LA FRANCE PITTORESQUE
Trésor (Un) de 2200 pièces du XVe siècle
découvert en 1863 à Questembert
(D’après « Bulletin de la Société polymathique du Morbihan », paru en 1863)
Publié le samedi 17 mars 2012, par Redaction
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En 1863, un trésor caché depuis le XVe siècle est mis au jour à Questembert, dans le Morbihan, fortune mise à l’abri des regards par Jean Guennégo de Quervien, exerçant la double profession de maître-d’hôtel et de marchand ambulant, possesseur de nombreuses propriétés et qui sut habilement se mettre sous la protection du duc de Bretagne François II
 

En 1487, alors que la Bretagne était en partie envahie par l’armée du roi de France, Charles VIII, qui occupait notamment la ville de Vannes et diverses localités voisines, vivait, dans la ville de Questembert, un personnage nommé Jean Guennégo de Quervien, exerçant la double profession de maître-d’hôtel et de marchand ambulant.

Les spéculations de cet industriel paraissent avoir été longtemps heureuses. Outre son logis de Questembert, dans lequel il avait eu l’honneur de recevoir le duc de Bretagne François II, il possédait au soleil des métairies, des colombiers, des garennes, des prés, des bois, enfin des marchandises importantes qu’il faisait venir tant par terre que par mer. Il était marié, père de famille ; il avait à son service des clercs et des varlets familiers, comme on disait au XVe siècle.

Blanc aux hermines frappé sous Jean V, duc de Bretagne

Blanc aux hermines frappé sous Jean V, duc de Bretagne

Cependant son ambition n’était pas satisfaite ; il eut la prétention d’accroître encore sa fortune déjà acquise ; et, malgré les malheurs du temps et le peu de sécurité qu’offraient les campagnes, il voulut continuer son commerce ambulant. Mais la soif du lucre, auri sacra fames, lui porta enfin malheur. Dans l’une des tournées qu’il persistait à faire pour écouler avantageusement ses riches pacotilles, il lui arriva une cruelle mésaventure : sa personne et ses marchandises tombèrent entre les mains des gens d’armes qui tenaient pour le roi de France contre le duc de Bretagne ; il fut retenu assez longtemps prisonnier et il perdit une bonne partie de son avoir.

Ce premier échec le rendit circonspect : il prit peur non seulement des ennemis qui battaient la campagne, mais encore des partisans eux-mêmes de son hôte, le duc François II, dont il était demeuré le sujet fidèle. Il supposait, non sans raison peut-être, que tous les détrousseurs de grandes routes ne faisaient pas partie de l’armée du Roi, et qu’il pouvait bien s’en trouver quelques-uns dans le camp du Duc. Ne voulant pas cependant renoncer à ses spéculations commerciales, qui lui offraient la chance de réparer ses pertes, Jean Guennégo eut l’heureuse idée d’invoquer la protection de François II.

Cet appel fut entendu du prince, qui, sans doute en souvenir de l’hospitalité que lui avait donnée le maître-d’hôtel de Questembert, prit celui-ci sous sa spéciale sauvegarde, ainsi que sa femme, ses enfants, ses clercs ; varlets familiers, serviteurs, maisons, métairies, garennes, colombiers, terres, prés, bois et saulzaies, avec toutes ses autres justes possessions et biens quelconques ; et, pour porter à la connaissance de tous et chacun la haute et puissante protection qui couvrait le sieur de Quervien , le Duc l’autorisa placer l’écusson aux armes ducales aux huys, portes et fenêtres, maisons et habitations de son protégé, les détails qui précèdent étant extraits de lettres patentes datées à Nantes le 20 décembre 1487.

Jean Guennégo put donc continuer son trafic et réparer, en partie du moins, son précédent désastre ; mais l’expérience l’avait rendu prudent jusqu’à la méfiance : il craignit qu’en dehors de l’armée du roi Charles VIII qui l’avait détroussé une première fois, sa fortune ne devînt un objet de convoitise, non seulement de la part des gens du Duc, mais encore pour ses propres serviteurs ; et, dans l’espoir d’échapper à toute spoliation nouvelle, il pratiqua dans l’intérieur de l’une des cheminées de son logis, sur l’un des jambages qui en supportent le manteau à droite, une cachette habilement masquée, dans laquelle il plaça la tirelire destinée à recevoir ses économies.

Blanc d'argent frappé sous François II, duc de Bretagne

Blanc d’argent frappé sous François II, duc de Bretagne

Notre thésauriseur est mort, emportant avec lui son secret. Sa femme et ses enfants auront fait de vains efforts pour découvrir le lieu qui recelait les épargnes du père de famille. Sa maison a passé dans des mains étrangères, et l’on ignorerait encore qu’une petite fortune y avait été cachée, si le propriétaire d’une partie du logis de Jean Guennégo, dans le but de réparations intérieures, n’avait mis à découvert la tirelire du maître-d’hôtel. Cette tirelire, d’une forme ronde, aplatie sur deux de ses faces, peut avoir 20 centimètres de hauteur. Elle était en terre et contenait environ 2 200 pièces.

L’année même de la découverte, un membre de la Société polymathique du Morbihan put à loisir étudier 1090 de ces pièces appartenant toutes au XVe siècle. Il nous révèle que 370 sont en billon blanchi et portent les noms de rois de France. Une seule est de Charles VII ; les autres sont des blancs de billon, au soleil ou à la couronne, de Louis XI et de Charles VIII. Il put distinguer encore :

1° Trois monnaies de Louis XI, avant son avènement au trône de France, alors qu’il était seigneur du Dauphiné ;
2° Un blanc de billon du même prince, chargé d’un écu écartelé de France et de Dauphiné ;
3° Un blanc d’argent de Pierre II, prince de Bombes, 1487-1503 ;
4° Deux blancs de billon de Jean II, duc de Bourbon, seigneur de Trévoux, 1443-1487 ;
5° Un blanc de billon de Louis Ier, duc de Savoie, 1440-1465 ;
6° Un blanc de billon de Gaston XI, seigneur de Béarn, 1436-1472 ;
7° Un blanc d’argent de François Phoebus, seigneur de Béarn, 1472-1483 ;
8° Un demi-blanc de billon, du même seigneur.

Toutes les autres monnaies (plus de 600) ont été frappées par les ducs de Bretagne Jean V le Sage, 1399-1442 ; François Ier le Bien Aimé, 1442-1450, et François Il, 1458-1488. Les unes sont des blancs et des demi-blancs d’argent, d’autres sont en argent de bas aloi, le plus grand nombre est en billon blanchi. Notre éminent membre de la Société du Morbihan chercha inutilement des monnaies des ducs de Bretagne Pierre II le Simple (1450-1457) et d’Arthur III le Justicier (1457-1458), non plus que de la duchesse Anne (1488-1514). Enfin, parmi les 1100 pièces examinées, pas une n’était antérieure ou postérieure au XVe siècle, ce qui confirme que ce petit trésor appartenait bien réellement à Jean Guennégo, qui a dû mourir entre l’année 1488 et la fin du XVe siècle.

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