LA FRANCE PITTORESQUE
Moustaches (Les) du roi Henri IV
réapparaissent et font débat en 1866
(D’après « Extraction des cercueils royaux à Saint-Denis en 1793 », paru en 1868)
Publié le samedi 9 mai 2020, par Redaction
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En 1866, cependant que Jules Claretie affirme dans un article du Figaro qu’un bourgeois de Montmartre est en possession de la moustache arrachée à Henri IV en octobre 1793 lors de la profanation des tombes royales de la basilique Saint-Denis, des témoignages contradictoires parviennent au journal et entrent en contradiction avec le procès-verbal dressé à l’époque des faits
 

Le corps du roi Henri IV fut trouvé en état de parfaite conservation lors de son extraction de la basilique Saint-Denis par les révolutionnaires en octobre 1793. Les traits de son visage n’étaient point altérés, et il fut alors facile, explique Gilbert dans sa Description de Saint-Denis, de saisir cette circonstance pour mouler sur nature le plâtre d’après lequel les artistes multiplièrent ensuite le portrait du roi.

Il fut déposé dans les chapelles basses, enveloppé dans son suaire, qui était également conservé. Chacun eut la liberté de le voir jusqu’au lundi matin 14, qu’on le porta dans le chœur, au bas des marches du sanctuaire, où il resta jusqu’à deux heures de l’après-midi. Puis il fut transporté de là dans le cimetière dit des Valois, et enfin jeté dans une grande fosse creusée dans le bas, à droite, du côté du nord, remplie de chaux.

Henri IV exhumé. Gravure d'Eustache-Hyacinthe Langlois (1777-1837) d'après une peinture de Théodore Basset de Jolimont
Henri IV exhumé. Gravure d’Eustache-Hyacinthe Langlois (1777-1837)
d’après une peinture de Théodore Basset de Jolimont

Ce cadavre, considéré comme momie sèche, avait le crâne scié, et contenait à la place de la cervelle, qui en avait été ôtée, de l’étoupe enduite d’une liqueur extraite d’aromates, qui répandait une odeur tellement forte qu’il était presque impossible de la supporter. Un soldat qui était présent, mû par un martial enthousiasme qu moment de l’ouverture du cercueil, se précipita sur le cadavre du vainqueur de la Ligue, et, après un long silence d’admiration, il tira son sabre, lui coupa une longue mèche de sa barbe, qui était encore fraîche, et s’écria en même temps, en termes énergiques et vraiment militaires : « Et moi aussi je suis soldat français ! Désormais je n’aurai plus d’autre moustache. « Et, plaçant cette mèche précieuse sur sa lèvre supérieure : « Maintenant je suis sûr de vaincre les ennemis de la France, et je marche à la victoire ! »

Du moins est-ce ainsi que le procès-verbal des exhumations raconte la chose, le soldat emportant ensuite ce fragment de barbe comme un talisman ou comme un trophée. Alexandre Lenoir, dans des notes manuscrites, donne, dit-il, la véritable version des paroles prononcées par le soldat qui s’appropria la moustache du roi. Il s’écria, en propres termes : « Je suis soldat aussi, moi ! Je ne veux plus porter d’autres moustaches, et je suis sûr de vaincre ces b... de gueux d’Anglais, qui nous veulent tant de mal. » Georges d’Heilly estime, pour sa part, que si le soldat déroba la moustache en question, il l’emporta sans rien dire. La multiplicité des possesseurs de ladite moustache donne d’ailleurs peu de vraisemblance à l’historiette ainsi racontée.

Quoi qu’il en soit, le Journal de Paris du lundi 29 août 1814 rapportait que « M. le chevalier Dubos, sous-préfet de Saint-Denis, avait eu l’honneur de présenter au roi un tableau sur lequel sont fixées deux dents de Henri IV, sa moustache et une manche presque entière de la chemise avec laquelle il avait été enseveli. Ces précieux restes avaient été recueillis, à l’époque de la profanation des tombeaux, par feu le sieur Desingy, alors suisse de l’abbaye, qui les a sauvés aux risques de sa vie ; ils étaient restés jusqu’à présent entre les mains de sa veuve, qui aspirait depuis longtemps à les rendre à la famille à nos souverains. »

Quarante-huit ans après, le 25 décembre 1866, Jules Claretie racontait dans le Figaro, à propos de la découverte et de la réintégration de la tête de Richelieu à la Sorbonne, que la moustache arrachée à Henri IV par le soldat qui figure dans le procès-verbal précité se trouvait « conservée en ce moment, fin 1866, chez un bon bourgeois de Montmartre. » En réponse à cette assertion, le jeune journaliste reçut la lettre suivante :

« Charlieu (Loire), 27 décembre 1866.

« Monsieur,

« Je vois, en lisant dans mon journal votre chronique d’avant-hier, qu’un bourgeois de Montmartre conserve sous verre la partie gauche de la moustache de Henri IV.

« En est-il bien certain ? cela ne fait pas doute ; mais ces précieux débris ont-ils bien appartenu à l’inventeur de la poule au pot ?

« Je viens du fond de la province, d’un trou, vous apporter une histoire vraie à cet égard. Seulement, si elle devait troubler la quiétude du bourgeois de Montmartre, n’en parlons pas.

« A l’époque où les sépultures royales de Saint-Denis furent brisées, et tout à fait au retour de l’équipée, une espèce de géant à tournure farouche entra à Saint-Denis même, avec quelques-uns de ses camarades, chez un marchand de vins, où ils firent un repas à la fin duquel le colosse sortit de sa poche un papier qu’il tendit à une jeune personne de la maison en lui disant : Tiens, citoyenne, j’ai coupé les moustaches au tyran Henri IV, je t’en fais cadeau. La jeune fille accepta avec plus de crainte que de plaisir, mais conserva cependant les moustaches.

« Vingt-cinq ou trente ans après, cette femme avait pour voisin un négociant de notre ville, lequel avait son centre d’affaires, son magasin, presque en face de l’établissement des demoiselles des légionnaires, à Saint-Denis. Il y a vingt-quatre ans j’ai encore vu son enseigne, et je trouverais sa maison si Saint-Denis n’a pas été éclairci comme Paris. « Ce négociant avait, comme bien d’autres, la manie des vieilles choses.

Alexandre Lenoir défendant les monuments de Saint-Denis
Alexandre Lenoir défendant les monuments de Saint-Denis

« Un jour qu’il montrait avec beaucoup d’intérêt je ne sais quelle vieille défroque, la femme aux moustaches lui raconta le don qui lui avait été fait et lui offrit de s’en dessaisir à son profit. Il accepta de grand cœur, mais la difficulté était de retrouver cela.

« Pendant des années, toutes les fois que l’occasion s’en présenta, il demanda toujours à cette femme la remise des précieuses moustaches. Mais elles sont perdues ! disait-il. Cette dame lui répondit que, lors de son dernier déménagement, elle était sûre de les avoir vues enveloppées dans le même papier, qui n’avait jamais été ouvert. Je consacrerai une journée entière à cette recherche, et je les retrouverai ! Ce monsieur vint passer quelques jours ici, à Charlieu, dans sa famille. Pendant son absence, cette femme mourut. Son mobilier fut vendu.

« A son retour, notre compatriote s’empressa de faire des démarches pour connaître le sort des précieuses moustaches. Il apprit que dans un meuble rempli de linge on avait trouvé, sur le plus haut rayon, derrière une pile de draps, un vieux papier dans lequel étaient effectivement des moustaches ou de la barbe. Mais on ajouta que sur l’observation du commissaire, que c’était certainement un souvenir de jeunesse conservé par la défunte, les héritiers, par respect pour sa mémoire, jetèrent au feu le papier et les moustaches qu’il contenait.

« Celui qui m’a donné ces détails est mort depuis quatre ou cinq ans ; ses héritiers habitent Paris, dans une rue de la rive gauche. Il a dû leur faire part de ces détails ; moi-même je les racontais dans une réunion, il y a environ quatre mois. S’ils sont vrais, les moustaches qui sont sous verre à Montmartre ne seraient guère authentiques ; mais si leur possesseur les tient pour officielles, elles lui feront le même usage. »

Quelques jours après, une épître nouvelle est adressées à Jules Claretie par un sculpteur d’Issy, qui aurait bien dû signer sa lettre. Il prétend que la moustache de Henri IV n’a pas été enlevée lors de l’ouverture des tombeaux, et que, quoi qu’on en ait dit, personne n’a touché au corps du roi. Cette dernière assertion, contredite par le procès-verbal d’exhumation, par les rapports des témoins oculaires les plus autorisés et les plus dignes de foi, aussi bien que par le nouveau procès-verbal d’exhumation des restes royaux en 1817, n’a semble-t-il aucune sorte de valeur :

« Souvent j’ai entendu parler de la violation des tombeaux des rois à Saint-Denis. A cette époque, un officier municipal fut envoyé par la commune de Paris pour extraire les rois des caveaux et les jeter dans un trou à chaux. Cet officier, nommé Compérot, était bon sculpteur et savait très bien mouler.

Extrait du Journal de l’extraction des cercueils des rois en 1793

« En ouvrant le cercueil d’Henri IV, on trouva son corps si bien conservé qu’on fit un moulage de sa tête. Ce moulage, très bien fait, très ressemblant, fut le type de toutes les épreuves qui se vendirent depuis chez tous les mouleurs. Le masque de Henri IV, moulé sur nature, se trouvait chez eux vers 1834, et il doit encore en exister dans Paris.

« Après ce moulage, Henri IV, que le peuple avait réclamé et au corps duquel personne n’eût osé toucher, fut enterré respectueusement en pleine terre dans un coin du cimetière de Saint-Denis. Les autres rois furent mis dans un trou plein de chaux vive. Le fils de cet officier, Compérot, sculpteur de talent, a été employé aux travaux de sculpture du nouveau Louvre. Le jour de l’inauguration, l’Empereur lui a remis une médaille d’or. Depuis, ses camarades sculpteurs se sont cotisés peur le faire entrer, avec sa femme, aux Petits-Ménages, où il se porte très bien malgré ses quatre-vingts ans. Enfant, il assistait à l’ouverture des sépulcres, et je tiens de lui ces détails. » L’auteur de la lettre signait « P... R… Sculpteur à Issy ».

Enfin , une dernière lettre, adressée au même journal, vient encore compliquer la question :

« Voulez-vous savoir, monsieur, où se trouve une partie de la fameuse moustache du bon Henri, et, certes, la plus authentique ? Allez à Chantilly, et dans un petit salon au rez-de-chaussée du vieux château de la maison de Condé, vous trouverez un buste du Vert-Galant (je devrais me contenter de dire la tête) posé sur un petit socle. Le tout est en cire jaune rendu verdâtre par le temps.

« Ce buste remarquable a été obtenu par un coulé dans une empreinte qui avait été prise sur la figure même du roi quelques instants après sa mort, et, par suite de la négligence dans le graissage de la barbe et de la moustache, l’opérateur en avait arraché la plus grande partie.

« Aussi retrouve-t-on, sur le masque exposé sous verre à Chantilly, tout ce qui a été enlevé non seulement de la moustache, mais encore de la barbe grise du capitaine Henriot. Je pense que ce buste est toujours à Chantilly. Quant à moi, j’ai constaté ce que j’ai l’honneur de vous indiquer en visitant le château en 1851. »

L’auteur signait d’un simple : « Un de vos abonnés ».

Il résulte de tout ce qui précède qu’il en est de la moustache de Henri IV comme de la plume de l’abdication de Fontainebleau, qu’on voit en beaucoup de musées différents, ou comme de la canne de Voltaire, que tous les amateurs de « bibelots » prétendent posséder. « Mais, comme dit le spirituel correspondant de Charlieu, si leurs possesseurs les tiennent comme officielles, elles leur font le même usage. »

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