LA FRANCE PITTORESQUE
Presse pour enfants : ses premiers pas
au XIXe siècle et son évolution
(D’après « Enfance », paru en 1953)
Publié le lundi 11 novembre 2019, par Redaction
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Au XIXe siècle et jusqu’au début du suivant, c’est une presse enfantine de qualité, servie par des artistes talentueux et donnant plus tard naissance à une forme de dessins en action dont l’évolution aboutira aux dessins animés de Walt Disney, qui connaît un essor considérable : traduites dans toutes les langues européennes et se répandant sur les cinq continents, les célèbres images Pellerin perdent cependant leur hégémonie, la qualité étant bientôt sacrifiée sur l’autel du seul profit
 

L’image populaire, généralement appelée image d’Épinal, a tenu lieu de presse enfantine populaire durant tout le XIXe siècle. Certes, à cette époque, ont été publiés de nombreux magazines qui s’adressaient soit à la famille, soit à l’enfance seule, les premières de ces publications connaissant un très grand développement à partir du Second Empire.

Citons parmi les journaux de cette époque la Semaine des Enfants, le Journal des Familles (auxquels collaborèrent des illustrateurs de la valeur de Gustave Doré) et à une époque postérieure le célèbre Magasin d’Éducation et de Récréation fondé en 1862 par l’éditeur Hetzel (écrivain pour l’enfance sous le pseudonyme de P.-J. Stahl) et qui révéla au monde le curieux génie de Jules Verne. Après la guerre de 1870, on vit paraître le Petit Français illustré où Christophe publia la Famille Fenouillard, le Sapeur Camembert, le Savant Cosinus, le Journal des Voyages avec les romanciers Boussenard et Jacquolliot ; tout à la fin du siècle parut Mon Journal.

Images d'Épinal : légende de saint Eloi

Images d’Épinal : légende de saint Eloi

Mais toutes ces publications relativement coûteuses s’adressaient beaucoup moins à la totalité des enfants qu’aux seuls lycéens. Les écoliers se contentaient de l’image d’Épinal vendue un sou.

Les origines de l’image se confondent avec les origines de la gravure sur bois à la fin du XIVe siècle. Pendant longtemps l’image populaire s’adressa moins à l’enfance qu’aux paysans et aux artisans, ce, jusqu’au milieu du XIXe siècle. A cette époque l’imagerie, jadis purement artisanale, s’est industrialisée et les imageries sont devenues de véritables fabriques.

En 1845, la fabrique Pellerin d’Épinal compte 100 ouvriers dont 60 enfants. On fabrique plus de 5 millions d’images par an et celles-ci sont vendues par des colporteurs en France et dans le monde entier. Les enfants composent la majeure partie du personnel de la fabrique d’Épinal. Ils sont payés 12 sous par jour, soit moins d’un sou de l’heure. A cause du bas prix de la main-d’œuvre et malgré un outillage très primitif, les images sont vendues très bon marché. En 1845, les plus coûteuses valaient 4 centimes.

La fabrique d’Épinal est dirigée de 1822 à 1854 par Nicolas Pellerin (qui prend la suite de son père Jean-Charles Pellerin) et Germain Vadet. Si d’une part ces patrons intensifièrent la fabrication en l’industrialisant par l’introduction de nouveaux procédés techniques (remplacement des gravures sur bois par des stéréotypies et des lithographies), ils surent aussi orienter définitivement leurs images vers la clientèle enfantine. Sur les 1 100 images publiées par eux durant leurs trente-deux années de direction, plus de 800 s’adressent exclusivement à la clientèle enfantine, et quelques centaines seulement aux adultes, avec des effigies de saints et des tableaux représentant des événements contemporains, des batailles napoléoniennes ou des sujets religieux.

Le grand mérite de Pellerin à cette époque aura été d’inventer (industriellement parlant) ce que nous appelons l’histoire en images. Les histoires en images dont le type fut établi et fixé par Pellerin et Vadet (ils en publièrent 600) comportent au lieu d’un grand tableau (comme cela avait été précédemment la règle), 16 petits carrés expliqués chacun par une légende de 3 ou 4 lignes. Ainsi sont adaptés à l’usage de l’enfance des Contes de Perrault, Don Quichotte, Madame Angot et sont créées des histoires nouvelles, au schéma naïf : le Petit désobéissant, le Château de l’Ogre, le Bon Sujet, l’École réformée, etc.

Le Pêle-Mêle

Le Pêle-Mêle

L’invention des histoires en petits carrés légendés est pour l’avenir des lectures enfantines un événement considérable. Avec ce genre d’images d’Épinal naît, en effet, une forme de dessins en action dont l’évolution aboutira plus tard aux dessins animés de Walt Disney. Le type d’histoires en images créé à Épinal sous la Restauration demeura longtemps, à de légères modifications près, le type conservé par la presse enfantine du monde entier. C’est aussi à Épinal que sont nés les soldats à découper en feuilles.

Le succès de la fabrique d’Épinal suscita en France de nombreux imitateurs (Metz, Nancy, Pont-à-Mousson, Strasbourg) et le règne de l’image se poursuivit durant tout le XIXe siècle. L’image française connaît pendant cinquante ans une vogue inouïe dans le monde entier. Les images Pellerin sont traduites dans toutes les langues européennes et elles sont répandues sur les cinq continents comme en témoigne un journaliste du Second Empire :

« Jugez de la joie et de l’étonnement qu’on éprouve en entrant dans la maison de bois du pionnier américain, dans la cabane des nègres de Madagascar, dans le wigwam de l’Indien de la Nouvelle-Ecosse, dans la hutte des Esquimaux, de trouver une image illuminée de jaune et de rouge représentant Geneviève de Brabant, le Juif errant, le Petit Poucet, Napoléon Ier, la Sainte Vierge, l’Enfant Jésus, avec des légendes en langue du pays et de lire en bas de ces papiers enfumés : Imagerie d’Épinal (Vosges) » (H. de la Madeleine, dans Le Temps, 7 avril 1866). Depuis, les pionniers américains prirent leur revanche. L’établissement de l’école laïque gratuite et obligatoire devait, après les années nécessaires à son organisation et à l’approfondissement de son action, modifier du tout au tout la situation de la presse et de la littérature enfantine.

Le jour où la quasi-totalité des Français eurent appris à lire, on connut un développement formidable de la presse et du journal à un sou en même temps que la création d’une littérature dite populaire sur laquelle s’édifia par exemple la fortune de beaucoup d’éditeurs comme celle des Fayard, éditeurs du royaliste Candide.

A cette époque, l’image d’Épinal connaît une décadence irrémédiable... Après 1880, Épinal ne fait plus guère que réimprimer ses anciens modèles. La mort en 1878 de l’habile illustrateur Pinot et la disparition du sensible Ensfelder ont marqué la fin d’une époque. Les modèles que créent après cette date Épinal et Pont-à-Mousson sont d’une extrême vulgarité et ils n’auront guère de succès auprès de l’enfance.

Il fallut pourtant attendre le début du XXe siècle pour voir naître une véritable presse enfantine pour les millions d’élèves de l’école laïque. A cette époque, l’évolution de la technique, le perfectionnement des impressions par rotative et du clichage sur zinc permettent de fournir pour un sou (le prix d’une feuille d’Épinal) un journal de seize pages dont quatre au moins sont en couleurs. Le succès de cette formule auprès de l’enfance est foudroyant. De même que la fabrique d’Épinal avait dominé l’imagerie, la Société Parisienne d’Éditions (Offenstadt) a dominé la presse enfantine française entre 1900 et 1935. La Société Parisienne d’Éditions publia à partir de 1900 toute une série d’hebdomadaires s’adressant chacun à un public spécialisé.

C’est d’abord en 1901 le Petit Illustré, puis quand plusieurs années de succès ont prouvé que la presse enfantine était une excellente affaire, Offenstadt lance coup sur coup l’Épatant (1907) pour les enfants des ouvriers et spécialement pour les petits Parisiens, journal rempli de grosses farces et rédigé en argot ; Cri-Cri (1907), destiné aux enfants plus jeunes ; Fillette (1908), pour les petites filles ; l’Intrépide (1909), concurrence bon marché du Journal des Voyages, rédigé pour les garçons épris d’aventures et de voyages. Offenstadt publie également le Pêle-Mêle, journal dans le style du célèbre Almanach Vermot, destiné à la fois aux adultes et aux enfants et jusqu’à la Vie de Garnison, hebdomadaire grivois pour les militaires.

Le Bon Point

Le Bon Point

Les éditeurs rivaux des Offenstadt fondèrent les Belles Images et la Jeunesse illustrée (tous les deux édités par Fayard en 1902-1903), le Jeudi de la Jeunesse, la Croix d’honneur, le Bon Point (fondé en 1911 par Albin Michel), la Semaine de Suzette (à partir de 1904 chez Gautier-Languereau), etc. Certains de ces journaux connurent une grande vogue et lancèrent, eux aussi, des types comme la Bécassine de Pinchon.

Un effort considérable fut également accompli par les catholiques, qui combattirent très violemment la presse Offenstadt en lui reprochant sa neutralité confessionnelle et son immoralité. La Bonne Presse, qui avait fondé en 1895 le Noël pour les jeunes filles de la petite bourgeoisie, lui adjoignit l’Étoile noëlliste, pour les plus petites. Elle modernisa le Pèlerin (fondé en 1870), destiné plus particulièrement aux adultes les moins lettrés mais qui touchait également un certain public enfantin.

Après la guerre de 1914, la Bonne Presse devait publier Bayard, Bernadette, Cœurs Vaillants, A la page (pour les jeunes gens) et cette maison d’édition possédait avant la Seconde Guerre mondiale une dizaine d’hebdomadaires destinés à l’enfance, aux jeunes ou à la famille.

De même que jadis les Pellerin d’Épinal s’endormirent sur leurs conquêtes, la Société Parisienne d’Édition, maîtresse trente ans durant de la majorité de la presse enfantine française ne prit pas la peine de se renouveler au fur et à mesure que passaient les années. Ce qui n’empêchait pas la presse Offenstadt de continuer à se vendre. On peut estimer qu’il sortait chaque semaine de leurs imprimeries un million ou deux millions de journaux vers 1930. Les autres éditeurs et la presse catholique se partageaient le reste de la clientèle enfantine.

Telle était la situation de la presse enfantine jusqu’en 1934. On y aurait vainement cherché des écrivains ou des artistes du talent des Stahl, des Gustave Doré, des Pinot, des Ensfelder, des Christophe, des Rodolphe Topfer, des Jules Verne, ou même des Jacquolliot, des Boussenard ou des Paul d’Ivoy. L’immense diffusion de la presse enfantine s’était accompagnée d’un indiscutable abaissement de sa qualité technique, morale, artistique, éducative. Les principales maisons avaient pour seul souci de vendre le plus de papier possible en payant le moins cher possible leurs collaborateurs, aussi les écrivains et les artistes un peu notoires se détournaient-ils de ces besognes mal rétribuées.

Mais du moins cette presse enfantine était-elle entièrement écrite, dessinée, rédigée dans sa totalité par des Français. Parmi une couche d’intellectuels de notre pays se perpétuaient des traditions techniques venues d’Épinal ou de la littérature romantique, ces hommes et ces traditions formaient une base solide sur laquelle un jour pouvait être tentée la rénovation de la littérature enfantine.

La concurrence étrangère n’existait en France que dans des domaines très limités. Citons pour mémoire les Nick Carter, Buffalo Bill et autres Nat Pinkerton édités et réédités d’innombrables fois par Hachette en trente ans, et les dessins américains que reproduisaient Nos Loisirs (Petit Ange) ou Dimanche illustré (Bicot, président de Club).

La situation de la presse enfantine française allait être totalement bouleversée à partir d’octobre 1934 par une invasion massive de notre pays par la presse étrangère, américaine, italienne et anglaise. C’était le Journal de Mickey qui allait le premier s’engager dans l’offensive contre la presse française.

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