LA FRANCE PITTORESQUE
29 avril 1899 : La Jamais contente
franchit les 100km/h et établit
un nouveau record de vitesse
(D’après « A travers le monde », paru en 1899
et « Histoire de l’automobile », paru en 1907)
Publié le vendredi 29 avril 2016, par Redaction
Imprimer cet article
Printemps 1899, le 29 avril, Camille Jenatzy franchit sur la route d’Achères (Yvelines) et à bord d’une automobile la barre symbolique des 100 kilomètres à l’heure, établissant un nouveau record de vitesse dans cette « célérite » aiguë caractérisant la fin du XIXe siècle : il s’agit d’un véhicule électrique surpassant alors les voitures à pétrole, pesant plus d’une tonne et capable de développer 100 chevaux.
 

On a pu voir à l’Exposition internationale des automobiles qui vient de se tenir dans le Jardin des Tuileries une voiture de forme particulière, très basse sur roues, pointue à l’avant et à l’arrière, rappelant la silhouette d’une torpille ou d’un torpilleur. Cette voiture, baptisée « La Jamais contente », nom qu’elle porte fièrement inscrit sur sa caisse, détient, pour le moment, le record du kilomètre. Elle a, en effet, parcouru récemment le kilomètre en 34 secondes, ce qui équivaut à du 105 kilomètres 852 mètres à l’heure.

Cette voiture, essentiellement voiture de course, est l’œuvre de Camille Jenatzy, l’ingénieur bien connu de la Compagnie internationale des Transports automobiles et le créateur du fameux 16 000, le premier fiacre public ayant circulé dans Paris. « La Jamais contente » est à propulsion électrique et tous les détails de sa construction visent exclusivement l’obtention de la plus grande vitesse possible.

Jenatzy sur sa voiture électrique La Jamais contente

Jenatzy sur sa voiture électrique La Jamais contente

Elle semble bien, d’ailleurs, avoir satisfait un problème que son constructeur s’était posé, puisqu’elle a battu le record du kilomètre que détenait, avant elle, la voiture également électrique du comte de Chasseloup-Laubat, laquelle avait fait du 92 kilomètres à l’heure ; tandis que le record des voitures à pétrole était de 62 kilomètres à l’heure.

Jenatzy, qu’empêchait de dormir le record établi par Chasseloup-Lauvat, avait lancé un défi à l’éminent ingénieur : le 17 janvier 1899, il se mettait en ligne au parc d’Achères, et battait les temps de Chasseloup. Mais celui-ci prenait immédiatement après sa revanche, avec une voiture électrique Jeantaud 36 chevaux et établissait le record du monde, à une allure moyenne de 70 kilomètres à l’heure. Ce n’était pas fini : le 27 janvier, Jenatzy atteignait le 80 de moyenne.

En avait-on fini ? Non, car Jeantaud établit le « torpilleur » avec lequel Chasseloup-Laubat fit du 94 ; Jenatzy reprit l’avantage avec sa « Jamais contente ». Ces épreuves, nées d’une crise de « célérite » aiguë, selon le mot à la mode de l’époque, étaient d’un attrait purement théorique, et n’influençaient pas l’avenir de la locomotion, si ce n’est, cependant, au point de vue de perfectionnement des pneus soumis à ce qui était considéré comme d’effroyables contraintes : le dépassement des 100 kilomètres à l’heure.

Si les expériences d’Achères furent précieuses pour le constructeur d’appareils électriques, on se convainc non sans peine que la société Michelin, qui fabriquait dès cette époque les pneus supportant les vitesses correspondant aux records successifs, en tira également de riches enseignements. Le pneumatique, considéré à son début comme un accessoire dangereux et complexe de l’automobile, était devenu peu à peu l’adjuvant nécessaire à la bonne marche du véhicule. Il fut, à dater de cette époque, le « doping » indispensable de toute voiture de course, de tout véhicule de tourisme.

On le connaissait, on l’appréciait même avec ses insupportables défauts. Le temps était loin, de Paris-Bordeaux 1895 où Levassor demandait à Michelin ce qu’il mettait dans ses tubes, « du coton, du liège ou du foin ». Ce à quoi Levassor ne croyait pas, ce que tout d’abord il appelait « folie », se réalisait cependant peu à peu, et seul peut-être eut alors, pendant la période de tous premiers essais, l’intuition de l’avenir réservé aux bandages gonflés d’air, Armand Peugeot qui, dès 1897, émerveillé de la douceur du roulement, s’écriait en caressant de la main un gros pneumatique : « Comme mon moteur va être bien là-dessus ! »

« La Jamais contente » était très puissante. Les moteurs au nombre de deux et d’une puissance totale de 50 kilowatts, soit environ 55 chevaux effectifs, étaient susceptibles d’un effort momentané pouvant atteindre 100 chevaux. Leur poids était de 250 kilogrammes. Chacun de ces moteurs commandait directement une des roues arrière. La batterie d’accumulateurs donnant l’énergie électrique pesait 650 kilogrammes. Tous les autres organes de la voiture pesaient 200 kilogrammes environ au total, ce qui portait à 1100 kilogrammes le poids de la voiture en ordre de marche.

Afin d’arriver à cette énorme puissance spécifique, il avait fallu naturellement avoir des pièces et des organes extra-légers : c’est dire que l’aluminium entrait pour une large part dans la voiture Jenatzy. La carrosserie notamment était entièrement constituée par ce métal, ou du moins par un de ses dérivés, le partinium. Pour présenter le moins possible de résistance à l’air, la caisse affectait la forme toute spéciale de torpille. Ce facteur était le plus important, car au delà de la vitesse de 65 kilomètres à l’heure, la résistance de l’air absorbe un travail bien supérieur à celui qui est nécessaire pour la translation du véhicule.

Grâce à cet ensemble de dispositions spéciales, on estimait « La Jamais contente » capable de dépasser l’énorme vitesse qu’elle avait déjà obtenue dans son célèbre record. Ce jour-là, en effet, la route d’Achères sur laquelle elle courait, était loin d’être en bon état, la pluie des jours précédents l’ayant détrempée, et on avait observé une diminution de vitesse due au roulement des pneus sur une boue collante.

On notait que la vitesse maximale d’un tel véhicule ne pouvait pas être tenue longtemps, les accumulateurs, pour un effort pareil, se déchargeant vite ; mais à la vitesse de 80 à 90 kilomètres à l’heure, Jenatzy avait pu rouler pendant 45 minutes sans décharger sa batterie d’accumulateurs. Il pouvait, de même, rouler à une vitesse beaucoup plus modérée et faire, au besoin, de son torpilleur une voiture de promenade, le confort étant certes quelque peu limité, toute la place ayant été réservée aux divers organes de propulsion.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE