Ancien président de la République, Raymond Poincaré proteste, en 1921 et dans la Revue des Deux Mondes, contre le déclin du français pourtant utilisé comme langue diplomatique et « langue universelle de l’Europe » juste avant la Révolution de 1789
On a commencé par déposséder notre langue de ses anciens privilèges diplomatiques. Tous les traités qui ont suivi la paix, traités de Versailles, de Saint-Germain, de Sèvres, de Trianon, ont été rédigés, tantôt en deux idiomes, tantôt en trois.
Raymond Poincaré, président de la République de 1913 à 1920 |
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En 1784, la classe des Belles-Lettres de l’Académie de Berlin mettait au concours la question suivante : « Qu’est-ce qui a fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Est-il à présumer qu’elle la conserve ? »
En 1921, l’Académie française peut choisir, pour le prix d’éloquence, ce sujet mélancolique : « Qui est-ce qui a fait perdre à la langue française sa qualité de langue diplomatique de l’Europe ? Par où a-t-elle mérité cette disgrâce ? Est-il à présumer qu’elle s’en relève ? »
Au XVIIIe siècle, lorsque des états comme la Suède, la Suisse, la Sardaigne, l’Espagne, les Pays-Bas, la Hongrie, la Prusse contractaient entre eux, même en dehors de la France, ils se servaient de notre langue. Au XIXe siècle, même après nos revers, on parle français au Congrès de Vienne, on parle français dans les négociations de Francfort, on parle français au Congrès de Berlin, aux Conférences de Madrid, d’Algésiras, de La Haye.
A Versailles, à Saint-Germain, à Sèvres, à Trianon, notre souveraineté linguistique a été démembrée. Vaincus, nous l’avions conservée ; vainqueurs, nous avons dû la partager. Concession de pure forme ? Non pas. Premier signe des concessions qui nous ont, tout de suite, été arrachées sur le fond.
Raymond Poincaré.
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