LA FRANCE PITTORESQUE
Toasts (De l’origine des)
(D’après « Le Figaro littéraire », paru en 1906)
Publié le samedi 22 août 2015, par Redaction
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Ces effusions de sympathies mutuelles que la chaleur communicative des festins provoque de nos jours ne furent, au début, qu’un acte de précaution et un témoignage de défiance. Les institutions ont leur destinée.

« Les Danois établis en Angleterre, dit le Chamber’s Journal, avaient coutume d’inviter à de fastueux banquets, les seigneurs angles ou saxons dont ils voulaient se débarrasser. Le maître de la maison profitait du moment où son convive vidait à longs traits son hanap, pour lui donner un coup de poignard dans le dos ou lui couper la gorge d’un coup d’épée.

« Le malheureux invité, qui n’ignorait pas le sort dont il était menacé, ne commettait jamais l’imprudence de tremper ses lèvres dans sa coupe sans prévenir un de ses amis en lui disant : « Je bois à votre santé » Cela signifiait : « Faites bien attention, j’ai pour voisin de table un Danois qui guette le moment propice pour m’assassiner. Surveillez-le bien et tenez-vous prêt à venir à mon secours pendant que je boirai. »

Cette conjecture est assez ingénieuse et elle nous indique, d’une façon assez plausible, les origines d’une institution destinée à subir dans la suite des siècles une complète transformation et à étendre de proche en proche son empire sur toute la surface du globe, mais cette explication ne nous fait pas connaître d’où vient ce mot de toast qui n’existait pas du temps des Saxons, des Angles et des Danois ou tout au moins n’avait pas encore le sens qu’il devait prendre dans la suite en entrant dans la langue anglaise et plus tard dans la langue universelle.

Pris dans son acception primitive, le mot de toast signifie pain grillé. Il se pourrait qu’à une époque assez difficile à préciser, une petite tranche de pain grillé fût jetée dans le vin de la coupe afin de donner plus de solennité à des échanges de serments d’amitié ou d’amour. Toutefois, aucune preuve décisive n’a été encore apportée à l’appui de cette conjecture. Le seul fait indiscutable est que le pain grillé, en admettant qu’il ait jamais figuré dans ces manifestations à titre de symbole, n’a pas tardé à être remplacé par des substances plus précieuses.

« Sir Thomas Gresham, voulant renouveler les folies de Cléopâtre, fit réduire en poudre une pierre précieuse qui valait 375 000 francs afin d’assaisonner le vin de la coupe qu’il devait boire à la santé d’Elisabeth en recevant la visite de la Reine à la Bourse de Londres », nous apprend encore le Chamber’s Journal. Le fastueux marchand, que ces contemporains appelaient « le commerçant royal », mit à la mode les toasts dispendieux.

A la cour des Stuarts, un gentilhomme ne pouvait pas boire à la santé d’une dame sans être obligé de jeter une partie de ses vêtements au feu. Le mal n’eût pas été grand si le seigneur qui s’imposait un pareil sacrifice pour donner une preuve de son amour n’avait pas obligé ses compagnons à s’associer à cet acte de folie. Lorsque à la fin d’un repas un seigneur jetait son pourpoint dans les flammes pour faire honneur à « la dame de ses pensées », tous les autres convives devaient rendre le même hommage à la belle inconnue, sous peine d’être immédiatement appelés sur le terrain.

Le toast détourné de sa destination primitive pour devenir une déclaration publique d’amour poussée jusqu’à la démence devint le prétexte à tant d’abus qu’il finit par se mettre au service de la politique. Définitivement entré dans cette voie vers la fin du XVIIe siècle, il a donné naissance à un nouveau genre de littérature qui n’est pas toujours très divertissant.

Ce n’est pas que la politique ne se soit parfois montrée ingénieuse en s’appropriant cette nouvelle forme de manifestations. L’habitude de choquer les verres avant de boire à la santé de quelqu’un, a été inventée par les partisans des Stuarts. Obligé de répondre à un toast « à la santé du Roi », un fidèle jacobite ne manquait jamais, en levant son verre, de le faire passer au-dessus d’un autre verre en choquant le bord du second avec le pied du premier. Cet artifice symbolique voulait dire : « Je ne bois pas au roi Georges, mais au vrai Roi qui est de l’autre coté du détroit. »

Cet expédient ayant été dévoilé, les fidèles de la dynastie déchue firent passer leur verre au-dessus du bol où ils venaient de se laver les doigts. De cette façon, ils buvaient au Roi qui était de l’autre côté de l’eau. Cet usage a laissé des traces dans l’étiquette de la cour d’Angleterre.

Au début du XXe siècle encore, lorsque le roi d’Angleterre dînait chez un grand seigneur, le souverain seul avait le droit d’avoir un rince-bouche, afin qu’en sa présence, personne ne pût recourir au subterfuge traditionnel pour boire à l’héritier des Stuarts réfugié sur le continent.

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