LA FRANCE PITTORESQUE
Hivers (Grands) à travers les siècles :
froids extrêmes et rigoureux
(D’après « Des changements dans le climat de la France :
histoire de ses révolutions météorologiques », paru en 1845)
Publié le lundi 6 février 2012, par Redaction
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Nombreux furent les hivers dont la rigueur extrême marqua les esprits des chroniqueurs du temps qui en consignèrent les effets néfastes sur les populations et les cultures : ainsi de l’hiver 1141-1142 durant lequel le sol était recouvert de neige du 6 décembre au 2 février ; de celui de 1479-1480, les charrettes traversant la Seine, la Marne, l’Yonne et tous leurs affluents ; du début de l’année 1544 pendant lequel le vin devait être coupé à la hache ; du froid de 1709 congelant l’étang de Thau, en Provence ; de l’hiver 1788-1789 durant lequel la masse des glaces obstrua notamment le port de Calais
 

En 547, on traversa nos rivières sur !a glace. Le froid de 763 commence 1er octobre et se prolonge jusqu’en février 764. De 821 à 822, nos fleuves supportèrent des chariots pendant plus de trente jours. En 860, les gelées et les neiges durent sans interruption depuis le mois de novembre jusqu’au mois d’avril ; la mer Ionienne est gelée. On allait à Venise à cheval. En 873, les gelées et les neiges continuèrent aussi sans interruption depuis le 1er novembre jusqu’à l’équinoxe du printemps.

Paysage d'hiver, par Gysbrecht Lytens

Paysage d’hiver, par Gysbrecht Lytens

La rigueur de l’hiver de 994 s’étendit du 15 novembre au 15 mai ; on eut ensuite des vents froids très dangereux, et, plus tard encore, de violentes gelées jusqu’au 12 du mois de juillet. Un hiver horrible se déclara le 13 novembre 1067 et se prolongea jusqu’au 12 mars de l’année suivante. En 1074, il y eut de grandes gelées du 1er novembre au milieu d’avril. D’abondantes neiges tombèrent dès la fin d’octobre 1076 et continuèrent avec un froid excessif jusqu’au 27 mars 1077. De 1124 à 1125, les glaces des rivières purent supporter des voitures chargées ; beaucoup d’enfants et de femmes moururent de froid. Des alternatives de gelées, de pluies et de neiges, succédèrent à ce froid si rude jusqu’au milieu du mois de mars. Les arbres ne commencèrent à fleurir et la terre ne se couvrit de verdure que dans le mois de mai.

En 1142, le sol resta enseveli sous une couche profonde de neige, du 6 décembre au 2 février. Le 29 septembre 1218, de fortes gelées blanches, accompagnées de neiges, régnèrent sept jours de suite et détruisirent, au moment même de la vendange, la majeure partie du raisin. Une gelée cruelle et de nouvelles neiges survinrent après le 30 octobre, et persistèrent sans relâche jusqu’au 6 décembre : on traversait sur la glace nos plus grands étangs et les plus fortes rivières, entre autres la Loire et la Seine. Le froid s’amortit un peu à l’arrivée des vents du sud, mais il ne tarda pas à se réveiller tout à coup par le retour des vents du nord. Alors les gelées et les neiges devinrent continuelles jusqu’au milieu du mois de mars. Des vents froids insupportables survécurent enfin à ces gelées meurtrières en sorte qu’au milieu du mois de mai, les champs dépouillés avaient à peine quelques épis, et les vignes quelques bourgeons. Dans beaucoup d’endroits, la gelée fut si fatale qu’elle obligea à labourer et à ensemencer deux fois les champs.

Une très forte gelée sèche et claire, précédée d’un automne chaud et sec, régna sans discontinuer du 1er novembre 1226 au 5 février 1227 : elle tua les oliviers. L’hiver de 1233 à 1234 fut aussi long que rigoureux ; il gela le Rhône et toutes les plantes du Midi jusque dans les racines. Jamais, de mémoire d’homme, on n’avait vu un hiver aussi cruel que celui de 1296. L’année 1302 eut un froid excessif. Le Rhône gela et nos oliviers périrent. En 1305, toutes les rivières de France gelèrent. Les froids de l’hiver de 1325 furent si rudes, que la Seine gela deux fois en peu de temps ; elle put porter des hommes et des tonneaux pleins. Toutes nos rivières gelèrent de nouveau en 1364 ; la gelée, accompagnée de neige, dura jusqu’à la fin de mars ; les vignes gelèrent en plusieurs endroits jusque dans les racines ; des caves très protondes, quoique protégées par de la paille, ne furent pas à l’abri des gelées. Des chariots chargés traversaient le Rhône la glace avait dans quelques endroits quinze pieds d’épaisseur.

L’année 1392 eut aussi un très grand froid. L’hiver de 1408 commença le 11 novembre et ne se termina qu’à la fin de janvier ; il gela toutes nos rivières et détruisit la racine des vignes et des arbres fruitiers. À Paris, les voitures roulaient sur la Seine. En 1434, les gelées se déclarèrent le 31 décembre 1433, persistèrent d’abord pendant trois mois moins neuf jours ; elles se renouvelèrent ensuite jusqu’à la fin du mois de mars et continuèrent jusqu’au 17 avril ; en 1442, la neige était haute de plus de six pieds dans les rues de Carcassonne. La reine fut retenue dans cette ville pendant trois mois.

Petite fille dans la neige, par Louis-Simon Lassalle

Petite fille dans la neige, par Louis-Simon Lassalle

L’hiver de 1449 à 1450 fut très froid, très humide et fort neigeux ; il s’annonça dès le mois d’octobre ; nos oliviers périrent. Les vins du duc de Bourgogne gelèrent dans !es tonneaux, en 1468 ; on les distribuait par morceaux aux gentilshommes. Beaucoup de personnes moururent de froid ; d’autres eurent les extrémités gelées. L’hiver de 1480 ne commença que le lendemain de !a Noël ; alors, il gela si fort jusqu’au 8 février, que les charrettes traversaient la Seine, la Marne, l’Yonne et tous leurs affluents. Le froid continua après le dégel du 8 février jusque bien avant dans le mois de mai. Les souches des arbres périrent dans plusieurs endroits. Le froid de 1543 à 1544 gela le vin dans les muids, il fallait le couper avec la hache. Le froid de 1548 régna dans toute l’Europe.

En 1564, les rivières restèrent gelées à porter des charrettes pendant deux mois entiers ; le froid tua nos oliviers. L’hiver de 1570 à 1571 gela les rivières pendant trois mois ; les arbres fruitiers furent brûlés jusque dans les racines ; il succédait à une année nébuleuse, chaude et très-humide. L’hiver de 1575 fut un des plus rigoureux. Le froid de l’hiver de 1589 fut si rude qu’il gela entièrement le Rhône ; les mulets, les voitures, les charrettes, tout le traversait à Tarascon comme sur une grande route. Le colonel Alfonse y lit même passer à deux ou trois reprises des canons ; le maréchal de Montmorency le franchit ensuite avec sa compagnie de gendarmes. De 1594 à 1595, un froid rigoureux se déclara le 23 décembre, les gelées reprirent le 13 avril 1595, et il gela ce jour-là aussi fortement que le jour de Noël précédent ; la mer se prit sur les côtes de Marseille. En 1608, toutes nos rivières gelèrent : le froid dura depuis le mois de décembre jusqu’au mois de mars ; il tua toutes les vignes. L’hiver de 1621 à 1622 fut excessif en Europe. La mer Adriatique se prit du mois de décembre au mois de janvier. Celui de 1658, non moins général, fit périr nos oliviers ; il s’accompagna de grandes neiges.

Le froid de 1709 éclata le 6 janvier et se prolongea jusqu’au 24 : la gelée recommença au mois de février et dans les premiers jours de mars ; toutes nos rivières, excepté peut-être la Seine à Paris et le Rhône devant Viviers, furent entièrement gelées. Les grands étangs du Languedoc et de la Provence gelèrent aussi. La congélation de l’étang de Thau, très profond, très orageux, et en communication avec la mer par un canal très large, si complète et si solide, qu’elle ouvrit une route inconnue de Balaruc et de Bousigues à Cette sur la glace ; enfin la mer même se gela au loin à Cette, à Marseille et dans la Manche. Les gelées et les neiges de 1709 ruinèrent à peu près la plupart de nos récoltes ; tous les oliviers périrent de Perpignan à Nice.

L’année 1766 eut de rudes gelées aux mois de janvier et de février la Seine gela à Paris par un froid de -12°5 ; il y eut trente-deux jours de gelée à Viviers, et 37 à Montpellier. Le froid de Viviers atteignit -11°2 et -10° à Montpellier. Une sécheresse constante régna ici pendant le cours de ces gelées. Un froid rigoureux sévit encore en 1768. A Paris, le thermomètre descendit à –18°2 ; à Viviers, à –12°5 et à Montpellier à –10°. Le froid de cet hiver, accompagné de neiges, commença au mois de décembre, son maximum arriva les premiers jours de janvier.

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l'hiver de 1788, par Louis Hersent

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788, par Louis Hersent

L’hiver de 1789, beaucoup plus intense, gela nos rivières, nos ports de mer et la mer sur nos côtes ; la masse des glaces intercepta la communication de Calais à Douvres, couvrit la Manche à deux lieues au large, obstrua les ports de ces parages et emprisonna les navires. Le froid, mêlé de neige, se montra tout d’un coup vers la fin de novembre 1788 ; il régna depuis, sauf quelques courtes interruptions, jusqu’au mois d’avril 1789. On traversait le Rhône elles autres rivières à pied, à cheval, en voiture et, dans quelques endroits, avec les charrettes les plus chargées. Les oliviers, les vignes et les arbres fruitiers souffrirent beaucoup ou périrent. Le froid et la neige de 1795 tuèrent aussi les oliviers. A Montpellier, il gela continuellement du 15 au 26 janvier ; le maximum du froid observé le 17 indiqua –9°. A Paris, le thermomètre marqua –23°5 le 25 janvier, et il y eut quarante-deux jours consécutifs de gelée. L’hiver de 1799 fit encore beaucoup souffrir les oliviers ; le froid, à Paris, arriva le 31 décembre à -13°1.

L’hiver de 1820 n’a été nulle part en France ni soutenu ni long. Une chaleur et une sécheresse insolites le précédèrent. Il commença par de petites gelées, suivies tout d’un coup, du 7 au 9 janvier, d’un froid violent. Le maximum eut lieu presque partout du 11 au 12 ; il produisit à Paris –14°3 ; à Toulouse, -13°8 ; à Viviers, -12° ; à Alais, -12°2 ; à Montpellier, -11°2 ; à Joyeuse, -15° ; à Bordeaux, -8°8 ; preuve qu’il fut plus intense, à proportion, au Midi qu’au Nord. Mais c’est en Provence principalement qu’il déploya sa rigueur. Le thermomètre descendit à -15°6, et à Marseille en particulier, il marqua jusqu’à –17°5. Ces rudes gelées ne durèrent guère que huit ou dix jours. Le vrai dégel s’est opéré généralement le 18 janvier. Le froid de cet hiver a tué tous nos orangers et compromis plus ou moins les vignes et surtout les oliviers.

L’hiver de 1829 à 1830 a débuté les premiers jours d’octobre. Le froid s’est amendé et exaspéré alternativement à trois reprises. Presque toutes nos rivières se sont gelées deux ou trois fois en totalité ; on les a parcourues de pied ferme aux mois de décembre et de février, notamment la Seine, le Rhin et le Rhône. Ce n’est qu’au mois d’avril qu’il a cessé de geler. Ce froid, accompagné de neiges, fut aussi rude que prolongé. Des hommes et des animaux moururent de froid, soit dans les campagnes, soit dans les cités. Les travaux champêtres restèrent suspendus trois mois entiers ; les oliviers et les vignes ne purent résister à la violence des gelées ; les arbres fruitiers périrent par centaines, les châtaigniers et les chênes même subirent le sort des vignes et des arbres fruitiers.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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