LA FRANCE PITTORESQUE
24 juin 888 : le roi franc Eudes
remporte la bataille de Montfaucon
face aux Normands
(D’après « Histoire générale de France depuis les temps les plus reculés
jusqu’à nos jours » (Tome 2) par Abel Hugo, paru en 1837)
Publié le mercredi 23 juin 2021, par Redaction
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Après la déposition de Charles le Gros en novembre 887, Eudes, qui avait si vaillamment défendu Paris contre les Normands deux ans plus tôt, fut proclamé roi des Francs et eut l’occasion, le 24 juin 888, d’affermir la couronne sur sa tête en mettant en déroute l’armée de Rollon, qui s’était rendu maître et avait livré au pillage les villes de Meaux, Troyes, Toul et Verdun notamment
 

Le traité que Charles le Gros, empereur d’Occident et roi des Francs, placé à la tête d’une puissante armée, avait fait avec les Normands en 886 — lorsque ces derniers avaient assiégé Paris, il leur avait permis de passer pour mettre à sac la Bourgogne qui était en révolte contre son pouvoir central, et leur avait de surcroît promis de payer une rançon de 700 livres d’argent l’année suivante —, qu’il lui eût été si facile de combattre et de forcer à s’éloigner de Paris, causa dans tout l’empire une indignation générale.

On avait attribué la conduite de l’empereur à un commencement de démence, et l’empire, en butte aux attaques des Normands et menacé par l’approche des Hongrois, ne pouvait exister et se défendre qu’avec un chef courageux et actif. Aussi les hauts dignitaires, ayant été convoqués au palais de Tribur en novembre 887 — sur la rive droite du Rhin, entre Oppenheim et Mayence —, à une assemblée générale, « et s’apercevant, disent les Annales de Metz, que non seulement les forces du corps, mais les facultés de l’esprit abandonnaient Charles », l’avaient destitué.

Eudes, roi des Francs de 888 à 898. Gravure extraite du Recueil des effigies des rois de France avec un sommaire des généalogies, faits et gestes d'iceux (1567)

Eudes, roi des Francs de 888 à 898. Gravure extraite du Recueil des effigies
des rois de France avec un sommaire des généalogies, faits et gestes d’iceux
(1567)

Après sa mort, survenue deux mois plus tard (le 12 janvier 888), « fut dissoute, à faute d’héritier légitime, l’union des royaumes qui avaient obéi à sa domination ; chacun de ces royaumes, ne pouvant attendre un maître naturel, voulut se donner un roi tiré de son sein ; ce qui cause, rapportent les Annales de Metz, de grandes agitations et de longues guerres ; non qu’il manquât parmi les Francs de princes capables par leur noblesse, courage et sagesse de gouverner l’empire, mais parce qu’entre ces princes l’égalité de naissance, de dignité et de puissance, entretenait la discorde, aucun n’étant assez supérieur aux autres pour que ceux-ci consentissent à se soumettre à sa domination. Car la France avait donné le jour à beaucoup de princes dignes de manier le gouvernail de l’empire, n’était que la fortune, pour leur perte mutuelle, les armait tous les uns contre les autres d’une égale émulation de vertu. »

Ainsi, peu de temps après la mort de Charles le Gros, l’empire de Charlemagne se trouva divisé en sept royaumes principaux : 1° le royaume de France ; il ne comprenait réellement que les pays situés entre l’Océan, l’Escaut, la Meuse, la Saône, le Rhône et la Loire. La Bretagne et la Gaule méridionale n’en faisaient partie que nominalement et continuaient à former des états indépendants ; 2° le royaume de Navarre ; 3° le royaume de Provence ou Bourgogne cisjurane ; 4° le royaume de Bourgogne transjurane ; 5° le royaume de Lorraine ; 6° le royaume de Germanie ; 7° et enfin le royaume d’Italie.

Le roi Arnulf avait été choisi par les Francs de la Germanie, les Francs de la Gaule ne voulurent pas deux fois de suite recevoir un roi d’outre Rhin. Leur choix s’arrêta sur le comte Eudes, qui s’était naguère signalé en défendant Paris. Eudes, duc de France, était fils de Robert le Fort, et frère de l’abbé Hugo, à qui ses victoires contre les Normands avaient mérité le surnom de grand.

L’élection du roi Eudes fut faite par les Francs neustriens seuls. L’Aquitaine et la Gaule méridionale n’y prirent aucune part. La Bretagne, occupée à se défendre contre les Normands, était sans relations avec le reste de la Gaule ; enfin la Lorraine formait déjà un royaume indépendant soumis au nouveau roi de Germanie. Dans l’Aquitaine, partagée entre Guillaume le Pieux, comte d’Auvergne et marquis de Gothie, et Rainulf, comte de Poitiers, une assez vive opposition se manifesta à la nouvelle de l’élection faite en Neustrie. Les Aquitains se rappelèrent que leur pays avait eu aussi son indépendance et sa nationalité propre. Rainulf, profitant de la manifestation du vœu populaire, se fit, à Poitiers, proclamer roi d’Aquitaine.

Eudes voulut faire respecter son nouveau titre de roi des Francs : il passa la Loire, livra bataille à Rainulf, le vainquit et s’empara de la ville et du comté de Poitiers qu’il donna à Robert son frère. Rainulf chercha un refuge en Auvergne, auprès de son allié Guillaume ; mais Robert ne jouit pas longtemps des états que son frère lui avait donnés ; il en fut chassé par un certain Adhémar qu’Abbon — historien et moine de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés — désigne comme parent du roi Eudes, et qui, descendant d’Emenon, ancien comte de Poitiers, prétendait avoir des droits à ce comté.

Eudes se trouvait alors sur la frontière septentrionale de son royaume. Il y était allé combattre les Normands qui, chassés des rives de la Seine, avaient porté leurs ravages de ce côté, et remporta le 24 juin 888 une double victoire dont Abbon fait le récit en ces termes :

« On appelle Montfaucon [en Argonne, entre l’Aisne et la Meuse] le lieu où ce prince battit d’abord dix mille cavaliers et ensuite neuf mille fantassins normands, n’ayant pour toute suite que mille hommes armés de boucliers. Le roi Eudes suivait son chemin. Tout à coup un chasseur, qui poursuivait avec ses chiens les lièvres des forêts, lui apprend que des cavaliers barbares s’approchent par milliers. Eudes saisit son bouclier, et le suspend à son col ; prévoyant que des combats inattendus le menacent, il revêt ses armes ; ses compagnons s’arment à son exemple. Après avoir imploré les secours du ciel, le héros fond sur les ennemis ; les uns perdent et leurs boucliers et la vie, les autres prennent la fuite devant trois jeunes gens qui se sont revêtus des armes royales d’Eudes.

Eudes à la bataille de Montfaucon. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite d'Histoire populaire de la France par Charles Lahure (1866)

Eudes à la bataille de Montfaucon. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite
d’Histoire populaire de la France par Charles Lahure (1866)

« Ce prince dit alors aux siens : Ceux que nous avons vaincus sont peut-être suivis par d’autres ; ainsi donc, tenez toujours vos rangs serrés. Au premier mot que vous entendrez de moi, ajouta-t-il, que chacun de vous soit prêt ; je vais aller moi-même à la découverte sur cette montagne, et si le son de la trompette vient frapper votre oreille, que nul de vous ne cède à la paresse. Il dit, demande son cor, et monte sur un rocher.

« Tout à coup il voit des fantassins couverts de leurs armes, s’avancer à pas lents. Aussitôt les sons retentissants de son cor portent partout au loin l’épouvante... Les guerriers d’Eudes sautent sur leurs coursiers, et se précipitent au milieu des étrangers. Un des Normands fait vibrer sa hache au-dessus de sa tête, et en décharge un coup sur le casque et les épaules du roi ; mais ce malheureux, qui a osé frapper l’oint du Seigneur, reçoit dans son corps l’épée tout entière du prince, et son âme s’exhale de son sein.

« Le combat devient à chaque instant plus acharné ; de ces Barbares infâmes, les uns perdent leur sang et leur vie, les autres prennent la fuite ; notre roi triomphe ; l’espace d’un seul jour lui suffit pour étendre sur la poussière tant de milliers d’ennemis, et son glaive ne cesse de les poursuivre jusqu’à ce qu’il les ait contraints à s’éloigner des frontières de France. »

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