LA FRANCE PITTORESQUE
28 juin 1669 : établissement
de l’opéra en France
(D’après « Éphémérides universelles ou Tableau religieux, politique,
littéraire, scientifique et anecdotique » (tome 6), édition de 1834)
Publié le mercredi 28 juin 2023, par Redaction
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L’opéra naquit en Italie vers la fin du XVe siècle, ou le commencement du XVIe. C’est le cardinal Mazarin, qui le premier tenta de l’importer en France. À l’époque du mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse, il fit représenter au Louvre l’opéra d’Ercole amante, qui n’obtint pas de succès.

L’année précédente (1659), l’abbé Pierre Perrin, le protégé de l’Eminence italienne, avait donné à Issy, dans la maison de M. de La Haye, une pastorale en cinq actes, dont Cambert avait écrit la musique. Les encouragements que reçut l’auteur l’engagèrent à composer une seconde pièce, intitulée Ariane, ou le mariage de Bacchus.

Pomone. Peinture de Nicolas Fouché (1700)
Pomone. Peinture de Nicolas Fouché (1700)

Vers le même temps, le marquis de Sourdeac perfectionnait le système des machines nécessaires à ce genre de spectacle, et faisait exécuter la Toison d’or (de Corneille), dans son château de Neubourg en Normandie. En 1661, les répétitions d’Ariane étaient déjà commencées, lorsque la mort de Mazarin vint tout suspendre.

Enfin, au bout de huit ans, le 28 juin 1669, Perrin obtint des lettres patentes pour l’établissement d’une académie de musique ou d’un théâtre chantant. L’abbé s’associa Cambert, Sourdeac et Champeron : une troupe fut montée ; les répétitions eurent lieu dans la grande salle de l’hôtel de Nevers, où était auparavant la bibliothèque de Mazarin : les représentations se donnèrent dans un jeu de paume, rue Mazarine, en face de la rue Guénégaud. Ce fut en mars 1671, qu’on y joua Pomone, paroles de Perrin, musique de Cambert. Le privilège ou les lettres patentes étaient pour douze ans : mais la division se mit entre les associés, et J.-B. Lulli, surintendant de la musique du roi, obtint, par le crédit de madame de Montespan, que Perrin lui cédât son privilège, moyennant une somme d’argent.

À compter de cette époque, l’opéra prit son essor, malgré les justes critiques de La Bruyère, et les sarcasmes de Saint-Evremond, qui le définissait comme « un travail bizarre de poésie et de musique, où le poète et le musicien, également gênés l’un par l’autre, se donnent bien de la peine à faire un méchant ouvrage. » Ce jugement n’était qu’une boutade, même au siècle de Lulli. Voici le texte des lettres patentes accordées à Perrin :

« Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes Lettres verront. Salut. Notre amé et féal Pierre Perrin, Conseiller en nos Conseils, et Introducteur des Ambassadeurs près la Personne de feu notre très-cher et bien amé Oncle le duc d’Orléans, Nous a très-humblement fait remontrer, que depuis quelques années les Italiens ont établi diverses Académies, dans lesquelles il se fait des Représentations en Musique, qu’on nomme Opera : Que ces Académies étant composées des plus excellens Musiciens du Pape, et autres Princes, même de personnes d’honnêtes familles, nobles, et Gentilshommes de naissance, très-sçavans et expérimentés en l’Art de la Musique qui y vont chanter, font à présent les plus beaux Spectacles et les plus agréables divertissemens, non-seulement des Villes de Rome, Venise et autres Cours d’Italie, mais encore ceux des Villes et Cours d’Allemagne et d’Angleterre, où lesdites Académies ont été pareillement établies à l’imitation des Italiens ; que ceux qui font les frais nécessaires pour lesdites Représentations, se remboursent de leurs avances sur ce qui se reprende du Public à la porte des lieux où elles se font ; et enfin que s’il nous plaisoit de lui accorder la permission d’établir dans notre Royaume de pareilles Académies pour y faire chanter en public de pareils Opera, ou Représentations en Musique et langue Françoise, il espère que non-seulement ces choses contribueroient à notre divertissement et à celui du Public, mais encore que nos sujets s’accoutumant au goût de la Musique se porteroient insensiblement à se perfectionner en cet Art, l’un des plus nobles des Arts libéraux.

« À ces causes, désirant contribuer à l’avancement des Arts dans notre Royaume, et traiter favorablement ledit Exposant, tant en considération des services qu’il a rendu à feu notre très-cher et bien-amé Oncle, que de ceux qu’il nous rend depuis quelques années en la composition des paroles de Musique qui se chantent, tant en notre Chapelle qu’en notre Chambre ; Nous avons, audit Perrin, accordé et octroyé, accordons et octroyons par ces Présentes, signées de notre main, la permission d’établir en notre bonne ville de Paris et autres de notre Royaume, une Académie, composée de tel nombre et qualité de personnes qu’il avisera, pour y représenter et chanter en Public des Opera et Représentations en Musique et en vers François, pareilles et semblables à celles d’Italie : et pour dédommager l’Exposant des grands frais qu’il conviendra faire pour lesdistes Représentations, tant pour les Théâtres, Machines, Décorations, Habits qu’autres choses nécessaires, Nous lui permettons de prendre du Public telles sommes qu’il avisera, et à cette fin d’établir des Gardes et autres gens nécessaires à la porte des lieux où se feront lesdistes Représentations : Faisant très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et conditions qu’elles soient, même aux Officiers de notre Maison, d’y entrer sans payer et de faire chanter de pareils Opera, ou Représentations en Musique et en vers François dans toute l’étendue de notre Royaume, pendant douze années, sans le consentement et permission dudit Exposant, à peine de dix mille livres d’amende, confiscation des Théâtres, Machines et Habits, applicable un tiers à Nous, un tiers à l’Hôpital Général, et l’autre tiers audit Exposant.

« Et attendu que lesdits Opera et Représentations sont des Ouvrages de Musique tous différens des Comédies recitées, et que nous les érigeons par cesdites Présentes, sur le pied de celles des Académies d’Italie, où les Gentilshommes chantent sans déroger : Voulons et Nous plaît, que tous les Gentilshommes, Damoiselles, et autres personnes puissent chanter audit Opera, sans que pour ce ils dérogent au titre de Noblesse, ni à leurs Priviléges, Charges, Droits et Immunités, révoquant par ces Présentes toutes Permissions et Priviléges que Nous pourrions avoir ci-devant donnés et accordés, tant pour raison dudit Opera que pour réciter des Comédies en Musique, sous quelque nom, qualité, condition et prétexte que ce puisse être.

« Si Donnons en Mandement à nos amés et féaux Conseillers les Gens tenans notre Cour de Parlement à Paris, et autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra, que ces Présentes ils ayent à faire lire, publier et enregistrer ; et du contenu en icelles, faire jouir et user ledit Exposant pleinement et paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchemens au contraire : Car tel est notre plaisir. Donné à Saint Germain-en-Laye, le vingt-huitième jour de Juin, l’an de grâce mil six cens soixante-neuf, et de notre Règne le vingt-septième. Signé, Louis, et sur le replis, par le Roy, Colbert. »

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