LA FRANCE PITTORESQUE
27 juin 1720 : mort de Chaulieu,
poète français
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Publié le vendredi 29 juin 2012, par Redaction
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Guillaume Amfrye de Chaulieu était de la famille légère et brillante de ces petits abbés, qui, pendant près d’un siècle, fourmillèrent à la ville et à la cour. Il naquit, en 1639, au château de Fontenay, dans le Vexin normand. Son père était maître des comptes à Rouen. Les agréments de son esprit lui valurent, dès sa jeunesse, la faveur des ducs de Vendôme. Ces guerriers épicuriens, qui protégeaient et cultivaient les lettres, confèrent à un poète-abbé l’administration de leurs finances.

Mais ce poète était natif de Normandie, et Chaulieu sut se rendre si utile, si agréable à ses protecteurs, qu’ils le firent nommer abbé d’Aumale, et prieur de Saint-Gurges, de Poitiers, de Chenel et de Saint-Etienne. Ces bénéfices réunis valaient à leur titulaire trente mille livres de rente, qu’il s’attacha à dépenser joyeusement.

Fidèle aux préceptes, aux leçons de son professeur en poésie et en bonne chère, du bachique Chapelle, Chaulieu fixa son séjour au Temple, palais du prieur de Vendôme. Sa maison devint bientôt le rendez-vous, ou, pour mieux dire, la demeure de tous les Epicuriens tant soit peu raffnés. L’amabilité, la gaieté, l’esprit et l’amour du plaisir, étaient tout ce qu’on exigeait dus convives : les abbés y abondaient, bien que les passe-temps n’y fussent pas très canoniques ; les joyeux rimeurs y étaient reçus au partage des délices qu’ils savaient chanter ; quelques grands seigneurs y obtenaient des places, accordées à leur naissance ; des femmes, d’autant plus séduisantes qu’elles étaient moins sévères, y promenaient à la ronde leurs caprices et leurs faveurs ; en un mot, le Temple servait d’asile à une secte voluptueuse, pour qui la vie n’était qu’une longue ivresse.

Les débauches de la nuit enchaînaient les plaisirs de la veille à ceux du lendemain. Pendant quarante ans, ce ne fut qu’une brillante fête, durant laquelle Chaulieu, oubliant les années comme elles semblaient l’oublier, fut toujours le plus folâtre des abbés, le plus aimable des convives, le plus facile des rimeurs, et le plus ardent des Epicuriens. Les infirmités même, lorsqu’elles arrivèrent, ne lui firent pas comprendre que son temps était passé ; asthmatique, goutteux, aveugle et septuagénaire, il aima la spirituelle et penseuse mademoiselle Delaunay, avec tout le feu d’un amant de vingt-cinq ans, et chanta ses amours avec toute la verve d’un poète adolescent. L’Anacréon du Temple, comme il fut surnommé, mit aux pieds de la moderne Laïs sa fortune, sa maison, sa liberté, ses volontés et sa personne. Madame de Staal disposa de tout. A quelles conditions ? Voilà ce qu’elle a oublié de nous dire dans ses Mémoires.

Chaulieu prolongea sa carrière voluptueuse ,jusqu’à l’âge de quatre-vingt-un ans, et mourut dans sa maison du Temple, sur le théâtre de ses plaisirs. Son corps fut transporté à Fontenay, et inhumé sons l’ombrage des arbres qui l’avaient vu naître, et qu’il avait chantés. Voltaire appelle Chaulieu le premier des poètes négligés. La Harpe confirme ce jugement. Il loue la verve, la passion, l’entraînement, et quelquefois le brillant coloris qui échauffent et vivifient quelques-unes de ses poésies érotiques et bachiques ; mais il l’accuse de paresse, d’incorrection. Les éloges et les critiques sont également mérités ; cependant, connue le fait observer Lemontey, il faut en quelque sorte diviser Chaulieu : il y a en lui un versificateur et un poète.

Chaulieu le versificateur est mort depuis longtemps ; la gloire de ses chants a été éphémère, comme les plaisirs qui les avaient inspirés, Il écrivait en courant, ne semblait pas vouloir prendre sur ses voluptés le temps qu’il eût fallu consacrer à les peindre, et aimait mieux jouir que raconter ses jouissances. Aussi les vers que lui a dictés l’ivresse des sens sont communs, fades, mielleux, etc. De plus, le goût du temps les embarrasse de tout l’attirail mythologique, qui n’est plus de mode aujourd’hui que nous savons parler d’amour sans invoquer Cupidon ni Cythérée. Mais Chaulieu le poète n’a pas vieilli et ne mourra pas. Les pièces qui fondent sa renommée ont été composées sur un lit de douleur, où l’enchaînait la goutte. Lorsque la maladie vint l’arracher à ses plaisirs, et l’obliger, en le condamnant à l’inaction, à penser à creuser sa mine poétique, à polir ses conceptions, alors il dicta ses stances délicieuses sur la solitude de Fontenay, sur la retraite, sur la goutte ; alors sa voix s’épura, devint harmonieuse, et quelquefois plaintive ; alors enfin il fut poète.

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