LA FRANCE PITTORESQUE
Proposition de loi en 1899 pour endiguer
la diffamation par voie de presse
(D’après « Le Siècle », paru en juin 1899)
Publié le lundi 10 février 2014, par Redaction
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En 1899, l’historien et sénateur de l’Aveyron Joseph Fabre propose une loi sur laquelle s’attarde le journal Le Siècle, rétablissant pour la presse la juridiction de droit commun en ce qui concerne les délits d’injure et de diffamation commis contre des personnes investies d’une fonction ou d’un mandat public, avec liberté de faire, par tous moyens, la preuve des faits diffamatoires devant le tribunal correctionnel
 

Le Sénat vient de nommer la commission chargée d’examiner la proposition de M. Joseph Fabre, écrit un journaliste du Siècle en juin 1899 ; tous les commissaires y sont favorables, ce dont on doit se féliciter, en attendant le dépôt du rapport et une prompte adoption.

Nous avons déjà dit en quoi consiste la proposition de M. Joseph Fabre, une des récentes victimes des outrages des journaux à scandales. Il s’agit de « rétablir pour la presse la juridiction de droit commun en ce qui concerne les délits d’injure et de diffamation commis contre des personnes investies d’une fonction ou d’un mandat public, avec liberté de faire, par tous moyens, la preuve des faits diffamatoires devant le tribunal correctionnel. »

Certes les arguments ne manquent point, en faveur d’une pareille réforme de quelques articles de la loi de 1881 sur la presse. Ils s’offrent en foule sous la plume : abolition d’un privilège odieux et inique ; nécessité d’endiguer un torrent de boue par lequel les hommes politiques les plus honnêtes finiraient par être emportés, en même temps que les institutions républicaines ; indifférence ou incapacité d’un jury qui, le plus souvent intimidé par les manœuvres d’une presse éhontée, aime mieux acquitter les pires scélérats de la plume que de s’exposer à leurs insultes ou à leurs vengeances ; de sorte que les garanties inscrites dans la loi par le législateur de 1881 demeurent illusoires et que, devant les continuelles attaques de journaux immondes, fonctionnaires, députés, ministres, demeurent désarmés.

Le jury acquitte de parti-pris, sans se soucier des conséquences que peut avoir l’acquittement, où les esprits simples ou malveillants s’empressent de voir la condamnation implicite de l’insulté et du diffamé. Le jury déserte son mandat et renonce à exercer sa fonction. Comment ceux qu’il devait punir et que son abstention encourage ne profiteraient-ils pas de cette désertion coupable ? Comment l’assassin des réputations ne multiplierait-il pas, sûr qu’il est de l’impunité, les assassinats qui assurent le « tirage » du journal, le maintiennent et l’augmentent ? Du moment que chaque calomnie représente un accroissement de dividende, et n’expose à aucune sanction effective, pourquoi les journalistes de grand chemin cesseraient-ils de calomnier ?

La proposition de M. Joseph Fabre n’a donc pas pour but, en réalité, de modifier la loi de 1881, mais d’assurer l’application de quelques-unes de ses dispositions les plus essentielles. Il a pour but de faire que les prescriptions n’en soient pas indéfiniment méconnues ou violées. Le jury refuse de rendre la justice en matière de procès de presse : il faut donc lui substituer une juridiction plus soucieuse de son devoir.

La juridiction correctionnelle est la juridiction de droit commun : quelle bonne raison peut-on invoquer pour y soustraire les fonctionnaires et les hommes publics ? Toute la différence, entre les procès concernant eux-ci et les procès concernant les particuliers sera que, pour ces derniers, la preuve du fait diffamatoire n’est pas admise, tandis qu’elle le sera pour les autres. N’est-ce pas une garantie suffisante pour la liberté de la presse, qu’il faut se hâter de ne plus confondre avec la liberté de la diffamation ?

« Ce que nous vous demandons, messieurs, disait Charles Floquet au Sénat en février 1890, c’est une loi qui ’assure la liberté et la tranquillité des honnêtes gens ; une loi qui sera, je l’espère, de nature à faire rentrer dans le néant, dont ils n’auraient jamais dû sortir, les diffamateurs de profession qui ont trop longtemps troublé la conscience publique. »

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