LA FRANCE PITTORESQUE
Galanterie dans le Métro : faut-il
céder sa place assise ?
(D’après « Les Annales politiques et littéraires », paru en 1921)
Publié le jeudi 25 juin 2015, par Redaction
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Faut-il, dans le Métropolitain, offrir sa place lorsque l’on est assis ? s’interroge un journaliste des Annales politiques et littéraires, abordant les différents cas de figure le plus souvent rencontrés et justifiant l’attitude que l’on adopte souvent spontanément mais parfois... à tort
 

Il y a deux écoles, écrit notre chroniqueur. L’une, l’ancienne, celle de la « vieille galanterie française », sursaute à la pensée que la question puisse même être posée. L’autre école, la nouvelle, celle de l’incivilité puérile et malhonnête, celle du « Ne t’en fais pas ! », préconise la ruée vers le siège disponible, la prise de possession violente, et l’incrustation jusqu’à destination, sans considérations des contingences et des opportunités environnantes.

Inutile de dire qu’entre les deux « manières », nous n’hésitons pas. Tant que le positivisme et l’égoïsme féroce, tant que le bolchevisme de la politesse, n’auront pas éteint dans les esprits toutes traces de respect et de pitié pour les vieillards et les faibles, le petit sacrifice momentané de son bien-être et de son confort à leur profit s’imposera toujours.

Dans la réalité, cependant, la chose n’est pas si simple que l’on pourrait croire au premier abord. Une question se pose, pour débuter. A partir de quel âge un vieux monsieur fatigué commence-t-il à être dispensé de céder sa place ? Il est évident qu’à vieillerie et à fatigue égales, il devra l’offrir toujours à une femme ; mais comment estimer à quel quantième de son âge et à quel degré de déchéance constitutionnelle il devra faire semblant de ne pas remarquer qu’une femme d’âge moyen et de moyenne validité est debout devant lui ?

Je crois, ajoute notre chroniqueur, que c’est affaire entre le monsieur mûr, sa conscience, ses rhumatismes et sa coquetterie... Je dis bien sa coquetterie, car il y a de vieux beaux à demi perclus qui se lèvent régulièrement à l’approche d’une voyageuse quelconque, afin de laisser croire qu’il n’est point question pour leur musculature encore juvénile — mais oui, palsambleu ! — d’une nécessité de s’asseoir.

Et notre auteur d’ajouter qu’il a même connu un vieux cercleux de soixante-quatorze ans, bien conservé, ayant encore bon pied et bon monocle, qui n’avait pas pareil pour se rajeunir publiquement, cédant précipitamment sa place assise aux hommes de soixante ans qui pénétraient dans le wagon. C’était sa façon de se soustraire à l’addition impitoyable du Temps, et de lui faire la nique avec éclat.

Par éducation, par atavisme, je suis de ceux qui cèdent encore leur place lorsqu’ils jugent le contexte opportun, — mettons « indispensable » pour être tout à fait sincère, poursuit le chroniqueur. Mais il faut reconnaître que le métier de galant homme donneur-de-sa-place-en-Métro ne va pas sans déboires dans la pratique, et qu’il exige une certaine dose de philosophie.

Quelque exemples. Le cas qui se présente le plus est celui-ci : vous vous levez pour qu’une dame prenne votre place ; la dame se précipite avec voracité, si l’on peut dire ; elle n’a pas un mot, un signe, de remerciement pour le chevalier-galant, soit qu’elle juge que c’est bien le moins qu’il puisse faire, soit qu’elle suppose que, s’il se lève, c’est uniquement parce que sa station est proche.

Ce mutisme, cette ingratitude de l’obligée, découragent un peu la grande majorité des donneurs-de-leur-place, parce que rares sont les hommes qui se contentent de la seule approbation occulte de leur conscience. Remerciez, mesdames ! Cela vous coûtera si peu et leur fera tant plaisir !

Seconde déconvenue. Auprès de vous, une femme entre deux âges se tient debout... Vous faites le geste auguste du donneur de place ; mais une autre voyageuse, jeune celle-là, plus vive, mieux armée pour la lutte pour la banquette, a trouvé le moyen de se substituer prestement à celle que vous aviez choisie comme légataire universelle. Que faire ? Rien, évidemment ; mais d’avoir été joué vous ne ressentez pas moins un petit dépit qui vous aiguille vers la circonspection.

Et je ne parle pas du cas — qui se présente aussi — où c’est simplement un mufle masculin qui, à votre grand ébahissement, pratique la captation de votre héritage, par le droit de la brutalité ou de la souplesse. Vous avez la ressource de décocher à l’intrus quelques traits acérés ; mais après ? « Dans le Métro, mieux vaut goujat assis qu’aigle d’esprit debout ! », aurait pu dire le La Fontaine de La Matrone d’Ephèse — et dirait peut-être la galerie amusée par le bon tour !

Autre cas. Une femme, flanquée d’un garçonnet, est là, dans votre voisinage immédiat, deux fois sacrée comme femme et comme mère de famille. On ne saurait trop encourager la maternité ; vous lui faites l’hommage de votre siège, vous vous levez spontanément et..., et la dame installe à votre place, pour cinq minutes de trajet, son grand garçon à bons mollets, bien bâti, qui, le dimanche, poursuit éperdument des ballons de cuir pendant cinq heures consécutives !

La timidité, une sorte de fausse honte, vous empêchent de vous écrier : « Ah ! non, madame ! Vous ou moi... Mais pas cet adolescent râblé, as du football, prince du tennis, roi de la bicyclette, vedette de la course à pied ! »

Heureux, cent fois heureux, le voyageur du Métro dépourvu de sensibilité, de scrupules, de principes d’éducation, qui se blottit dans son coin, prend un journal, s’enfonce dans le texte avec le parti pris d’ignorer les bruits du monde, et se dit, dans la sérénité de son splendide isolement : « La meilleure station du Métro, c’est la station... assise ! », conclut notre chroniqueur.

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