LA FRANCE PITTORESQUE
Exécution d’Henri-Désiré Landru,
guillotiné le 25 février 1922
à six heures cinq
(D’après « Le Petit Journal » du 26 février 1922)
Publié le jeudi 25 février 2016, par Redaction
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Au lendemain de l’exécution d’Henri-Désiré Landru, guillotiné le 25 février 1922 à six heures cinq sur la place des Tribunaux à Versailles, deux chroniqueurs du Petit Journal ayant assisté aux derniers préparatifs et aux derniers instants d’un condamné à mort impassible, livrent leur témoignage, décrivant le petit jour lugubre et des spectateurs qui, venus en nombre, retenaient leur souffle avant le moment fatal
 

Nous ne pourrons jamais oublier cela, écrit Georges Martin. Les étoiles venaient de s’éteindre. Dans une caserne proche, un clairon avait sonné la diane. Il régnait un angoissant petit jour, bruineux, maladif, couleur de suie délavée. Les pavés étaient gras d’une humidité malsaine. Il faisait froid.

La porte de la prison s’ouvrit à deux battants. Tout le monde ôta son chapeau. Un groupe d’hommes sortit, aumônier, aides, gardiens, tous vêtus de sombre, silhouettes fondues, comme d’un coup d’estompe, dans le gris ambiant, comparses imprécis et fugitifs. Au milieu d’eux, un spectre. On ne vit d’abord qu’une tache blanche : une chemise échancrée bouffant au vent du matin. Au-dessus de la chemise, quelle figure !

Landru peu après son arrestation

Landru peu après son arrestation

Elle était si blafarde, crayeuse et verte à la fois, qu’on l’eût dit éclairée par des projecteurs croisés. Une barbe courte découpait ses angles noirs, sur ce masque tragique et le crâne immense eût concentré toute la lumière si les yeux, grands ouverts, n’eussent brillé, et de quelle lueur ! Cette tête épouvantable et fière était dressée sur un cou maigre, long, tendu dans un effort désespéré pour dominer d’une nargue dernière la foule et les bourreaux.

Le bas du corps était gainé de noir, et flageolant parce que ligoté, incapable d’obéir à la volonté de son possesseur. Landru s’avançait, entra, soutenu et poussé par les aides et d’aucuns prirent deux cahots inévitables pour des hésitations. Je crois qu’ils se sont trompés. Landru se laissa docilement coucher sur la machine. Il est mort bravement, sans un mot. Il a jusqu’au bout maîtrisé sa peur. Nous autres, nous avions passé la nuit à avoir peur pour lui.

Nous avons fait les cent pas sur la petite place, devant la prison, où des ombres allaient et venaient derrière une fenêtre éclairée. Nous avons foulé les cinq mètres de pavés disjoints où la guillotine allait s’élever à l’aube. Nous avons contemplé pendant des heures le kiosque à journaux tout voisin, fermé, ironique et dont les vitres illuminées, historiées d’affiches rieuses, chantaient la gloire d’un thé plus ou moins cinghalais. Nous avons épié les bruits nocturnes et nous avons répété vingt fois : « Pourvu qu’il n’aille point entendre !... »

Ce fut d’abord le bruit sourd des soldats en marche : une compagnie du génie, qui allait se ranger aux issues du carrefour. Les crosses des armes reposées toutes ensemble sonnèrent, sur la terre qu’ébranlèrent ensuite les sabots de la cavalerie. Puis des pas isolés éveillèrent les échos : l’aumônier qui arrivait, les avocats. Puis le fourgon parut, tapissière aux airs de corbillard, traînée par deux chevaux puissants et hauts sur jambes, portant, à l’avant, une espèce de fanal rouge.

Landru lors de son procès

Landru lors de son procès

Puis on monta la machine. Nous étions attentifs et la nuit, trouée de la flamme de deux bougies placées dans des lanternes de métal curieusement découpé, faisait plus inquiétante la résonance des madriers et des barres de fer heurtant le sol. Nous apprîmes alors les derniers mots de Landru :

— Ayez du courage.

— J’en aurai... comme d’habitude !

Quel calme ! Quel sang-froid ! N’avait-il donc pas entendu les bruits, les bruits affreux de la nuit ? Ou, s’il les avait entendus, où trouvait-il la force morale nécessaire pour dompter le désordre de son corps affaibli ? Je le confesse : hier matin, à cinq heures et demie, nous avons failli admirer Landru.

A six heures, un tramway — inattendu — traversa la place, tout chargé de Versaillais, étonnés. Puis le portail de la prison s’entrouvrit une première fois et des allées et venues eurent lieu. Puis M. Deibler fit une dernière vérification à sa machine. Puis la diane sonna. Puis... A présent, le corps de Barbe-Bleue, couché sur le ventre, les mains liées derrière le dos, repose, coupé en deux, dans une boîte de sapin, où on l’a versé avec le son et le sang du panier des suppliciés. La boîte est enterrée, en attendant son exhumation, dans un coin maudit du cimetière des Gonards. Henri-Désiré Landru a emporté son secret. S’il continue d’être une énigme, il a définitivement cessé d’être un sujet de plaisanterie, conclut Georges Martin.

Quant au journaliste A. Delpeyrou, il s’attache à nous décrire la dernière journée du condamné :

Le réveil du condamné

— Du courage... n’ai-je donc pas l’habitude d’en avoir ? Messieurs, je suis à votre disposition, veuillez me passer mes habits.

C’est par ces mots qu’hier matin à cinq heures et demie Landru, réveillé en sursaut, accueillit dans sa cellule ceux qui venaient lui annoncer, selon la formule traditionnelle, que son recours en grâce avait été rejeté et que l’heure de l’expiration avait sonné. Il y avait là MM. Béguin, avocat général ; Beylot, procureur de la République près le tribunal de Versailles ; Brachet, Dejuste et Le Pelley-Fonteny, substituts ; Bonin, juge d’instruction ; Ducrocq, directeur de la police judiciaire ; l’abbé Loisel, aumônier de la prison ; le docteur Robert, et les défenseurs de Landru, Mes de Moro-Giafferi et Navières du Treuil.

Le condamné à mort dormait si profondément que M. Beyot, qui prononça la phrase sacramentelle, dut s’y reprendre à trois reprises pour le tirer de son sommeil. Et pourtant, depuis la nuit tombante, alors que la nouvelle de l’exécution s’était répandue à Versailles comme une traînée de poudre, les abords de la prison regorgeaient de spectateurs. La place des Tribunaux, où devait se dresser la guillotine, avait plutôt l’air d’un champ de foire que d’un lieu de supplice. Des femmes, beaucoup de femmes et de tous les mondes, depuis la simple ouvrière encapuchonnée dans son manteau de laine, jusqu’à la mondaine parée de vision ou de zibeline et accourue de Paris dans son coupé automobile avec l’espoir — rapidement déçu — d’entrevoir... quelque chose d’horrible.

Mais le service d’ordre, sévère autant qu’il convient, sut mettre un frein salutaire à toute curiosité excessive. Il fut organisé de façon impeccable par M. Laurent, commissaire spécial de Versailles, et seuls ceux que leurs obligations professionnelles appelaient à ce triste spectacle purent franchir les barrages.

Et quels barrages ! Sur quatre rangs de profondeur, des troupes d’infanterie, de cavalerie et de gendarmerie, disposées rue de Jouvencelle, place Charost et rue Georges Clemenceau, encerclèrent complètement la place des Tribunaux à près de cent mètres de distance. Dès trois heures du matin, la police avait fait place nette.

Les derniers apprêts
Nuit douce et claire, ciel éblouissant d’étoiles. A mesure que les heures s’écoulent — toute proche, mais combien lugubre ! l’horloge de l’hôtel de ville sonne quarts et demies — insensiblement le silence s’approfondit. Le moindre bruit fait frémir. C’est tantôt, tout près, le cheval d’un cavalier qui piaffe, impatient ; tantôt, dans le lointain, le roulis plaintif d’une charrette sur les pavés. Quatre heures. Voici venir le fourgon porteur des bois de justice, au pas somnolent de ses chevaux blancs. On murmure, on s’approche, le fourgon s’arrête enfin face à la porte de la prison et trois hommes apparaissent vêtus de cottes bleues : les aides du bourreau.

Landru dans sa cellule, à quelques heures de son exécution

Landru dans sa cellule, à quelques heures de son exécution

A la lueur falote d’une lanterne, les trois hommes, sans parler, montent la guillotine. Voici d’abord une sorte de plancher équilibré à l’aide d’un niveau d’eau, puis le corps de l’engin avec ses tragiques accessoires, la bascule, le panier et enfin, rouges, ses deux bras, hideux comme deux tentacules. M. Deibler en personne, au dernier moment, hissera le couteau et en vérifiera le fonctionnement.

Cinq heures. Quel silence ! Il semble encore peser davantage maintenant que la guillotine nous regarde. Il commence à faire froid et l’on pressent le jour, à voir une à une les étoiles s’évanouir. Cinq heures et demie. Ce n’est déjà plus la nuit... mais pas encore le jour. Voici les défenseurs, Mes Moro-Giafferi et Navières du Treuil et, près de la porte de la prison, les magistrats qui vont réveiller le condamné. Les avocats les ont rejoints, l’aumônier les suit en priant. Une porte grince sur ses gonds ; la petite troupe pénètre dans la prison, puis dans la cellule de Landru.

Les derniers mots de Landru
Réveillé, Landru est donc étonné qu’on pût lui demander d’avoir du courage. Mais il avait auparavant dit au magistrat qui venait de lui parler : « Monsieur, je n’ai pas l’honneur de vous connaître ; voudriez-vous me dire qui vous êtes ? » M. Béguin s’était nommé, il parut satisfait que ce point d’étiquette fût réglé. Maintenant il s’habille, seul, sans aucune aide. Il n’oublie pas de se laver mains et figure, ni d’essuyer minutieusement les poils luisants de sa fameuse barbe.

— Voulez-vous entendre la messe ? lui demande l’aumônier.

— Ce serait avec plaisir, monsieur l’abbé, mais tout le monde est prêt, il ne faut pas nous faire attendre.

Il refuse tout à la fois cigarette et rhum, puis décline l’offre de se confesser, mais il consent à ce que l’abbé Loisel l’assiste jusqu’à l’échafaud. Sa voix ne dénote pas la moindre émotion. Farouche mais correct, il se prête à cette atroce formalité qu’est la « toilette ». Une seule réflexion aux bourreaux, cependant qu’on le ligote :

— Pourquoi me serrer si fort ?

— Le règlement !

— Alors, faites.

Et il se prend à remercier en termes émus son avocat. « Maître, lui dit-il, avec cette voix grave qu’il sait vouloir mélodieuse, je suis fier de voir que jusqu’à la dernière minute vous, sinon les autres, n’avez jamais douté de mon innocence. Si vous efforts sont restés vains, croyez bien que je n’en apprécie pas moins le mérite et que du fond du cœur je vous remercie. »

Exécution de Landru le 25 février 1922

Exécution de Landru le 25 février 1922

Mais le procureur de la République avait une tâche ingrate à remplir : un suprême interrogatoire.

— Landru, demanda M. Beylot, avez-vous une révélation à faire ?

— Je m’étonne que la loi vous permette de me poser une telle question, rétorqua le condamné à mort. Je n’appartiens déjà plus à ce monde, et je ne répondrai pas à cette demande que je suis en droit, monsieur le procureur, de considérer comme injurieuse.

L’exécution
C’est l’aube. La porte de la prison s’ouvre à deux battants. Trois formes humaines apparaissent : Landru, soutenu par les aides, marche à l’échafaud, la barbe raccourcie, mal taillée, la tête haute mais branlante. Son crâne démesuré luit comme un miroir, ses épaules maigres se balancent dans l’échancrure de sa chemise trop large.

Me Moro-Giafferi se trouve à son passage ; Landru l’a aperçu. D’une voix imperceptible il lui dit : « Encore merci... pensez à moi ! » Mais déjà, poussé sur la bascule, il s’effondre. Un déclic, le bruit sourd du couteau... C’est fini. Il est six heures cinq.

Au grand trot, le fourgon mortuaire, escorté par des gendarmes à cheval, conduisit alors le corps au cimetière des Gonards, où eut lieu l’inhumation dans l’emplacement réservé aux suppliciés. La famille du condamné a réclamé sa dépouille mortelle. Il sera donc procédé très prochainement à son exhumation. Après l’exécution, Me Moro-Giafferi, visiblement ému et rebelle à toute interview, résuma son impression par ces mots : « Victor Hugo disait : Le châtiment irréparable suppose le jury infaillible... »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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