On s’expose souvent à subir de grandes pertes et à compromettre ses intérêts en négligeant les petites choses
Ce proverbe a eu, selon les époques, des formes différentes ; voici, dans l’ordre chronologique, les différentes rédactions.
Au XIIIe siècle, on trouve dans les anciens proverbes : Pour un point perdit Gibert son asne. Au XVe (proverbes gallicans) : Pour un seul point Gaubert perdit son église. A la fin du XVe (proverbes communs) : Pour un point perdit Martin son asne. Au XVIe siècle (adages français) : Pour un point Baudet perdit son asne. Les Italiens disent : Per un punto Martin perde la carpa, ce qui veut dire : Pour un point Martin perdit sa chape (vêtement sacerdotal).
Toutes ces formes répondent à l’idée qu’on attache à cette expression, mais aucune ne rappelle les origines qu’on a voulu lui donner. Elle a pour fondement l’anecdote suivante : « Un ecclésiastique, nommé Martin, qui possédait l’abbaye d’AselIo, en Italie, avait ordonné qu’on écrivît sur la porte principale les mots suivants : Porta, patens esto, nulli claudaris honesto, ce qui signifiait : Porte reste ouverte, ne sois fermée à aucun honnête homme.
C’était à une époque où l’on n’attachait pas une grande importance à la ponctuation. Le chanoine Martin s’adressa à un ouvrier qui n’était pas plus savant que lui sur ce sujet et qui, au lieu de placer la virgule après esto, la plaça après le mot nulli, comme il suit : Porta patens esto nulli, claudaris honesto. Ce déplacement de la virgule dénaturait complètement la première signification, car la phrase latine se traduisait alors ainsi : Porte ne reste ouverte pour personne, sois fermée à l’honnête homme.
Quand le pape eut connaissance de la teneur de cette inscription, il retira l’abbaye au chanoine Martin, mécontent de la façon dont celui-ci entendait la charité chrétienne. Le successeur fit corriger la faute et ajouta ce nouveau vers pour exprimer que Martin avait perdu son abbaye pour peu de chose, Uno pro puncto caruit Martinus asello, ce qui signifiait : Martin pour un seul point perdit son abbaye d’Asello.
On voit que cette explication repose sur une virgule et sur un calembour. Elle a l’inconvénient de ne pas se rapporter beaucoup à notre proverbe, dans le sens où nous l’appliquons, mais elle a l’avantage de démontrer à ceux qui méprisent la ponctuation quelle influence peut avoir sur les destinées humaines une virgule mal placée.
Il y a plusieurs versions pour l’explication de ce proverbe. Outre celle que nous venons de citer, en voici une seconde : Un nommé Martin avait joué son âne au jeu ; il ne lui fallait plus qu’un point pour gagner. Il ne put le faire, de sorte qu’il perdit sa partie et son âne. De là, le proverbe qui peut très bien s’expliquer de cette façon et qui dans le fait, a une origine latine, puisque telle est la rédaction : Uno pro puncto cecidit Martinus asello, ce qui revient à la première traduction.
Voici une troisième version mise en avant par quelques parémiographes qui prétendent qu’il faut dire : Pour un poil Martin perdit son âne, et ils résument leur opinion de cette façon : « L’âne d’un nommé Martin avait été perdu à la foire. Notre homme, tout en faisant ses recherches, apprit qu’un particulier venait d’en trouver un et, comme il ne doutait pas que ce ne fût le sien, il courut le réclamer ; mais celui qui l’avait trouvé lui demanda : De quelle couleur est le poil de la bête ? – Il est gris, répondit le réclamant. – Non, répliqua l’autre, il est noir. Et c’est ainsi que pour un poil Martin perdit son âne. »
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