LA FRANCE PITTORESQUE
Pharmacie dans la maison natale
de Victor Hugo à Besançon
(D’après « Bulletin de la Société d’histoire de la pharmacie », paru en 1919)
Publié le jeudi 7 juillet 2016, par Redaction
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Au début du XXe siècle, l’ensemble du mobilier de l’ancienne pharmacie Jacques à Besançon installée au rez-de-chaussée de la maison natale de Victor Hugo, quitte la ville, faute de fonds nécessaires à son maintien, pour Paris où elle sera reconstituée
 

A part ceux dont l’inventaire est soigneusement établi et qui ont trouvé dans les musées un asile de tout repos, nos vieux bibelots, nos objets d’art, quels qu’ils soient, suivent leur destinée, qui est de passer par intervalles sous le marteau du commissaire-priseur et de faire la joie de nouveaux maîtres. Mais il en est — et ils sont trop nombreux — qui quittent sans retour le pays qui les a vus créer, qui leur a imprimé le caractère et l’allure qui en font le charme et l’attrait.

Extérieur de la pharmacie Jacques

Extérieur de la pharmacie Jacques

Peu avant la Première Guerre mondiale, sortit de Besançon un joyau qu’il eût été bien facile de maintenir dans son ancien milieu, pour lequel il avait été établi. Il s’agit de la pharmacie Jacques, située au numéro 140 de la Grande-Rue, au rez-de-chaussée de la maison natale de Victor Hugo. « L’histoire de la pharmacie est brève, dit Gaston Coindre dans Mon vieux Besançon, en raison de la durée même des exercices » : le fondateur Baratte, de 1730 à 1800 ; Maire, de 1800 à 1859 ; puis Jacques, jusqu’en 1909.

Jacques conserva sa pharmacie jusqu’au 1er novembre 1909, date à laquelle elle a été définitivement fermée. Il lui avait fait subir des modifications importantes, comme le prouve cet autre, passage de l’ouvrage de Coindre : « Jusqu’à ses derniers jours, en 1859, la pharmacie Maire ravissait notre curiosité. A quinze ans, quelle imprévoyance de l’avenir ! me doutais-je qu’un jour je serais forcé de reconstituer par la mémoire cette officine du plus pur style Louis XV ? Une si longue admiration avait impressionné ma rétine au point d’y fixer photographiquement l’image disparue : je la certifie conforme.

« D’ailleurs, les proportions ont été déterminées par l’arcade qui, jadis extérieure, est aujourd’hui à moitié dissimulée sous la devanture. Le sol s’est élevé sensiblement, car autrefois deux ou trois degrés donnaient accès à la boutique, que la rectification de la rampe Saint- Jean nivelle au trottoir ; la descente de la cave et son trappon ont été comblés. (...) La menuiserie, désajustée, s’écaillait sous un enduit vert-noir peu flatteur. Le perron usé n’était pas sûr, la trappe insidieuse. L’intérieur, intact, suffit à justifier le frontispice : les rocailles des poutres du plafond, réchampies de la peinture primitive, boiseries sculptées, jolies arcatures de rayons et tiroirs écussonnés ont été scrupuleusement entretenus. »

Auguste Boudillet, antiquaire d’une grande érudition, qui eut l’occasion d’admirer à Paris cette pharmacie reconstituée, en décrit l’ameublement. Il se composait d’une petite boiserie sculptée assez finement et d’un joli style, qui formait le fond de l’officine et contenait un rayonnage sur lequel étaient posés les vases. Les côtés étaient composés de casiers à nombreux tiroirs décorés de peintures polychromes simulant des ornements encadrant des fleurs et des fruits, ce qui était d’un très joli effet.

Le comptoir était lui-même à moulures un peu sculptées et supportait deux grands vases en Rouen de l’époque Louis XV, décorés de lambrequins encadrant également des fleurs et des fruits. Ces deux vases, à l’origine, devaient se trouver, servant d’enseigne, dans les vitrines de chaque côté de la porte d’entrée. La maison elle-même avait dû être construite en vue de la pharmacie, car dans la pièce qui servait de laboratoire se trouve encore la cheminée en pierre sculptée portant des emblèmes professionnels.

Pour la description des vases, nous pouvons nous en rapporter à Cénay, un bizontin amoureux du bibelot. Certains des pots, dit-il, avaient la forme de récipients cylindriques montés sur un pied circulaire. Ils étaient munis d’un couvercle et portaient des inscriptions d’onguents et d’électuaires. D’autres, de forme plus évasée et ventrus, étaient munis aux deux tiers de la partie supérieure d’un goulot d’où découlaient mellites et sirops. Ces pots étaient en faïence de Rouen, à palmes décoratives encadrant une étiquette portant le plus souvent des caractères gothiques, parfois des caractères arabes.

Intérieur de la pharmacie Jacques

Intérieur de la pharmacie Jacques

Des flacons d’assez grande taille en verre taillé sans facettes et décorés d’étiquettes en or fin étaient mis au service des hydrolats, alcoolats, teintures, etc. Ils garnissaient le fond de l’officine. Leur disposition, alternant avec les pots en faïence, produisait un heureux effet. Mais le plus bel ornement de la boutique consistait en trois grandes potiches, en vieux Rouen également. Ces trois vases étaient superbes et dignes de faire belle figure dans un de nos musées nationaux.

Voici ce qu’en pensait en 1919 un amateur des plus éclairés, Billard, président de chambre à la Cour de Besançon : « Le plus grand de ces vases était merveilleux, et je suis bien sûr qu’aucune des nombreuses pièces de céramique qui, dans les ventes récentes, ont atteint des sommes énormes à la salle Drouot, n’avait plus de valeur que cette pièce capitale. Ce que Coindre n’a pu reproduire dans son croquis, c’est la multiplicité et la diversité des flacons de verre contemporains de l’officine. Le tout formait un ensemble bien rare, très caractéristique d’une époque et d’une profession. Quel dommage d’avoir laissé partir ce témoignage de la vie d’autrefois dans notre vieux Besançon ! »

Ces regrets de Billard sont d’autant plus justifiés que l’érudit président ne put avoir gain de cause dans la campagne active qu’il mena en faveur du maintien de ce trésor au sein de Besançon. En 1909, le conseil municipal de la ville, saisi de l’offre faite par la veuve du dernier titulaire, Mme Jacques, de vendre à la ville l’agencement intérieur et le mobilier de l’officine de son mari, nomma une commission pour donner son avis sur le mérite de la proposition. Après examen de la pharmacie, la commission, dont faisait partie le président Billard, émit un avis favorable à l’acquisition.

Malheureusement, les terribles inondations de 1910 causèrent de sérieux dommages aux finances de Besançon, qui voulut faire des économies compensatrices. L’affaire, qui aurait pu et dû être traitée sans hésitation lors de la première réunion, fut abandonnée, et Mme Jacques se mit en rapports avec des antiquaires parisiens, chez l’un desquels, rue Saint-Honoré, on put voir par la suite la vieille pharmacie entièrement reconstituée.

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