LA FRANCE PITTORESQUE
Corrida nocturne dans les rues
de Paris en 1909
(D’après « Le Matin », paru en 1909)
Publié le lundi 8 septembre 2014, par Redaction
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Mars 1909 : un taureau parvenant à s’échapper du marché aux Bestiaux sème la terreur dans les rues de Paris et est à l’origine d’une traque nocturne sanglante
 

Trois heures du matin. Un homme effaré, les vêtements déchirés, fait irruption soudain parmi les agents qui somnolent, quiètement assis autour de la table du poste central du 19e arrondissement, peut-on lire dans l’édition du 8 mars 1909 du Matin. Un taureau-échappé, dit-il, d’une voix étranglée... Là !.. dans la rue ! Il fonce sur les passants... Il a tué un agent ! Vite, vite, venez !

Tout le poste se précipite, sabre en mains, revolver au poing. Une rumeur, des coups de feu du coté de Belleville, guidèrent leur course. Une heure auparavant, un petit « camarguais », à la robe noire, à l’œil vif, appartenant à M. Deluel, commissionnaire en bestiaux, 212 rue d’Allemagne, s’était échappé sournoisement par la porte laissée imprudemment ouverte du marché aux Bestiaux.

Il avait descendu à petits pas la rue d’Allemagne, remonté l’avenue Laumière, contourné les Buttes Chaumont par la rue Bolivar et déambulait un peu inquiet dans le dédale des petites rues tortueuses ef cabossées du sommet de Belleville.

Soudain, rue Frédéric-Lemaître, en face du n° 30, une ombre se dressa devant lui. Baissant la tête et frappant le pavé de ses sabots, la bête fonça comme la foudre sur l’infortuné passant, Pierre Charpentier, 36 ans, talonnier, 43 rue Pixéricourt, qui, muet d’épouvante, roula sous le choc, les reins brisés, la cuisse fracturée.

Les agents Le Bars et Guérut accoururent et déchargèrent les douze balles de leurs revolvers d’ordonnance sur cette bête apocalyptique dont ils ne s’expliquaient pas la présence à un tel endroit. Ce feu de peloton ne réussit qu’à rendre l’animal fou de douleur et de fureur, en même temps que le bruit des détonations attira une foule de curieux.

Une centaine de personnes furent bientôt aux trousses du taureau qui, maintenant, faisait face aux poursuivants qui le fusillaient sans relâche, mais sans grand résultat. Cependant, un monteur en bronze, Emile Bradin, 19 ans, demeurant 112 rue de Belleville, qui passait à proximité, recevait dans la cuisse droite un des projectiles destinés au taureau et devait être transporté à l’hôpital Tenon.

Il fallait en finir. Rue Pixérécourt, en face du n° 55, un brave gardien du 20e, Jean Crouzit, s’approcha dans l’intention de fracasser le crâne du camarguais. Un furieux coup de corne l’envoya rouler à dix mètres, la poitrine lacérée, le coude luxé, le poignet droit brisé Le sous-brigadier Level, du 19e, ne fut pas plus heureux : la bête, au paroxysme de la rage, le piétina, le blessa grièvement à l’œil gauche, aux genoux et au ventre.

Finalement, l’animal fut acculé rue Taché, où une derrière volée de balles en eut définitivement raison. Achevé d’un coup de revolver dans l’oreille par l’agent Persoz qui, dépourvu de munitions, dut emprunter pour cette ultime besogne, l’arme de son collègue Delacour, le bœuf termina là sa corrida mouvementée.

II avait fait cinq victimes, toutes soignées à l’hôpital Tenon. L’état de l’agent Crouzit est particulièrement grave.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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