LA FRANCE PITTORESQUE
De la convocation des Etats généraux au
Serment du Jeu de paume du 20 juin 1789
(D’après « Dernières années du règne et de la vie
de Louis XVI » (par François Hue, 2e édition), paru en 1823)
Publié le mercredi 20 juin 2012, par Redaction
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Dès le mois de janvier 1789 et en vertu de lettres royales, le Tiers-État des villes, bourgs et villages du royaume, est convoqué, par arrondissement, en assemblées primaires, le cahier des plaintes, doléances et demandes de chaque commune étant rédigé. Mais la prise de décisions cruciales pour le pays est bientôt compromise par un Tiers-Etat voulant modifier l’usage pratiqué aux anciens États généraux avant de se déclarer constitué en Assemblée nationale le 17 juin, les députés jurant trois jours plus tard de ne se séparer qu’après établissement d’une constitution. En vain, Louis XVI tente alors de concilier les intérêts de tous et enjoint chacun de n’oeuvrer que pour le bien commun...
 

Après la rédaction des cahiers de doléances au début de l’année 1789, il fut procédé à la nomination des électeurs : ils devaient se rendre à l’assemblée du chef-lieu de bailliage pour y nommer les députés aux Etats généraux. Chaque assemblée primaire remit à ses électeurs le cahier des demandes, pour être porté à l’assemblée de bailliage, et faire partie du cahier qui serait rédigé pour la totalité des communes de l’arrondissement.

Les cardinaux, archevêques, évêques, abbés et prieurs commendataires, et curés de chaque paroisse du royaume, les nobles séculiers, propriétaires ou non, âgés de vingt-cinq ans, se présentèrent individuellement à l’assemblée tenue dans le chef-lieu du bailliage dont ils faisaient partie. La Noblesse de Bretagne, voyant, dans la forme de convocation, l’ancienne constitution de la France et les droits particuliers de la province compromis, refusa de députer aux États généraux. Tous les membres du Clergé ci-dessus désignés, ainsi que les Nobles propriétaires de fiefs, furent autorisés, en cas d’absence, à se faire représenter par un fondé de pouvoir. Les chapitres des cathédrales et collégiales nommèrent deux chanoines sur dix, pour les représenter à l’assemblée du bailliage. Les corps réguliers rentes envoyèrent à cette assemblée un député par chaque maison.

Ouverture des Etats généraux le 5 mai 1789

Ouverture des Etats généraux le 5 mai 1789

Les membres du Clergé, de la Noblesse et du Tiers-Etat procédèrent, par ordre, dans l’assemblée respective de chaque bailliage, à la rédaction définitive du cahier des plaintes et doléances des habitants de leur arrondissement ; ensuite ils nommèrent les députés qui devaient composer l’assemblée des Etats généraux. Chacun des trois ordres fit prêter à ses députés le serment de soutenir de tout leur pouvoir le contenu des cahiers. Les députés de tous les bailliages du royaume arrivèrent à Versailles. Leur nombre devait être de douze cents ; savoir, trois cents pour le Clergé, trois cents pour la Noblesse, et six cents pour le Tiers-Etat. Dans les provinces, les assemblées électorales avaient été orageuses ; des séditions avaient éclaté en plusieurs endroits : il s’y était élevé des prétentions nouvelles ; on avait attaqué les ordres du Clergé et de la Noblesse.

L’ouverture de l’Assemblée avait été fixée au 4 mai 1789. Le 2 de ce mois, les députés des trois ordres furent présentés et nommes au roi par le marquis de Brézé, grand-maître des cérémonies de France. Chaque ordre parut séparément. Le 4, s’étant rassemblés dans les salles attenantes à l’église de Notre-Dame, ils accompagnèrent le souverain et sa famille à l’église paroissiale de Saint-Louis, où l’on se rendit processionnellement. Une messe du Saint-Esprit y fut célébrée avec la plus grande solennité par de Juigné, archevêque de Paris, assisté d’archevêques et évêques.

L’ouverture des États se fit, le 5 mai, dans une salle magnifique, préparée dans l’hôtel des Menus-Plaisirs du roi. Chacun étant placé, le roi et la reine arrivèrent, précédés des princes et princesses du sang. Louis XVI monta sur son trône. La reine se plaça dans un fauteuil, à la gauche du roi. Princes et princesses formèrent, de chaque côté du trône, un demi-cercle. Les dames de la Cour occupaient les galeries des deux côtés de l’estrade ; les autres galeries, ainsi que les travées, étaient remplies par des habitants de Paris, de Versailles et des environs. Quand le roi parut, tous les assistants se levèrent. Le monarque resta debout quelques minutes, pour donner à la Cour le temps de se placer.

En ce jour mémorable, chacun contemplait avec admiration le spectacle imposant qu’offrait à tous les regards la présence du premier potentat de l’Europe, entouré des trois ordres de sa nation. Ce coup d’œil imprimait un étonnement mêlé de respect. Pendant quelques instants, régna le plus grand silence. Le soleil, jusqu’alors obscurci par d’épais nuages , se montra tout à coup ; il enveloppa de ses rayons le roi et le trône.

« Messieurs, dit le roi, ce jour, que mon cœur attendait depuis longtemps, est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentants de la nation à laquelle je me fais gloire de commander. Un long intervalle s’était écoulé depuis les dernières tenues des États généraux ; et quoique la convocation de ces assemblées parût être tombée en désuétude, je n’ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur.

« La dette de l’Etat, déjà immense à mon avènement au trône, s’est encore accrue sous mon règne : une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été la cause. L’augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition. Une inquiétude générale, un désir exagéré d’innovations, se sont emparés des esprits, et finiraient par égarer totalement les opinions, si l’on ne se hâtait de les fixer par une réunion d’avis sages et modérés.

« C’est dans cette confiance, Messieurs, que je vous ai rassemblés ; et je vois, avec sensibilité, qu’elle a déjà été justifiée par les dispositions que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs privilèges pécuniaires. L’espérance que j’ai conçue de voir tous les ordres, réunis de sentiments, concourir avec moi au bien général de l’Etat, ne sera point trompée.

« J’ai déjà ordonné, dans les dépenses, des retranchements considérables. Vous me présenterez encore, à cet égard, des idées que je recevrai avec empressement. Mais, malgré la ressource que peut offrir l’économie la plus sévère, je crains, Messieurs, de ne pouvoir pas soulager mes sujets aussi promptement que je le désirerais. Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances ; et, quand vous l’aurez examinée, je suis assuré d’avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y rétablir un ordre permanent, et affermir le crédit public. Ce grand et salutaire ouvrage, qui assurera le bonheur du royaume au dedans et sa considération au dehors, vous occupera essentiellement.

« Les esprits sont dans l’agitation ; mais une assemblée des représentants de la nation n’écoutera, sans doute, que les conseils de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, Messieurs, qu’on s’en est écarté dans plusieurs occasions récentes : mais l’esprit dominant de vos délibérations répondra aux véritables sentiments d’une nation généreuse, dont l’amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif ; j’éloignerai tout autre souvenir.

« Je connais l’autorité et la puissance d’un roi juste au milieu d’un peuple fidèle et attaché de tout temps aux principes de la monarchie. Ils ont fait la gloire et l’éclat de la France : je dois en être le soutien, et je le serai constamment. Mais tout ce qu’on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu’on peut demander à un souverain le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l’attendre de mes sentiments.

« Puisse, Messieurs, un heureux accord régner dans cette Assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité du royaume ! C’est le souhait de mon cœur, c’est le plus ardent de mes vœux ; c’est enfin le prix que j’attends de la droiture de mes intentions, et de mon amour pour mes peuples. Mon garde des sceaux va vous expliquer plus amplement mes intentions ; et j’ai ordonné au directeur général des finances de vous en exposer l’état. »

Le discours de Louis XVI, expression touchante de sa bonté et de sa confiance, fut, à diverses reprises, interrompu par de vives acclamations. Lorsqu’elles eurent cessé, de Barentin, le garde des sceaux, s’approcha du trône, prit les ordres du souverain, revint à sa place, et dit : « Le roi permet qu’on s’asseye et qu’on se couvre. » Les trois ordres s’assirent et se couvrirent. Alors le garde des sceaux exposa quelles étaient les intentions du roi en convoquant les États généraux.

Jacques Necker

Jacques Necker

Après le discours du garde des sceaux, le ministre des finances, Necker, prit la parole. Il traça le tableau de la situation des affaires publiques, parcourut toutes les branches de l’administration des finances, en indiquant les moyens d’amélioration ; fixa à cinquante-six millions de livres le déficit des recettes relativement aux dépenses ; fit entrevoir la facilité que le roi aurait eue de couvrir ce déficit, sans avoir besoin de recourir aux Etats généraux. II traita de la foi publique, de la sainteté des engagements antérieurs, du respect pour les propriétés, de la nécessité de maintenir les lois, les coutumes, les usages propres aux différentes provinces. Le ministre finit en adressant au ciel des vœux pour le parfait accomplissement des intentions bienfaisantes du roi et pour la prospérité de la France.

Après ce discours, Louis XVI se leva, resta debout quelques instants ; puis, ayant tourné ses regards sur la reine, il sortit avec elle, au milieu des acclamations de toute la salle. Tous deux, accompagnés des princes et princesses du sang, furent suivies d’un nombreux cortège. Toute la maison militaire, cavalerie et infanterie, était sous les armes.

En fixant ses regards sur la personne du roi, chacun crut voir un père tendre au milieu de ses enfants, rapporte François Hue, qui fut huissier de la Chambre de Louis XVI ; en l’écoutant, ajoute-t-il, chacun crut entendre l’annonce du bonheur commun. Trompeuse illusion ! De ce jour, qui semblait être l’époque de la prospérité publique, va commencer une série de malheurs sans nombre comme sans exemple : ils n’épargneront ni le trône, ni la chaumière ; ils s’étendront jusqu’aux extrémités du monde ; ils frapperont sur Louis XVI et sur les plus chers objets de ses affections. Bientôt, comme pour préluder aux coups affreux qu’elle préparait, la mort enleva l’héritier du trône — Le Dauphin, né à Versailles le 22 octobre 1781, mourut en effet au château de Meudon le 4 juin 1789.

Vérifier les pouvoirs des députés de son ordre, devait être le premier travail de chaque chambre des Etats généraux. Aux Etats de 1614, une commission du Conseil fit cette vérification : cette même forme aurait prévenu dans la dernière assemblée la plus funeste des divisions. Le Clergé, avant de s’occuper d’aucune affaire, supplia le roi, par une députation, de permettre qu’une commission composée de députés des trois ordres, pris des différentes provinces, s’occupât immédiatement des moyens de faire baisser le prix du pain.

« Les objets, répondit le roi, que me présente la délibération du Clergé de mon royaume, fixent depuis longtemps ma sollicitude. Je crois n’avoir rien négligé de ce qui pouvait rendre moins funeste l’effet inévitable de l’insuffisance des récoltes ; mais je verrai avec plaisir se former, au sein des États généraux, une commission de députés des trois ordres, qui puisse, en même temps qu’eux, prendre connaissance des moyens que j’ai adoptés, s’associer à mes inquiétudes et m’aider de ses lumières. »

La délibération prise par le Clergé attestait la pureté des intentions que cet ordre apportait aux Etats généraux. La Noblesse approuva le projet, et s’y réunit. Il fut envoyé au Tiers-Etat, qui refusa de délibérer. Le Clergé et la Noblesse voulaient, conformément à l’usage pratiqué aux anciens États généraux, vérifier seuls et séparément les pouvoirs des députés de leurs ordres respectifs. Le Tiers-État prétendit s’immiscer dans cette vérification ; il demanda que les ordres du Clergé et de la Noblesse se réunissent avec lui dans la salle qu’il occupait, pour y discuter et juger en commun la validité des pouvoirs ; il voulut que les suffrages fussent comptés, non par ordre, mais par tête. Le Clergé et la Noblesse objectèrent, mais en vain, l’illégalité de cette mesure, et s’y refusèrent. Le Tiers-État déclara qu’il ne se constituerait pas en assemblée, que la réunion qu’il demandait ne fût effectuée. Cette question fit naître de longs et de violents débats. Ils retentirent de la capitale dans les provinces : la France fut dans l’agitation.

Pour concilier les esprits, Louis XVI ordonna que des conférences se tinssent chez le garde des sceaux. Les trois ordres envoyèrent respectivement leurs commissaires : mais, loin d’opérer aucun rapprochement, les conférences ne firent qu’aigrir les haines. Le 10 juin, après avoir fait sommer, pour la dernière fois, les députés du Clergé et de la Noblesse de se réunir à lui, le Tiers-Etat procéda à l’appel général des députés par bailliages. Le 17, sur la motion de l’abbé Sieyes, le Tiers-Etat se déclara constitué en Assemblée nationale ; c’est-à-dire qu’une fraction des représentants de la nation s’en établit le tout. Bailly fut nommé président de l’Assemblée.

Sieyes, né à Fréjus en Provence, vicaire général du diocèse de Chartres, chanoine de la cathédrale de cette ville, devait à un pamphlet politique, intitulé Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? l’exception qui l’avait placé parmi les représentants des communes. Cet écrit paradoxal établit que le Tiers-Etat doit avoir aux Etats généraux une représentation double, par cela seul qu’il est plus nombreux que les deux autres ordres. Du calcul des proportions, par un enchaînement de conséquences sophistiques, l’auteur conclut que le Tiers-Etat constitue la nation. Ces principes, si bien adaptés aux circonstances, fixèrent sur l’abbé Sieyes les regards des novateurs. Au refus de Marmontel, les électeurs du Tiers-Etat de Paris nommèrent cet ecclésiastique leur député aux Etats généraux.

Dans la discussion sur la réunion des trois ordres et la délibération en commun, le Tiers-Etat n’eut pas d’orateur plus ardent. Jaloux, jusqu’à la haine, de tout ce qui s’élevait au-dessus de lui, soupirant après ce nivellement social dont les rêveries de quelques visionnaires modernes lui avaient fourni l’idée, opiniâtre dans ses systèmes, atrabilaire et intraitable par nature, souple et liant par intérêt, recherché des divers partis, n’en épousant aucun, cet homme, non moins heureux qu’habile, parcourut toutes les périodes de la Révolution. Tantôt il s’enveloppait de nuages épais ; tantôt il se laissait apercevoir, mais pour disparaître encore, suivant toutes les chances des factions, et sachant toujours recouvrer son influence.

Serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789

Serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789

Constitué en Assemblée nationale, le Tiers-État s’arrogea le droit de supprimer et de recréer les impôts, prétendit mettre la dette publique sous sa sauvegarde et celle de la loyauté française, annonça qu’il allait s’occuper du grand œuvre de la constitution et de la régénération de l’empire, parla et agit comme exclusivement investi de la représentation nationale. Témoin de ces attentats à la constitution, le Clergé s’étonna, mais conserva quelque espoir. La Noblesse fut indignée : elle protesta. Son président, le duc de Luxembourg, exposa au roi les sentiments dont cet ordre était affecté :

« SIRE,

« L’ordre de la Noblesse peut enfin porter au pied du trône l’hommage solennel de son respect et de son amour. La bonté et la justice de Votre Majesté ont restitué à la nation des droits trop longtemps méconnus. Qu’il est doux pour nous d’avoir à présenter au plus juste, au meilleur des rois, le témoignage éclatant des sentiments qui nous animent ! Interprètes de la Noblesse française, nous jurons, en son nom, à Votre Majesté, une reconnaissance sans bornes, et une fidélité inviolable pour sa personne sacrée, pour son autorité légitime et pour son auguste Maison. Ces sentiments, Sire, sont et seront éternellement ceux de l’ordre de la Noblesse.

« Pourquoi faut-il que la douleur vienne se mêler aux sentiments dont il est pénétré ! L’esprit d’innovation menaçait la constitution : l’ordre de la Noblesse a réclamé les principes : il a suivi les lois et les usages. Les ministres de Votre Majesté ont porté de sa part, aux conférences, un plan de conciliation. Votre Majesté a demandé que ce plan fût accepté, ou tout autre : elle a permis d’y joindre des précautions convenables. L’ordre de la Noblesse les a prises, Sire, conformément aux vrais principes : il a présenté un arrêté à Votre Majesté ; et c’est cet arrêté qu’elle pourrait avoir vu avec peine ! Ah ! Sire, c’est à votre cœur seul que la Noblesse en appelle. Sensiblement affectés, mais constamment fidèles, toujours dans nos motifs, toujours dans nos principes, nous conservons, sans doute, des droits à vos bontés ; vos vertus personnelles fonderont toujours nos espérances.

« Les députés de l’ordre du Tiers-Etat ont cru pouvoir concentrer en eux seuls l’autorité des États généraux, sans attendre le concours des deux autres ordres, ni la sanction de Votre Majesté : ils ont cru pouvoir convertir leurs décrets en lois, et ils en ont ordonné l’impression et l’envoi dans les provinces. Ils ont déclaré nulles et illégales les contributions actuelles ; ils les ont consenties provisoirement pour la nation, en limitant leur durée. Ils ont pensé, sans doute, pouvoir s’attribuer les droits réunis du Roi et des trois ordres.

« C’est entre les mains de Votre Majesté même que nous déposons nos protestations et oppositions contre de pareilles prétentions. Si les droits que nous défendons nous étaient purement personnels, s’ils n’intéressaient que la Noblesse, notre zèle à les réclamer, notre constance à les soutenir, auraient moins d’énergie. Ce ne sont pas nos intérêts seuls que nous défendons, Sire ; ce sont les vôtres, ce sont ceux de l’Etat, ce sont enfin ceux du peuple français.

« Sire , le patriotisme et l’amour de leur roi ont toujours caractérisé les gentilshommes de votre royaume. Les mandats qui nous ont été donnés, prouveront à Votre Majesté qu’ils ont hérité des vertus de leurs pères ; notre zèle, notre fidélité à les exécuter, leur prouveront, ainsi qu’à vous, Sire, que nous étions dignes de leur confiance. Pour la mériter de plus en plus, nous nous occupons et nous ne cesserons de nous occuper des grands objets pour lesquels Votre Majesté nous a convoqués. Nous n’aurons jamais de désirs plus ardents que celui de concourir au bien du peuple dont Votre Majesté fait son bonheur d’être aimée. »

Le roi répondit à ce discours :

« Le patriotisme et l’amour pour ses rois ont toujours distingué la Noblesse française. Je reçois avec sensibilité les nouvelles assurances qu’elle m’en donne. Je connais les droits attachés à sa naissance : je saurai toujours les protéger et les défendre. Je saurai également maintenir, pour l’intérêt de tous mes sujets, l’autorité qui m’est confiée ; et je ne permettrai jamais qu’on l’altère. Je compte sur votre zèle pour la patrie, sur votre attachement pour ma personne ; et j’attends avec confiance de votre fidélité, que vous adopterez les vues de conciliation dont je suis occupé pour le bonheur de mes peuples. Vous ajouterez ainsi aux titres que vous aviez déjà à leur attachement et à leur considération. »

Protecteur des droits de tous, Louis XVI chercha le moyen de conjurer l’orage qui se préparait, et de maintenir entre les ordres l’équilibre prêt à se rompre. Tel fut le motif de la première séance royale. Le projet en fut discuté dans plusieurs comités des ministres, en présence du souverain. On fixa les bases de la déclaration à donner : Necker devait la rédiger.

Dans un conseil tenu à Marly, la rédaction du ministre fut lue, et le jour de la séance royale indiqué. On tint, deux jours après, à Versailles, un nouveau conseil pour le même objet. Outre les ministres, Louis XVI voulut y appeler Monsieur, Monseigneur Comte d’Artois, et quatre conseillers d’État. Pour rapprocher les opinions discordantes, il ordonna une conférence conciliatoire chez le garde des sceaux. Les discussions terminées et le rapport fait au roi, ce dernier, malgré la résistance de Necker, supprima du projet de déclaration les articles concernant la réunion permanente des ordres et la délibération par tête : il fut statué, que, conformément à l’antique constitution, les États généraux devaient délibérer par ordre.

La tenue de la séance royale, fixée d’abord au 22 juin, fut remise au lendemain, à raison des apprêts que la circonstance exigeait. Des hérauts proclamèrent, le 20 juin, dans Versailles, la suspension des séances de l’Assemblée. Les salles furent fermées : néanmoins les députés du Tiers-État prétendirent s’assembler et délibérer. La clôture de la salle, quoique les motifs en fussent légitimes, fit prendre à Bailly, leur président, la résolution téméraire de les convoquer dans l’emplacement du Jeu de paume, rue du Vieux-Versailles. Là fut prêté ce serment connu sous le nom de serment du Jeu de paume ; sa teneur était :

Honoré-Gabriel Riqueti, marquis de Mirabeau

Honoré-Gabriel Riqueti, marquis de Mirabeau

« Nous jurons de ne jamais nous séparer, et de nous rassembler partout, jusqu’à ce que la constitution du royaume et la régénération publique soient établies. » Un seul député, Martin d’Auch, membre de la députation de Castelnaudary, osa se refuser à la prestation d’un serment qu’il qualifia de révolte. Ni les clameurs de l’assemblée, ni la vengeance du peuple à laquelle on le dévoua, n’intimidèrent sa constance : au risque de ce que la fureur pouvait faire entreprendre contre lui, il resta inébranlable dans son refus.

Blessé des retranchements faits à son projet, Necker aurait sur-le-champ quitté le ministère, s’il n’eût préféré, le 23 juin et sans en prévenir Louis XVI, se dispenser d’assister à la séance royale. Le monarque s’y rendit avec ses autres ministres, entra dans la salle au milieu des acclamations des deux premiers ordres, s’assit sur son trône, et dit :

« Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j’avais pris la résolution de vous rassembler ; lorsque j’étais allé, pour ainsi dire, au-devant des vœux de la nation, en manifestant à l’avance ce que je voulais faire pour son bonheur. Il semblait que vous n’aviez qu’à finir mon ouvrage ; et la nation attendait avec impatience le moment où, par le concours des vues bienfaisantes de son souverain, et du zèle éclairé de ses représentants, elle allait jouir des prospérités que cette union devait lui procurer.

« Les Etats généraux sont ouverts depuis deux mois, et ils n’ont point encore pu s’entendre sur les préliminaires de leurs opérations. Une parfaite intelligence aurait dû naître du seul amour de la patrie ; et une funeste division jette l’alarme dans tous les esprits. Je veux le croire, et j’aime à le penser, les Français ne sont pas changés : mais, pour éviter de faire à aucun de vous des reproches, je considère que le renouvellement des États généraux après un si long terme, l’agitation qui l’a précédé, le but de cette convocation, si différent de celui qui rassemblait vos ancêtres, les restrictions dans les pouvoirs, et plusieurs autres circonstances, ont dû nécessairement amener des oppositions, des débats et des prétentions exagérées.

« Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même, de faire cesser ces funestes divisions. C’est dans cette résolution, Messieurs, que je vous rassemble de nouveau autour de moi. C’est comme le père commun de tous mes sujets, c’est comme le défenseur des lois de mon royaume, que je viens vous en retracer le véritable esprit, et réprimer les atteintes qui ont pu y être portées. Mais, Messieurs, après avoir établi clairement les droits respectifs des différents ordres, j’attends de leur attachement pour ma personne, j’attends de la connaissance qu’ils ont des maux urgents de l’Etat, que, dans les affaires qui regarderont le bien général, ils seront les premiers à proposer une réunion d’avis et de sentiments que je regarde comme nécessaire dans la crise actuelle et qui doit opérer le salut de l’Etat. »

Ce discours prononcé, Louis XVI fit lire une déclaration en quinze articles, concernant la présente tenue des États généraux et les questions contestées. Cette déclaration établissait la distinction des trois ordres, la séparation en trois chambres, la délibération par ordre, sans exclure la liberté de délibérer en commun sur certains objets avec la permission préalable du roi, pourvoyait à la garantie des droits respectifs de chaque ordre, fixait le mode des relations et du travail entre eux. Après la lecture de cette déclaration, le souverain reprit la parole :

« J’ai voulu aussi, Messieurs, vous faire remettre sous les yeux les différents bienfaits que j’accorde à mes peuples. Ce n’est pas pour circonscrire votre zèle dans le cercle que je vais tracer ; car j’adopterai avec plaisir toute autre vue de bien public qui sera proposée par les États généraux. Je puis dire, sans me faire illusion, que jamais roi n’en a fait autant pour aucune nation. Mais quelle autre peut l’avoir mieux mérité que la nation française ! Je ne craindrai pas de l’exprimer ; ceux qui, par des prétentions exagérées, ou par des difficultés hors de propos, retarderaient encore l’effet de mes intentions bienfaisantes, se rendraient indignes d’être regardés comme Français. »

A la suite de ce touchant préambule, il fut fait lecture d’une déclaration en trente-cinq articles, comprenant les intentions du roi. Cette déclaration, qui indique à l’Assemblée les objets dont elle devait s’occuper plus essentiellement, était plus favorable au Tiers-Etat qu’aux deux premiers ordres, dont quelques articles attaquaient les droits constitutionnels. Nul impôt, nul emprunt, sans le consentement des Etats généraux ; publicité du compte annuel des revenus et des dépenses de l’État ; fixité des dépenses dans toutes les parties, même dans celles qui étaient destinées à l’entretien de la maison du roi ; garantie de la dette publique, de toutes propriétés sans exception, de tous droits et prérogatives utiles ou honorifiques ; égalité de contributions entre les trois ordres ; abolition de la taille, du droit de franc-fief et de main-morte ; épuration du mode établi pour acquérir la noblesse ; mesures de précaution pour les lettres de cachet ; liberté de la presse, tempérée par de sages règlements ; formation d’états provinciaux dans le royaume ; délégation à ces états de tous les objets d’administration intérieure, et même de celle des domaines royaux ; amélioration ou réforme dans le système de l’impôt indirect, tel que la gabelle, les aides, etc. ; perfectionnement des lois civiles et criminelles et de l’administration de la justice ; suppression de la corvée en nature pour la confection et l’entretien des routes ; droits de chasse et de capitainerie restreints ; rigueur du tirage à la milice, adoucie ; prérogatives du monarque déterminées : toutes les dispositions ci-dessus, invariables, si ce n’était du consentement des trois ordres.

La lecture de ces étonnantes concessions étant achevée, Louis XVI reprit en ces termes :

« Vous venez, Messieurs, d’entendre le résultat de mes dispositions et de mes vues. Elles sont conformes au vif désir que j’ai d’opérer le bien public : et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m’abandonniez dans une si belle entreprise, seul je ferai le bien de mes peuples ; seul je me considérerai comme leur véritable représentant ; et, connaissant vos cahiers, connaissant l’accord parfait qui existe entre le bien général de la nation et mes intentions paternelles, j’aurai toute la confiance que doit inspirer une aussi rare harmonie, et je marcherai vers le but que je veux atteindre, avec tout le courage et la fermeté qu’il doit m’inspirer.

Louis XVI

Louis XVI

« Réfléchissez, Messieurs, qu’aucun de vos projets, aucune de vos dispositions, ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi je suis le garant naturel de vos droits respectifs ; et tous les ordres de l’Etat peuvent se reposer sur mon équitable impartialité. Toute défiance de votre part serait une injustice. C’est moi, jusqu’à présent, qui fais tout pour le bonheur de mes peuples ; et il est rare, peut-être, que l’unique ambition d’un souverain soit d’obtenir de ses sujets qu’ils s’entendent enfin pour accepter ses bienfaits.

« Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer à l’instant, et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. J’ordonne en conséquence au grand-maître des cérémonies de faire préparer les salles. »

Les députés du Clergé et de la Noblesse obéirent à l’ordre que Louis XVI venait de donner. Ceux du Tiers-Etat demeurèrent dans la salle commune. Le marquis de Brézé leur réitéra, de la part du roi, les ordres qu’il en avait reçus : « Messieurs, dit-il, vous connaissez les intentions du Roi. — Oui, Monsieur, répondit le comte de Mirabeau, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au roi. Si vous êtes chargé de nous faire sortir d’ici, allez demander à ceux qui vous envoient, des ordres pour employer la force. » Le comte de Mirabeau voulait échauffer les têtes : mais, tout audacieux qu’il cherchait à paraître, il n’était pas sans crainte sur les suites de sa désobéissance aux ordres du monarque ; et, pour rassurer ceux de ses collègues encore timides, il proposa de déclarer inviolable la personne des députés aux Etats généraux. La motion fut adoptée avec transport.

Cette salle, que le Tiers-État mettait tant d’intérêt à ne pas quitter, était nécessaire pour l’exécution ultérieure de ses entreprises contre les deux premiers ordres. La faction qui le maîtrisait, voulait, à quelque prix que ce fût, forcer la réunion des trois ordres, et, dans ce cas, avoir un local assez vaste pour les contenir : elle voulait, par-dessus tout, des tribunes, pour y placer des gens à gages qui, au signal donné, couvriraient d’applaudissements les motions qu’elle voudrait convertir en décrets.

Au sortir de la salle, Louis XVI revint au château, au milieu des acclamations d’une foule immense qui environnait sa voiture. Cependant le Tiers-Etat, demeuré en séance, s’était emporté en déclamations contre l’autorité royale, traitant d’acte de despotisme ce qui venait de se passer, et rejetant avec dédain les nombreuses concessions du roi. On taxa de calamité publique ce qui devait à jamais fonder le bonheur commun ; l’injustice, ou plutôt la séduction, fut telle, qu’on oublia les bienfaits qui, jusqu’à ce jour, avaient signalé le règne de Louis XVI.

N’avait-il pas en effet, dès son avènement au trône, remis le droit de joyeux avènement — imposition qui se payait lors de l’avènement au trône —, réintégré les Cours souveraines, garanti la solidité de la dette publique ? N’avait-il pas, à l’aide de sages dispositions, rendu les hôpitaux et les prisons plus salubres, assaini la ville de Paris elle-même en débarrassant ses ponts et ses quais de masses d’édifices qui gênaient la circulation de l’air ?

N’avait-il pas adouci la rigueur de la corvée pour les chemins, aboli le droit de main-morte dans ses domaines, accordé aux non catholiques la jouissance de l’état civil, amélioré l’existence politique des Juifs, supprimé le droit d’aubaine sur les étrangers — le roi héritait auparavant des étrangers qui mouraient en France sans y être naturalisés —, abrogé l’usage de cette question préparatoire qui plus d’une fois, par la violence des tortures, avait forcé l’innocent à se déclarer coupable ? N’avait-il pas, dans les diverses parties de son royaume, formé, pour le soulagement de la classe indigente, des ateliers de charité ; établi dans Paris une école publique et gratuite de boulangerie ; restitué à l’agriculture des terrains noyés sous les eaux ; ouvert des communications utiles ?

N’avait-il pas opéré, par de superbes canaux — le canal de Picardie ; le canal de Narbonne, embranchement du grand canal de Languedoc ; les canaux de jonction de la Saône à la Loire par le Charollais, et de la Seine à la Saône par la Bourgogne — ; la jonction des deux mers ; créé de nouveaux ports dans la Manche et la Méditerranée — le port de Cherbourg sur les côtes de Normandie ; celui de Vendres en Roussillon — ; ordonné et tracé de sa main le plan de voyage du marquis de la Pérouse — il lui donna en effet, écrites de sa main, des instructions où se faisaient admirer également l’étendue de ses connaissances, son zèle pour la perfection des arts, pour les progrès de la navigation, de la géographie, de la botanique, de l’agriculture, et le vœu suivant : « Dans les contrées que vous allez découvrir, disait-il à de la Pérouse, appliquez-vous à naturaliser les arts utiles de l’Europe ; laissez-y des instructions sur la culture des productions de première nécessité ; portez-y nos instruments aratoires ; mais, surtout, faites bénir le nom français » ?

N’avait-il pas, durant le cours d’hivers rigoureux, visité lui-même le pauvre dans son réduit, lui distribuant des consolations et des secours ? En effet, dans les hivers rigoureux de 1770 à 1776, de 1778 à 1779, et de 1788 à 1789, le froid, qui, pendant plusieurs semaines, fut excessif, intercepta la navigation, suspendit les travaux, porta la misère à son comble. Louis XVI visita fréquemment les plus pauvres, habitants de Versailles, et leur distribua lui-même d’abondantes aumônes. Donner à ceux qui avaient besoin, était son plus grand plaisir, ainsi que le monarque le déclara dans le procès intenté contre lui. L’hiver de 1776 fut particulièrement remarquable par sa rigueur et par sa durée. La neige ayant, pendant plus d’un mois, couvert le pavé de Paris, on en forma, rue Saint-Honoré, vis-à-vis la barrière des Sergents, une pyramide, à laquelle des passants se firent un plaisir d’attacher des inscriptions à la louange du roi, parmi lesquelles :

Louis, les indigents, que ta bonté protège,
Ne peuvent t’élever qu’un monument de neige :
Mais il plaît davantage à ton cœur généreux,
Que le marbre payé du sang des malheureux.

Enfin, n’avait-il pas créé ces assemblées provinciales dont l’administration devait concourir avec la sienne ; appelé dans le ministère et dans ses conseils ceux que la voix publique désignait, tels que de Malesherhes, Turgot, les comtes de Saint-Germain et de Vergennes, Necker lui-même ? Et lorsque les circonstances lui firent croire à la nécessité de plus grandes mesures, n’a-t-il pas convoqué les Notables, ensuite les Etats généraux ?

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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