LA FRANCE PITTORESQUE
Grand dépendeur d’andouilles
()
Publié le mercredi 1er février 2012, par Redaction
Imprimer cet article

Cette locution ne regarde pas celles et ceux qui n’ont que cinq pieds de haut, et quelque petite fraction. Avec pareille taille, on ne saurait atteindre, ni décrocher les andouilles suspendues d’ordinaire aux plafonds des gens de campagne, où elles se fument et se macèrent en compagnie des jambons.

Il faut avoir au moins six pieds pour opérer ce décrochement avec le seul secours de ses mains, et encore y a-t-il peu de gens de cette taille qui le fissent sans se dresser sur la pointe des pieds. Les dépendeurs d’andouilles sont donc nécessairement grands et très grands.

Les hommes grands ne sont pas en faveur parmi le peuple ; il juge de leur esprit en sens inverse de leur taille. Ainsi, lorsqu’il qualifie quelqu’un de sot, il ne manque guère d’y joindre l’épithète de grand, pris dans le sens de long. Un nain lui paraît alors un géant qui n’aurait qu’à étendre le bras pour dépendre une andouille, fût-elle raccourcie de moitié. C’est pour cela que, dans son langage, grand dépendeur d’andouilles est synonyme de sot, de niais, d’imbécile fieffé, puisqu’en fait de taille, il n’y en a pas de supérieure à celle de l’individu qui se met, sans intermédiaire, en contact avec les plus hauts plafonds.

Il y a, en quelques provinces, mais notamment en Bourgogne, ce dicton :

Grand Niquedouille
Qui décroche les andouilles.

Si niquedouille désigne un nigaud, quelle en est la raison ? Niquedouille, comme coquecigrue, est, selon toute apparence, un mot composé. Décomposons-le, ou plutôt faisons-en deux tronçons, nique et douille. Nique ne souffre pas de difficulté. C’est un mot encore en usage dans le patois du Maine, où il veut dire niais, et qui s’est écrit autrefois niche, comme dans ce vers du Chevalier au Barisel : « Il n’espargnoit sage ne niche. » Depuis, on a dit nice ; on l’a même dit en même temps.

La moitié du mot de niquedouille signifie donc à elle seule autant que le mot tout entier. Pourquoi donc y avoir joint celui de douille ? S’agit-il d’une douille, partie creuse et cylindrique d’un instrument quelconque, et qui sert à recevoir cet appendice qu’on appelle manche ? Cela n’est pas probable. Les mots ne s’emmanchent pas comme les baïonnettes ou les piques, bien qu’ils fassent souvent des blessures plus profondes. Douille alors veut dire autre chose ; n’en doutez pas.

Du temps de saint Bernard, on disait doule, douule et dovle pour double. « Il porfairont en lor terre douule bienaureteit por la dovule (lisez dovle) confusion et la doule honte k’il soffrirent. » (Serm. de saint Bernard). Ce n’est que plus tard qu’on a prononcé sinon écrit douille, mouillant la diphtongue ou, comme on a fait pour verrou et genou, qu’on prononçait, qu’on écrivait aussi verrouil et genouil. S’il en est ainsi effectivement, niquedouille équivaudrait à double sot. Or, c’est une traduction que l’on fait encore tous les jours.

Après cette explication du mot niquedouille, revenons aux andouilles. Il est question, dans Bévoalde de Verville, non pas de dépendeurs, mais de dépouilleurs d’andouilles : « Or, bien que nous fassions ici mine de rire, si le disons-nous à la honte de ces despouilleurs d’andouilles, pour les nettoyer, et qui nous voudroient reprendre, encore que toute leur vie soit confitte d’actions impudentes. » (Le Moyen de parvenir, chap. XXXVIII)

On s’explique difficilement cette variante. L’auteur parle des cordeliers ; mais l’obscurité habituelle de son langage, qui défie partout les plus sagaces, nous empêche ici de saisir le sens du trait dirigé contre ces religieux.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE