LA FRANCE PITTORESQUE
Planète Mars : monde dépourvu de vices
et dominé par les femmes ?
(D’après « Annales politiques et littéraires », paru en 1920)
Publié le mercredi 15 janvier 2020, par Redaction
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L’engouement et la curiosité suscités par la planète Mars au début du XXe siècle incitent un chroniqueur des Annales politiques et littéraires à se replonger dans le célèbre Uranie de Flammarion, roman décrivant un monde inaccessible, libéré des contraintes matérielles, où la gent féminine règne en maître et où la puissance se mesure à l’aune de la sensibilité
 

Vous n’ignorez pas que l’Institut a reçu en dépôt cent mille francs, lesquels doivent être offerts au savant qui, le premier, entrera en communication avec ce monde voisin et particulièrement sympathique, explique notre chroniqueur. Jusqu’ici, ce capital est resté inemployé. Mars ne nous a adressé aucun message précis... Or, voici que, depuis quinze jours, l’espoir toujours déçu se ranime. Des signes mystérieux enregistrés par les physiciens ont ouvert le champ à de hardies hypothèses...

Ces signes, venus de l’espace interstellaire, ces ondes méthodiquement émises, semblaient vouloir amorcer la conversation. Vif émoi parmi les hommes... Du coup, nos difficultés, nos querelles, nos médiocres petits débats, nos soucis égoïstes, nos intrigues parlementaires, ont été relégués au second plan. Le rêve merveilleux nous a fait un instant oublier la réalité maussade. Et, soudain, l’immense désir qui nous pousse à nous évader de notre prison terrestre nous a ressaisis. Cette insatiable curiosité ne date pas d’hier. Toute une littérature en est née.

Uranie. Muse de l'astronomie
Uranie. Muse de l’astronomie

Pour me rafraîchir la mémoire, j’ai rouvert les bons auteurs, j’ai relu l’Uranie de mon vieil ami Flammarion. Ce roman eut quelque succès, naguère ; il échauffa l’imagination des Philamintes férues d’astronomie. Elles palpitèrent aux aventures de l’aéronaute Georges Spéro et de sa fiancée, dont les âmes, après un séjour chez les Martiens, redescendirent ici-bas et, sous les arbres de l’observatoire de Juvisy, firent à notre cher astronome d’étranges révélations. Et, d’abord, elles lui affirmèrent que Mars est l’empire de la femme émancipée, triomphante.

Le sexe féminin y règne en maître, par une supériorité incontestable sur le sexe masculin. Les organismes sont légers et délicats, la densité des corps est très faible, la pesanteur plus faible encore ; à la surface de ce monde, la force matérielle ne joue qu’un rôle secondaire dans la nature ; la finesse des sensations décide de tout. Il y a là un grand nombre d’espèces animales et plusieurs races humaines. Dans toutes ces espèces et dans toutes ces races, le sexe féminin est plus fort (la force consistant dans la délicatesse de sensations).

Autre supériorité des Martiens sur les Terriens : ils ne mangent pas. Ils se nourrissent comme les fleurs, d’air et de rosée ; ils vivent dans l’atmosphère plutôt qu’à la surface du sol. Dénués de besoins matériels, ils ignorent le vol, le meurtre, l’atrocité des guerres de rapine et de conquête. Enfin, ils ne parlent pas. Leurs pensées s’échangent et se pénètrent sans l’aide de mots. A peine une idée éclot-elle en leur esprit qu’elle se répand et rayonne.

Aussi les Martiens ne connaissent-ils ni l’hypocrisie, ni même la politesse, qui est la forme la plus excusable du mensonge. Parvenus à un haut degré de culture, ils possèdent des instruments scientifiques auprès desquels les outils de nos laboratoires sont des jouets grossiers.

Ils ont inventé, entre autres, une sorte d’appareil téléphotographique dans lequel un rouleau d’étoffe reçoit perpétuellement, en se déroulant, l’image de notre monde et la fixe inaltérablement. Un immense musée, consacré spécialement aux planètes du système solaire, conserve dans l’ordre chronologique toutes ces images photographiques fixées pour toujours. On y retrouve toute l’histoire de la terre ; la France du temps de Charlemagne, la Grèce du temps d’Alexandre, l’Égypte du temps de Ramsès.

Des microscopes permettent d’y reconnaître même les détails historiques, tels que Paris pendant la Révolution française, Rome sous le pontificat de Borgia, la flotte espagnole de Christophe Colomb arrivant en Amérique, les Francs de Clovis prenant possession des Gaules, l’armée de Jules César arrêtée dans sa conquête de l’Angleterre par la marée qui emporta ces vaisseaux les troupes du roi David, fondateur, des armées permanentes, ainsi que la plupart des scènes historiques, reconnaissables à certains caractères spéciaux.

De tout ceci, il résulte que nous aurions le plus grand profit à entrer en relations avec des êtres si parfaits et qui nous peuvent servir d’exemples, puisqu’ils sont libérés de nos vices et qu’en eux s’épanouissent magnifiquement, totalement nos incomplètes vertus... j’ai peur que, cette fois encore, ce bonheur ne nous soit point accordé. M. Marconi, M. Branly, le général commandant la Tour Eiffel, interrogés par d’avides reporters, se sont bornés à sourire... Ils ne croient pas à la possibilité d’élargir notre horizon, de fuir notre geôle. Et, pourtant, de cette geôle empoisonnée, qu’il nous serait agréable de sortir !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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