LA FRANCE PITTORESQUE
Tirer son épingle du jeu
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Publié le vendredi 31 janvier 2020, par Redaction
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Se tirer d’affaire, se dégager d’un danger et se retirer sans éprouver aucune perte
 

On peut encore dire que c’est savoir conduire ses affaires de façon à en tirer du profit même dans les circonstances difficiles. Au XVe siècle, les épingles étaient un objet de luxe. Les enfants mêmes mettaient des épingles dans leur jeu au lieu d’argent.

Voici des vers de cette époque dont l’auteur se nomme Eustache Deschamps :

Humbles furent, coies et simples,
Ne scurent que ce fust d’espingles,
Ne d’orgueil, car d’humilité
Estoit (était) en leur simplicité.
 

Un autre poète du XVIIe siècle émet aussi cette pensée dans l’une de ces pièces en terminant un colloque par ces deux vers :

Outre qu’en nos projets je vous craignais un peu
Vous tirez sagement votre épingle du jeu.

Ce dernier vers Molière l’a mis dans la bouche de l’un de ses personnages et il le reproduit de nouveau dans sa pièce de l’Etourdi (Acte IV, Scène 2) : « Mais que j’avais tiré mon épingle du jeu. »

L’origine de cette locution, déjà employée au XVIe siècle, peut se rencontrer dans le jeu auquel se livrent alors les enfants, surtout les petites filles. Dans plusieurs villages du midi de la France, on voit des jeunes filles s’amuser à un jeu qu’elles appellent Joch de las agullas (jeu des aiguilles ou des épingles). Elles font un tas de sable ou de terre dans lequel elles cachent chacune une épingle.

Au moyen d’une pierre qu’elles jettent successivement dessus, elles démolissent le tas et les épingles qui apparaissent deviennent la propriété de celle qui a jeté la pierre. S’il ne se découvre qu’une seule épingle, la petite fille qui l’a gagnée s’écrie alors : Bé ! jo hé trait la méouna agulla del joch (Bon ! moi j’ai tiré mon épingle du jeu), ce qui signifie qu’elle ne peut perdre cette fois-ci, qu’elle a retiré l’enjeu qu’elle avait exposé. La partie finit lorsqu’il n’y a plus d’épingles dans le tas de sable.

Ce jeu s’opère aussi différemment dans d’autres localités. Ainsi les jeunes filles mettent les épingles dans un rond et avec une balle qui, lancée contre le mur, revient dans le rond, elles essaient d’en dégager les épingles. Faire ainsi sortir sa mise, c’est retirer son épingle du jeu.

Ce jeu doit remonter au XVIe siècle, époque où les épingles étaient cotées à un prix tel que les jeunes filles pouvaient souvent s’en servir. Voici, pour terminer cet article, un exemple de l’emploi au figuré que l’on trouve dans l’histoire de d’Aubigné : « Mais ne pouvant rien contre vent et marée, il tira son épingle du jeu. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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