figure, l’esprit, les vertus douces et aimables de sa bisaïeule Marie Stuart, avec laquelle sa mort prématurée et cruelle lui donne encore un trait de ressemblance de plus. Elle fut le plus bel ornement de la cour de Louis XIV. Elle a été immortalisée par la relation attendrissante que madame de la Fayette nous a donnée de sa mort, et par ce grand monument d’éloquence que Bossuet a consacré à sa gloire : « Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable où retentit tout-à-coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! »

Henriette-Anne d'Angleterre

Henriette d’Angleterre

Quel ne dut pas être l’effet de ces terribles paroles sur des auditeurs qui croyaient que cette princesse était morte empoisonnée ! Cette opinion, à peu près générale à l’époque de la mort de la duchesse d’Orléans, avait cédé à l’autorité de Voltaire, qui la regarde comme un bruit populaire, destitué de fondement. Mais depuis, la publication des lettres de Madame, seconde femme du duc d’Orléans, les Mémoires du duc de Saint-Simon, et les Fragments historiques de Duclos, ont changé les soupçons en certitude. Voici le récit de Duclos, dont la véracité n’est pas douteuse :

« Le public a toujours soupçonné que Madame était morte empoisonnée. Madame étant à Saint-Cloud, en parfaite santé, but un verre d’eau de chicorée : dans l’instant, elle sentit des douleurs aiguës dans l’estomac. Les convulsions suivirent. Six heures après elle était morte. Il eût été difficile de ne pas soupçonner de poison une mort si prompte et si violente. Mais ce n’est plus un soupçon, c’est un fait certain, quoique les preuves en soient connues de très peu de personnes. Le roi, frappé des circonstances de cette mort, fit venir devant lui Morel, contrôleur de la bouche de Madame ; il fut introduit secrètement la nuit même qui suivit la mort de cette princesse, dans Je cabinet du roi, qui n’avait avec lui que deux domestiques de confiance, et l’officier des gardes du corps qui amena ce domestique.

« — Regardez-moi, lui dit le roi, et songez à ce que vous allez dire. Soyez sûr de la vie, si c’est la vérité ; mais si vous osez me mentir, votre supplice est prêt. Je sais que Madame est morte empoisonnée ; mais je veux savoir les circonstances du crime.

« — Sire , répondit Morel sans se déconcerter, votre majesté me regarde avec justice comme un scélérat ; mais, après sa parole sacrée, je serais un imbécile si j’osais lui mentir. Madame a été empoisonnée : le chevalier de Lorraine a envoyé de Rome le poison au marquis d’Effiat, et nous l’avons mis dans l’eau que Madame a bue.

« — Mon frère, reprit le roi, le savait-il ?

« — Monsieur, dit Morel, nous le connaissons trop pour lui avoir confié le secret.

« Alors le roi respirant :

« — Me voilà soulagé ! Sortez.

« Pour entendre ce qui regarde le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat, il faut savoir que le chevalier de Lorraine, d’une figure charmante, d’un esprit séduisant, et sans aucun principe, était passionnément aimé de Monsieur. Le chevalier avait un tel ascendant sur l’esprit de Monsieur, qu’il exerçait sur la maison de ce prince un empire absolu, dont il abusait au point que Madame en éprouvait des insolences qu’elle n’aurait pas eu à craindre d’une rivale de son sexe. Le chevalier de Lorraine avait envoyé le poison au marquis d’Effiat, premier écuyer de Monsieur, et digne d’être son ami, autant que des scélérats peuvent l’être. D’Effiat était petit-fils du maréchal d’Effiat, et fils du frère aîné de Cinq-Mars, grand écuyer, décapité à Lyon avec de Thou. C’était un homme de beaucoup d’esprit, et qui ayant connu que le chevalier de Lorraine était le maître de Monsieur, s’y était totalement dévoué. Je l’ai vu dans ma première jeunesse à Chilly : c’était alors un petit vieillard assez vigoureux pour monter des chevaux très vifs. Il mourut à plus de quatre-vingts ans, en 1719.

« Un des trois témoins de l’interrogatoire de Morel le dit longtems après au procureur-général Joly de Fleury, père de celui d’aujourd’hui, et je le tiens d’abord d’un magistrat très distingué, ami du procureur-général. Mais je l’ai su encore d’un plus qu’ami de mademoiselle Chausseraie, à laquelle le roi l’avait dit : elle avait fait des Mémoires très curieux, que l’abbé d’Andigné, son parent, lui conseilla de brûler. Je soupçonne que l’ami intime qu’elle en chargea ne les sacrifia pas tous ; car il me promit un jour de les rechercher, et nous n’avons pas eu depuis occasion de nous retrouver ; mais dans une longue conversation que nous eûmes ensemble, il me confirma tous les faits dont il me voyait instruit, et m’en apprit beaucoup d’autres Quelque indignation que la présence du chevalier de Lorraine et du marquis d’Effiat pût réveiller dans le cœur du roi, ce prince, ne voulant pas laisser soupçonner qu’il sût rien de cet affreux secret, traita extérieurement d’Effiat comme à l’ordinaire, et accorda, après quelque temps, à Monsieur, le retour du chevalier. »

Nous devons faire remarquer ici que la conduite de Louis XIV à l’égard du chevalier de Lorraine et du marquis d’Effiat nous semble infirmer la vérité du récit de Duclos. Comment des raisons d’un ordre aussi inférieur auront-elles pu faire supporter à Louis XIV la présence de deux hommes coupables d’un crime aussi affreux ? Deux ans après la mort de la duchesse d’Orléans, il rappela le chevalier de Lorraine, et le nomma maréchal de camp, comme pour le consoler de son exil. Le marquis d’Effiat ne quitta point la cour, et il ne paraît pas qu’il y ait jamais éprouvé le moindre désagrément.

Une autre observation qui ne paraîtra pas moins étrange, c’est que madame de Bavière, la seconde femme du frère de Louis XIV, après avoir formellement accusé le chevalier de Lorraine d’avoir empoisonné celle qu’elle remplaçait, nous apprend elle-même, dans ses lettres, qu’elle se réconcilia sincèrement avec celui qu’elle regardait comme un empoisonneur. Mais reprenons le récit de Duclos :

« Il ne s’agit plus que d’expliquer, continue cet historien, pourquoi le chevalier fit empoisonner Madame. Louis XIV, voulant porter la guerre en Hollande, voulut aussi s’assurer de Charles II, roi d’Angleterre : pour y parvenir, il engagea Madame, sœur de Charles, à passer en Angleterre, et pour que ne voyage parût un effet du hasard, et non d’un projet politique, Louis XIV parut aller visiter ses conquêtes des Pays-Bas, et y mena toute sa cour. Madame alors prit le prétexte du voisinage pour demander la permission de passer la mer, et d’aller voir son frère. Il n’y avait d’abord que M. de Turenne et Louvois d’instruits du vrai motif du voyage ; mais M. de Turenne, amoureux de madame de Coëtquen, lui confia le secret dès le premier moment, afin qu’elle prît ses mesures pour être du voyage.

« Madame de Coëtquen, qui aimait le chevalier de Lorraine, ne manqua pas de lui dire le mystère du voyage, et le chevalier n’eut rien de plus pressé que d’en instruire Monsieur. Ce prince fut outré qu’on eût eu assez peu d’égards pour lui cacher un projet où sa femme jouait le principal rôle. N’osant exhaler son ressentiment contre le roi, il traita Madame si mal, que le roi, dans la crainte que cette dissension domestique ne fît un éclat qui divulguerait le secret, fit arrêter le chevalier de Lorraine, l’envoya prisonnier à Pierre-Encise, de là au château d’If. Alors Monsieur, plus furieux que jamais, se retira à Villers-Cotterêts, et y emmena sa femme. Le roi, employant à la fois l’autorité et la douceur, envoya M. Colbert à Villers-Cotterêts, pour ordonner le secret du voyage à Monsieur, et le ramener à la cour.

« On convint qu’il reviendrait, et que le chevalier de Lorraine sortirait de prison, mais qu’il irait quelques mois en Italie. Le roi fit ensuite la tournée de Flandres, qui couvrit le voyage de Madame en Angleterre, d’où elle revint le 12 de juin, après avoir engagé Charles II à s’unir à la France contre la Hollande. Pendant ce temps-là, le chevalier de Lorraine, qui sentait qu’il n’obtiendrait jamais son rappel que du consentement de Madame, ce qu’elle était fort éloignée d’accorder, prit le parti de s’en défaire par le poison. Le roi le fit revenir dans la suite : il s’en servait pour gouverner Monsieur. Le chevalier de Lorraine mourut en 1702. »

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE