LA FRANCE PITTORESQUE
Toujours perdrix : étrange locution
liée au roi Henri IV ?
(D’après « Bulletin Hispanique », paru en 1906)
Publié le jeudi 8 octobre 2015, par Redaction
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Des interrogations suscitées par l’étrange locution française Toujours perdrix, utilisée par les Allemands mais totalement méconnue en France, et dont l’origine se trouverait liée à une réflexion sarcastique du roi Henri IV...
 

Parmi la multitude des locutions françaises dont les Allemands aiment — à la grande stupéfaction du Français lettré, qui souvent les ignore ou ne leur connaît pas le sens qui leur est attribué — à émailler le discours familier et même le langage oratoire, il s’en trouve une qui mérite d’être consignée pour les raisons qui vont suivre : Toujours perdrix.

Le Fremdwörterbuch de Heyse nous explique qu’il s’agit d’un cri de satiété ou de dégoût, cependant que le berlinois Georg Büchmann nous apprend dans son dictionnaire des citations Geflügelte Worte qu’on raconte « qu’Henri IV, blâmé par son confesseur pour ses nombreuses amourettes, lui fit servir pendant plusieurs jours des perdrix, jusqu’à ce que le brave homme se plaignît de n’avoir à manger que toujours perdrix ».

Le lexicographe allemand confesse d’ailleurs qu’aucun ouvrage français ne mentionne cette anecdote et en ignore lui-même la source, tout comme les deux Konversations Lexika de Brockhaus et Meyer, cependant si consciencieux à fournir toutes les indications désirables. La question qui se pose est celle-ci : Est-il vrai que la locution précitée se rattache à Henri IV ?

Une fois la preuve faite, il serait intéressant d’examiner d’où Henri IV a pris l’idée de cette facétie. C’est ici que l’hispanisant aurait peut-être à intervenir. D’après le même Büchmann, il a été imprimé en 1837, à Barcelone, une Curiosa Relación poética en coplas castellanas del verdadero aspecto del mundo y estado de las mujeres où se trouvent ces vers :

...como dice el adagio
Que cansa de comer perdices.

Quel est cet adagio ? Henri IV, béarnais, a-t-il connu, d’Espagne, un récit où il aura puisé la mise en action de la moralité gastronomique si charmante qui lui est imputée ? Ou plutôt n’est-ce point, au contraire, à une contamination germanique du fonds parémiologique roman que nous avons ici affaire ? La question semble difficile à résoudre. Dans le Deutsches Sprichwörter Lexikon (Encyclopédie allemande des proverbes) de Wander (Brockhaus, 1873, t. III) on trouve bien, au mot Rebhuhn (perdrix), la frappante analogie suivante avec la phrase prétendue du Vert-Galant : Rebhühner und nichts als Rebhühner, klagte das Hoffräule (Perdrix, et rien que perdrix, se plaignait la Demoiselle). Quelle est cette « Damoiselle » ? Existe-t-il un conte à son endroit ?

Mais, d’autre part, dans l’un des nombreux traités de Joachim Heinrich von Campe, mélange de philosophie populaire, de linguistique et de pédagogie, intitulé Väterlicher Rath an meine Tochter (Conseils paternels à ma fille, 1791), il est dit que la locution Toujours perdrix [en français dans le texte allemand] se rencontre dans toutes les bouches pour exprimer le dégoût que suscite la jouissance répétée d’un même mets, fût-il des plus fins. Il n’est nullement question d’Henri IV, ni d’une anecdote française d’origine dans plusieurs ouvrages lexicologiques allemands du XVIIIe siècle.

Enfin, L’Encyclopédie (éd. de Neufchâtel, 1765, t. XII) a cette phrase, malheureusement trop vague, à l’article Perdrix : « Je ne sais ce qu’il faut croire d’une opinion qui est répandue parmi le peuple, savoir que le glouton le plus décidé ne saurait manger une perdrix tous les jours pendant un mois entier. »

Il y a donc un point obscur à éclaircir par quelque folkloriste compétent en matière de perdrix.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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