Si la machine à décapiter n’était pas nouvelle, sa première utilisation à Paris sur un condamné dont l’exécution était repoussée depuis plusieurs mois, est faite en application de la loi prévoyant que « tout condamné à la peine de mort aura la tête tranchée ». Devenue nécessaire, l’instrument mis au point par Antoine Louis permettait de « supprimer » bien plus aisément qu’avec l’antique épée sujette à s’ébrécher et source de « ratées »...
On pourrait assurer que la décapitation à l’aide d’une machine était un supplice usité en France avant la conquête romaine. On a trouvé, en effet, en 1865, à Limé, dans le canton de Sains (Aisne), près de la route de Guise à Vervins, un volumineux couperet de silex, pesant environ une centaine de kilogrammes, et que les antiquaires ont reconnu être un tranche-tête gaulois, une guillotine de l’âge de pierre. On tenta, à l’aide de ce disque de silex, des expériences qui furent concluantes. En le faisant mouvoir sous forme de pendule suspendu à une longue tige, on opéra facilement la sécation de têtes de moutons.
La machine à décapiter n’était donc pas en 1791 une nouveauté ; pourtant il est certain qu’on ne s’entendait point sur la façon dont serait construite cette machine : Guillotin, qui tenait à son idée, consulta l’homme de France le plus expert en ces sortes de matières. Il s’adressa à Sanson. Celui-ci, qui ne voyait pas sans un certain dépit les savants se mêler de ses affaires, répondit par une note qui n’apportait pas grande lumière au débat, mais qu’il faut citer cependant, car elle contient certains détails intéressants.
Machine proposée à l’Assemblée nationale pour le supplice des criminels par Monsieur Guillotin. Gravure de 1791 |
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« Pour que l’exécution puisse se terminer suivant l’intention de la loi, il faut que, sans obstacle de la part du condamné, l’exécuteur se trouve encore très adroit, le condamné très ferme, sans quoi l’on ne parviendra jamais à terminer cette exécution avec l’épée...
« A chaque exécution, l’épée n’est plus en état d’en faire une autre, étant sujette à s’ébrécher ; il est absolument nécessaire qu’elle soit repassée et affilée de nouveau s’il se trouve plusieurs condamnés à exécuter au même instant ; il faudra donc avoir un nombre d’épées suffisant et toutes prêtes. Cela prépare des difficultés très grandes et presque insurmontables. « Il est à remarquer encore que très souvent les épées ont été cassées en pareilles exécutions. L’exécuteur de Paris n’en possède que deux, lesquelles lui ont été données par le ci-devant Parlement de Paris. Elles ont coûté 600 livres pièce.
« Il est à examiner que, lorsqu’il y aura plusieurs condamnés qui seront exécutés au même instant, la terreur que présente cette exécution par l’immensité de sang qu’elle produit et qui se trouve répandu portera l’effroi et la faiblesse dans l’âme du plus intrépide de ceux qui resteront à exécuter. Ces faiblesses produiront un obstacle invincible à l’exécution. Les sujets ne pouvant plus se soutenir, si l’on veut passer outre, l’exécution deviendra une lutte et un massacre.
« A en juger par les exécutions d’un autre genre qui n’apportent pas, à beaucoup près, les précisions que celle-ci demande, on a vu les condamnés se trouver mal à l’aspect de leurs complices suppliciés, avoir au moins des faiblesses, la peur ; tout cela s’oppose à l’exécution de la tête tranchée avec l’épée. En effet, comment supporter le coup d’œil de l’exécution la plus sanguinaire sans faiblesse. Dans les autres genres d’exécution, il était très facile de dérober ces faiblesses au public, parce que l’on n’avait pas besoin, pour la terminer, qu’un condamné reste ferme et sans terreur ; mais, dans celle-ci, si le condamné fléchit, l’exécution sera manquée. Peut-on être le maître d’un homme qui ne voudra ou ne pourra plus se tenir. »
De toutes ces observations, Charles-Henry Sanson concluait à l’indispensabilité d’adopter l’usage d’une machine qui fixât le patient dans la position horizontale, pour qu’il n’eût plus à soutenir le poids de son corps, et qui permît d’opérer avec plus de précision et de sûreté que la main de l’homme n’en peut avoir.
Ici les chroniqueurs font généralement intervenir un bon Allemand nommé Schmidt, lequel, passionné pour la musique, avait l’habitude de faire chaque jour son duo avec Sanson, devenu mélomane pour les besoins du récit. Entre deux airs de ballet, Schmidt, avec son accent d’outre-Rhin, aurait pris la parole et dit à l’exécuteur : « Ché né foulais bas m’en mêler, gar il z’achit té la mort du brojin ; mais ché fous fois trop ennuyé... » et il aurait alors jeté sur une feuille de papier le croquis d’une machine qui remplissait exactement toutes les conditions requises, et ainsi aurait pris naissance la guillotine. Il y a certainement dans ce romanesque épisode une tradition qui repose sur un fait vrai, car c’est un charpentier nommé Schmidt qui fut, en effet, le constructeur de la première guillotine : nous verrons tout à l’heure comment on fut amené à s’adresser à lui.
L’histoire des duos avec le bourreau, de ce bédide air d’Armide, interrompu pour dessiner le modèle du sinistre instrument, est un agrément brodé sur un fond de vérité. La chose se passa d’une façon moins pittoresque peut-être, mais plus régulière et plus difficille. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le texte de la loi du 25 mars 1792 et les observations qui l’accompagnent.
Loi relative à la peine de mort et au mode d’exécution qui sera suivi à l’avenir. Donnée à Paris le 25 mars 1792. Décret du 20 mars 1792
« L’Assemblée nationale considérant que l’incertitude sur le mode d’exécution de l’article 3 du titre I du Code pénal suspend la punition de plusieurs criminels qui sont condamnés à mort ; qu’il est très instant de faire cesser des inconvénients qui pourraient avoir des suites fâcheuses ; que l’humanité exige que la peine de mort soit la moins douloureuse possible dans son exécution ; décrète qu’il y a urgence.
« L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète que l’article 3 du titre I du Code pénal sera exécuté suivant la manière indiquée et le mode adopté par la consultation signée du secrétaire perpétuel de l’Académie de chirurgie, laquelle demeure annexée au présent décret ; en conséquence, autorise le pouvoir exécutif à faire les dépenses nécessaires pour parvenir à ce mode d’exécution, de manière qu’il soit uniforme dans tout le royaume. »
Avis motivé sur le mode de la décollation
« Le Comité de Législation m’a fait l’honneur de me consulter sur deux lettres écrites à l’Assemblée nationale concernant l’exécution de l’article 3 du titre I du Code pénal, qui porte que tout condamné à la peine de mort aura la tête tranchée. Par ces lettres, M. le ministre de la Justice, et le directoire du département de Paris, d’après les représentations qui lui ont été faites, jugent qu’il est de nécessité instante de déterminer avec précision la manière de procéder à l’exécution de la loi, dans la crainte que si, par la défectuosité du moyen, ou faute d’expérience et par maladresse, le supplice devenait horrible pour le patient et pour les spectateurs, le peuple, par humanité, n’eût mission d’être injuste et cruel envers l’exécuteur.
La guillotine en l’an II. On peut lire la légende : « Traîtres, regardez et tremblez, elle ne perdra son activité que quand vous aurez tous perdu la vie ». Dessin publié dans La guillotine par G. Lenotre (1920) et réalisé d’après une gravure originale de Le Glaive vengeur de la République |
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« J’estime que les représentations sont justes et les craintes bien fondées. L’expérience et la raison démontrent également que le mode en usage par le passé pour trancher la tête à un criminel l’expose à un supplice plus affreux que la simple privation de la vie, qui est le vœu formel de la loi ; pour le remplir, il faut que l’exécution soit faite en un instant et d’un seul coup ; les exemples prouvent combien il est difficile d’y parvenir. On doit rappeler ici ce qui a été observé à la décapitation de M. de Lally : il était à genoux, les yeux bandés ; l’exécuteur l’a frappé à la nuque ; le coup n’a point séparé la tête et ne pouvait le faire. Le corps, à la chute duquel rien ne s’opposait, a été renversé en avant, et c’est par trois ou quatre coups de sabre que la tête a été enfin séparée du tronc : on a vu avec horreur cette hacherie, s’il est permis de créer ce terme.
« En Allemagne, les exécuteurs sont plus expérimentés, par la fréquence de ces sortes d’expéditions, principalement parce que les personnes du sexe féminin, de quelque condition qu’elles soient, ne subissent point d’autres supplices ; cependant, la parfaite exécution manque souvent malgré la précaution, en certains lieux, de fixer le patient assis dans un fauteuil. En Danemark, il y a deux positions et deux instruments pour décapiter. L’exécution qu’on pourrait appeler honorifique se fait avec un sabre ; le criminel, à genoux, a un bandeau sur les yeux, et les mains sont libres. Si le supplice doit être infamant, le patient lié est couché sur le ventre, et on lui coupe la tête avec une hache.
« Personne n’ignore que les instruments tranchants n’ont que peu ou point d’effet lorsqu’ils frappent perpendiculairement ; en les examinant au microscope, on voit qu’ils ne sont que des scies plus ou moins fines, qu’il faut faire agir en glissant sur le corps à diviser. On ne réussirait pas à décapiter d’un seul coup avec une hache ou couperet dont le tranchant serait en ligne droite ; mais avec un tranchant convexe, comme aux anciennes haches d’armes, le coup asséné n’agit perpendiculairement qu’au milieu de la portion du cercle ; mais l’instrument, en pénétrant dans la continuité des parties qu’il divise, a, sur les côtés, une action oblique en glissant, et atteint sûrement au but.
« En considérant la structure du cou, dont la colonne vertébrale est le centre, composé de plusieurs os dont la connexion forme des enchevauchures de manière qu’il n’y a pas de joint à chercher, il n’est pas possible d’être assuré d’une prompte et parfaite séparation en la confiant à un agent susceptible de varier en adresse par des causes morales et physiques ; il faut nécessairement pour la certitude du procédé qu’il dépende de moyens mécaniques invariables dont on puisse également déterminer la force et l’effet. C’est le parti qu’on a pris en Angleterre ; le corps du criminel est couché sur le ventre entre deux poteaux barrés par le haut par une traverse, d’où l’on fait tomber sur le cou la hache convexe au moyen d’une déclique. Le dos de l’instrument doit être assez fort et assez lourd pour agir efficacement comme le mouton qui sert à enfoncer des pilotis ; on sait que sa force augmente en raison de la hauteur d’où il tombe.
« Il est aisé de faire construire une pareille machine, dont l’effet est immanquable ; la décapitation sera faite en un instant suivant l’esprit et le vœu de la nouvelle loi ; il sera facile d’en faire l’épreuve sur des cadavres et même sur un mouton vivant. On verra s’il ne serait pas nécessaire de fixer la tête du patient par un croissant qui embrasserait le cou au niveau de la base du crâne ; les cornes ou prolongements de ce croissant pourraient être arrêtées par des clavettes sous l’échafaud ; cet appareil, s’il paraît nécessaire, ne ferait aucune sensation et serait à peine aperçu.
« Consulté à Paris, le 7 mars 1792. Signé : Louis. Secrétaire perpétuel de l’Académie de Chirurgie. »
Ce rapport très circonstancié faillit valoir au Dr Louis la triste célébrité qui échut définitivement à son confrère Guillotin : l’appareil à décapiter s’appela, en effet, la Louisette, pendant quelque temps ; mais guillotine prévalut. Toujours est-il que l’instrument existait en théorie ; il ne s’agissait plus que de mettre en pratique l’invention nouvelle ; ici on rencontra quelque difficulté. Dès que le décret du 20 mars avait été rendu, Roederer, procureur-syndic du département de Paris, avait écrit au ministre des contributions publiques, le priant de vouloir bien prendre des mesures pour faire construire la machine telle que Louis en avait donné la description. Clavières répondit qu’il était plus convenable que le Directoire du département se chargeât de ce soin aux frais du trésor public ; mais il demandait avant tout qu’on procédât aux devis et détail estimatif de la dépense que nécessiterait cette construction. Il est bon de dire qu’un malheureux condamné, nommé Pelletier, attendait son sort depuis plusieurs mois, tandis que les pouvoirs se rejetaient ainsi le budget de sa mort future.
Antoine Louis. Gravure de Forestier |
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On s’adressa pour le devis au charpentier Guidon, ordinairement chargé de la fourniture des bois de justice. Il établit l’estimation d’un appareil luxueux — « deux poteaux de la meilleure qualité en bois de chêne neuf avec rainures de cuivre... etc. ».— Mais le total auquel il concluait était exorbitant : il s’élevait à 5 660 livres. En annonçant cette fâcheuse nouvelle au ministre, Roederer fait remarquer « qu’un des motifs sur lesquels le sieur Guidon fonde sa demande est la difficulté de trouver des ouvriers pour des travaux dont le préjugé les éloigne ; mais il s’est présenté des ouvriers qui ont offert d’exécuter la machine à un prix bien inférieur, en demandant seulement qu’on les dispensât de signer un devis, et témoignant le désir de n’être pas connus du public. »
Et Pelletier attendait toujours. Le misérable attendait même si impatiemment que l’un des juges du tribunal criminel provisoire prit la liberté de faire remarquer à l’autorité combien la lenteur des procédés administratifs était cruelle en une pareille circonstance.
« 11 avril 1792. A Monsieur le Procureur général syndic.
« J’ai eu l’honneur de vous voir, Monsieur, pour vous engager, au nom de l’humanité et du bien public, à faire déterminer par l’Assemblée le mode d’exécution le plus convenable à la peine de mort commandée par la loi. Les soins que vous avez donnés à cet objet n’ont pu obtenir le décret qu’au bout d’un mois ; il y a à peu près le même temps qu’il est rendu, et la machine nécessaire pour l’exécution, machine fort simple, n’est pas encore commandée. Il y a quatre mois, le Tribunal a instruit, jugé et fait exécuter, en quinze jours, deux coupables d’assassinats dans Paris. Depuis trois mois, il a instruit contre un malheureux coupable du même crime un procès jugé définitivement depuis deux. Cet accusé connaît le sort qui lui est destiné ; chaque instant qui prolonge sa malheureuse existence doit être une mort pour lui.
« Son crime a été public, la réparation devait être prompte, et une pareille lenteur, surtout au milieu de cette ville immense, en même temps qu’elle ôte à la loi l’énergie qu’elle doit avoir, compromet la sûreté du citoyen... Au nom de la justice et de la loi, au nom de l’humanité, au nom des services que nos tribunaux s’empressent de rendre dans le poste où la confiance public les a placés, daignez donner des ordres pour faire cesser l’effet des causes de ce retard qui nuit à la loi, à la sûreté publique, aux juges et aux coupables eux-mêmes.
« Pardonnez, Monsieur : ma franchise tient autant à mon état qu’à mes principes, et particulièrement à la grande idée que vous nous donnez de vous-même comme citoyen et comme administrateur. Moreau, Juge au deuxième tribunal criminel provisoire. »
« P.-S. — J’ai vu lundi dernier M. Louis qui m’avait promis de vous voir pour cet objet dans la même journée. »
Roederer répondit :
« 11 avril 1792. Le particulier désigné travaille à la machine de concert avec M. Louis : il la promet pour samedi ; on pourra en faire l’essai ce même jour ou dimanche sur quelques cadavres, et lundi ou mardi les jugements pourront être exécutés. »
On avait, en effet, trouvé un charpentier moins imbu de préjugés que Guidon, et qui s’était chargé de fournir une machine « bien conditionnée » pour 305 francs, non compris « le sac de peau destiné à recevoir la tête » coté à part 24 francs. C’est ce Schmidt dont nous avons parlé plus haut qui soumissionna l’entreprise, assez importante, du reste, puisqu’il s’agissait de construire un appareil semblable pour chacun des départements du royaume. Schmidt se piqua d’honneur et mit de la célérité dans son travail ; le 15 avril, Sanson était prévenu de l’essai de la machine destinée à la décapitation. L’expérience réussit pleinement, et l’on décida que l’exécution de Pelletier aurait lieu en place de Grève le 25 avril.
Seulement, comme on craignait que la nouveauté du spectacle ne causât parmi les assistants une curiosité par trop indiscrète, on prit quelques précautions.
« Roederer à M. de Lafayette, commandant général de la garde nationale.
« Le nouveau mode d’exécution, Monsieur, du supplice de la tête tranchée attirera certainement une foule considérable à la Grève, et il est intéressant de prendre des mesures pour qu’il ne se commette aucune dégradation à la machine. Je crois, en conséquence, nécessaire que vous ordonniez aux gendarmes qui seront présents à l’exécution de rester, après qu’elle aura eu lieu, en nombre suffisant sur la place et dans les issues pour faciliter l’enlèvement de la machine et de l’échafaud. Le procureur syndic, Roederer. »
On pouvait, en effet, craindre un excès de curiosité de la part de la foule, car on ne tenait point secrets alors, ainsi qu’on le fit bien plus tard, les préparatifs d’une exécution, et un journal annonçait, dès le matin même du 22 avril, l’expérience qui devait être faite pour la première fois, in anima vili, sur la place de Grève :
« Aujourd’hui, doit être mise en usage la machine inventée pour trancher la tête aux criminels condamnés à la mort. Cette machine aura, sur les supplices usités jusqu’à présent, plusieurs avantages : la forme en sera moins révoltante ; la main d’un homme ne se souillera point par le meurtre de son semblable, et le condamné n’aura à supporter d’autre supplice que l’appréhension de la mort, appréhension plus pénible pour le patient que le coup qui l’arrache à la vie. Le criminel qui doit aujourd’hui éprouver le premier l’effet de cette machine nouvelle est Nicolas-Jacques Pelletier, déjà repris de justice, déclaré par jugement rendu en dernier ressort, le 24 janvier dernier, au troisième tribunal criminel provisoire, dûment atteint et convaincu d’avoir, de complicité avec un inconnu, le 14 octobre 1791, vers minuit, attaqué, dans la rue Bourbon-Villeneuve, un particulier auquel ils ont donné plusieurs coups de bâton, de lui avoir volé un portefeuille dans lequel était une somme de 800 livres en assignats, etc.
« Pour réparation, le tribunal l’a condamné à être conduit place de Grève revêtu d’une chemise rouge, et à y avoir la tête tranchée, conformément aux dispositions du Code pénal. »
Et, dans son numéro du lendemain, la même feuille rendait compte des débuts de la nouvelle machine :
« Hier, à trois heures et demie après midi, on a mis en usage, pour la première fois, la machine destinée à couper la tête aux criminels condamnés à mort. La nouveauté du supplice avait considérablement grossi la foule de ceux qu’une pitié barbare conduit à ces tristes spectacles. Cette machine a été préférée avec raison aux autres genres de supplices : elle ne souille point la main d’un homme du meurtre de son semblable, et la promptitude avec laquelle elle frappe le coupable est plus dans l’esprit de la loi qui peut souvent être sévère, mais qui ne doit jamais être cruelle. »
Le peuple de Paris s’était, comme on le voit, porté en foule à cette représentation tragique qui devait avoir tant de lendemains. La Chronique de Paris rendait en ces termes compte de l’impression que l’exécution avait produite :
« Le peuple, d’ailleurs, ne fut point satisfait : il n’avait rien vu ; la chose était trop rapide ; il se dispersa désappointé, chantant, pour se consoler de sa déception, un couplet d’à propos : Rendez-moi ma potence de bois, / Rendez-moi ma potence ! »
L’ultima ratio de la Révolution était trouvée : chose vraiment remarquable, et qui influa certainement sur la marche des événements, cette machine, inventée dans un but philanthropique, faisait son apparition au moment précis où la tourmente révolutionnaire grondait en ouragan. Cet instrument discret, rapide, d’aspect propre, venait au moment psychologique. Mais on peut se demander ce qui serait advenu si le Dr Guillotin n’avait pas conçu ce sinistre héritier de son nom. Evidemment, cette lacune n’aurait point empêché les soulèvements populaires ni les massacres de septembre ; mais, certainement, sans la guillotine, le tribunal révolutionnaire eût été dans l’impossibilité de fonctionner de la façon que l’on sait. Le peuple de Paris n’aurait pas supporté le spectacle de si nombreuses exécutions d’après l’ancienne méthode, en supposant même que ces exécutions eussent été possibles ; et l’on a vu que, de l’avis de Sanson lui-même, elles étaient impraticables.
« Beau républicain. Image du Paris de 1794 » Caricature anglaise sur la Terreur réalisée par Isaac Cruikshank en 1794 |
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On sait qu’à Nantes et à Lyon les proconsuls avaient d’expéditifs moyens de se défaire des suspects ; mais l’exemple des fournées de Paris les grisait ; d’ailleurs, il est probable que ni les canonnades du Rhône, ni les noyades de la Loire n’auraient pu avoir lieu dans la capitale ; ce qui faisait ici le succès de la guillotine, c’était précisément le manque d’appareil, la simplicité, l’absence de bruit : l’instrument ne semblait pas tuer les gens, mais les supprimer.
Dès le lendemain du jour où la guillotine avait été, pour la première fois, mise en usage à Paris, Challon, procureur-syndic du département de Seine-et-Oise, invitait son collègue de Paris à autoriser l’exécuteur des jugements criminels de la Seine à prêter à celui de Versailles la machine destinée à trancher la tête aux condamnés. La loi, en effet, avait ordonné que le mode de décapitation serait uniforme dans toute l’étendue du royaume, et il n’existait encore qu’une seule guillotine qu’on pouvait, à la rigueur, transporter à Versailles, malgré la complication de l’appareil et l’extrême lourdeur des charpentes qui lui servaient de piédestal, mais qu’il ne fallait pas songer à faire voyager dans toute la France.
Aussi, dès les premiers jours de mai 1792, le constructeur Schmidt se mettait à la besogne, et, moyennant 329 francs par machine — accessoires compris — commençait-il à fournir de guillotines les départements. Ces instruments, faits à la hâte, étaient, pour la plupart, défectueux et mal établis. Dès la réception de ses fournitures, l’exécuteur de Versailles (un Sanson) se plaignait « que le tranchoir de Seine-et-Oise était de mauvaise trempe et qu’il était déjà ébréché ».
Le matériel des exécutions était d’ailleurs assez compliqué ; il fallait tenir toujours prêts : les paniers d’osier doublés en cuir ; les sangles et courroies ; les balais ; les planches pour les écriteaux (destinés aux expositions) ; les fers, réchauds, pelles, pincettes et soufflets (pour la marque sur l’épaule) ; une hache ou couperet ; les italiennes ou cordes. Un certain matériel ne pouvait servir qu’aune seule exécution : les cordes pour attacher au poteau les condamnés aux expositions ; la chemise rouge ; le voile noir ; le son, sable ou sciure de bois ; la paille ; la graisse ou le savon ; le charbon ; la pommade et la poudre à tirer pour mettre sur la marque des condamnés flétris ; les clous ; les empitoires ou entraves pour attacher les jambes ; les vestes, tabliers, pantalons pour les aides ; l’eau pour laver les paniers et la place où se font les exécutions, dans les villes où elle se vend. Les fournitures étaient alors au frais de l’exécuteur.
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