LA FRANCE PITTORESQUE
4 février 1912 : l’inventeur Reichelt
se lance de la tour Eiffel et s’écrase
(D’après « Le Petit Parisien » du 5 février 1912)
Publié le jeudi 4 février 2016, par Redaction
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A 8h15, le 4 février 1912, l’inventeur Frantz Reichelt, tailleur de son état, se jette du haut de la tour Eiffel, muni d’une « combinaison-parachute » de sa fabrication et qu’il n’avait soumise à l’épreuve de la chute réelle que sur un mannequin
 

Au cours d’une expérience qu’il tentait pour la troisième fois à la tour Eiffel, un jeune inventeur a trouvé hier matin la mort dans des circonstances particulièrement tragiques, rapporte Le Petit Parisien du 5 février. M. Frantz Reichelt se consacrait en effet, depuis plusieurs années, la recherche d’un appareil simple et pratique, destiné à servir de parachute aux aviateurs, lorsqu’un accident leur ayant enlevé la direction de leur appareil, ils seraient précipités vers le sol.

Exerçant le méfier de tailleur – il était installé 8 rue Gaillon – il avait, non sans une certaine apparence de raison, songé à utiliser les vêtements mêmes du pilote pour établir son parachute. Son invention comportait une large « combinaison » de toile caoutchoutée ; des épaules au mollet, deux ailes comparables à celles des chauves-souris, soutenues par une légère armature métallique, se trouvaient en temps normal, pendantes au long du corps. Pour les étendre et se protéger, il suffisait d’allonger les bras en croix.

Frantz(-Reichelt dans sa combinaison-parachute

Frantz-Reichelt dans sa combinaison-parachute

Plusieurs essais infructueux avaient déjà été faits, notamment au cours de 1911, par M. Reichelt qui, jusque-là, avait eu la sage précaution de figurer l’aviateur par un mannequin. A l’origine, son appareil comportait seulement six mètres carrés de surface portante pour un poids de 70 kilos alors que, rationnellement, il aurait fallu une surface beaucoup plus considérable.

Désirant concourir pour le prix Lalance, et se rendant compte qu’il était encore loin de la bonne voie, il avait modifié son instrument, lui donnant 12 mètres carrés de surface portante. Les résultats furent encore déplorables. Mannequin et appareils s’écrasèrent lourdement et s’émiettèrent sur le sol.

M. Reichelt ne se découragea pas cependant. Avec cette aveugle ténacité qui caractérise les chercheurs dont l’éducation scientifique ne fut pas complète, il se persuada que son vêtement-parachute était un excellent système et que tous ses déboires passés venaient de ce qu’il ne l’expérimentait pas personnellement.

Sa résolution fut bientôt prise. Il se lancerait lui-même dans l’espace et la fortune, alors, serait bien forcée de lui sourire. Il sollicita et obtint du préfet de police une nouvelle autorisation pour l’épreuve qu’il jugeait devoir être définitive et qui lui fut fatale.

Hier matin donc, à 7 heures, une quinzaine d’agents avaient organisé un service d’ordre, dans la partie du Champ-de-Mars, comprise entre les quatre piliers de la tour, nous apprend encore Le Petit Parisien. M. Gassion, l’un des gardiens du monument, se trouvait seul aux bureaux de l’administration lorsque se présenta M. Reichelt, en compagnie de deux camarades.

Malgré l’autorisation de M. Lépine, le gardien, qui avait assisté aux expériences précédentes du malheureux et prévoyait la catastrophe, refusa l’accès de la tour à l’inventeur, avant d’avoir obtenu l’avis de ses chefs.

A huit heures, visiblement énervé par ce contre-temps, M. Reichelt pouvait enfin accéder à la première place-forme, à 100 mètres environ au-dessus du sol. Il choisit, pour se lancer dans le vide, un emplacement sur la balustrade intérieure. Tournant le dos à l’Ecole militaire, devant la terrasse du restaurant, il monta, après s’être équipé, sur une table d’où il pouvait facilement s’élancer dans l’espace.

Huit heures un quart venaient de sonner. En bas, une trentaine de personnes, journalistes, photographes ou curieux matinaux attendaient, en battant la semelle, la minute décisive. Et le drame, en quelques secondes, se déroula. M. Reichelt apparut debout sur la table. Fut-il pris de vertige, de congestion, ou la peur paralysa-t-elle à la minute suprême ses mouvements ? Toujours est-il qu’au lieu d’étendre les bras pour ouvrir son parachute, il les croisa d’un geste brusque devant son visage, au moment où il tombait dans le vide.

Deux secondes plus tard, lamentable épave, il gisait sur la pelouse glacée. Il était tombé presque debout, légèrement incliné sur le côté droit et son corps avait marqué son empreinte à plus de trente centimètres de profondeur. Un mince filet de sang coulait par la bouche, le nez et les oreilles ; de plus, le bras et la jambe droites du malheureux étaient broyés, son crâne et sa colonne vertébrale brisés. La mort avait été instantanée.

Les gardiens de la paix placèrent immédiatement dans une automobile le pitoyable cadavre qui fut conduit tout d’abord à l’hôpital Necker, où l’interne de service ne put que constater le décès ; puis au poste de la rue Amélie, et enfin rue Gaillon, au domicile du malheureux inventeur.

Chez M. Frantz Reichelt
M. Frantz Reichelt était âgé de trente-trois ans et il demeurait depuis quatre ans au n°8 de la rue Gaillon. M. Franlz Reichelt, nous dit la concierge, était aimé de tous ceux qui le connaissaient. C’était un travailleur ; il était pourvu de toutes les qualités et toujours prêt à rendre service à celui qui se trouvait dans le besoin. M. Reichelt n’était pas marié. Dans son atelier, situé au troisième étage, il occupait parfois un très grand nombre d’ouvriers et d’ouvrières. Il avait une très belle clientèle, car sa réputation de bon ouvrier était bien établie.

M. Reichelt, ajoute notre interlocutrice, était d’origine autrichienne. Venu en France il y a quatorze ans, il s’y installa. Une de ses sœurs quitta également l’Autriche pour venir à Paris, où elle se maria. En 1909, il se faisait naturaliser Français. L’année suivante, en juillet 1910, pour être précis, il se mit à étudier un système de parachute dont l’idée le hantait depuis quelque temps déjà. Le tailleur, profondément ému du nombre d’accidents mortels qui frappaient les aviateurs, espérait réaliser une invention qu’ils utiliseraient en cas de chute et leur permettrait d’arriver au sol sans le moindre mal.

Dès lors, il ne prit plus de repos qu’il n’eut exécuté son projet. Il fit, dans la cour de la maison, plusieurs expériences qui avaient paru fort bien marcher. Il lançait du cinquième étage un mannequin pourvu d’une paire d’ailes éployées. L’appareil tombait sur le sol tout doucement. M. Reichelt croyait avoir enfin trouvé. Il avait annoncé, hier à ses ouvriers qu’il ferait, une expérience publique, ce matin, à la tour Eiffel. Et, comme ceux-ci s’inquiétaient et lui représentaient le danger qu’il y avait à tenter pareille épreuve, le tailleur les rassura en leur déclarant qu’il se bornerait à lancer un mannequin comme les autres fois. On voit, qu’il eût bien mieux fait d’agir ainsi.

Pourquoi l’autorisation fut donnée
Beaucoup de personnes s’étonneront que M. Lépine, préfet de police, ait accordé au malheureux Frantz Reichelt l’autorisation de tenter une expérience qui devait se terminer de si tragique façon. A la vérité, au cours des démarches faites par lui à la préfecture de police, Frantz Reichelt ne dévoila jamais ses intentions et l’on supposait qu’il s’agissait comme en maintes circonstances précédentes de lancer un appareil dont le pilote était remplacé par un mannequin.

Le service d’ordre établi aux abords de la tour Eiffel avait pour but unique de protéger les curieux en les maintenant hors d’une zone dangereuse pendant les expériences.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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