Il ne faut pas s’en rapporter aux apparences extérieures pour juger une personne
Le sens est exact, car il ne suffit pas qu’un homme porte un habit monastique pour qu’il soit réellement un moine. Cet adage nous vient du Moyen Age. Dès le XIe siècle, certaines dignités ecclésiastiques pouvaient être possédées par des moines. Ces dignités étaient celles de chanoines, d’abbés, de prieurs d’un couvent, auxquelles était attaché un certain revenu appelé bénéfice.
Plus tard, on mit en discussion si, pour les obtenir, il suffisait d’avoir pris le froc dans un monastère sans avoir prononcé les vœux imposés à tout religieux. Il fut décidé que ce qui faisait le moine, ce n’était pas l’habit, mais l’acte d’avoir prononcé des vœux définitifs.
Esope émettait ces paroles pleines de bon sens : Il ne faut pas juger la liqueur d’après le vase, c’est-à-dire l’intelligence d’après la laideur du corps. Les Romains disaient : Philosophum non facit barba, ce qui veut dire : La barbe ne fait pas le philosophe, comme de nos jours on dit : Que le bonnet ne fait pas le docteur, ni la robe le magistrat.
Les Allemands disent : Porter un grand couteau ne fait pas un cuisinier, et les Espagnols : Sous pauvre casaque peut se trouver un homme robuste.
On peut encore attribuer l’origine de ce proverbe aux jurisconsultes canoniques qui décidèrent que la profession était nécessaire pour posséder un bénéfice régulier (Godefroy, ouvrage sur les coutumes de Normandie). On a la preuve que ce dicton est très ancien, puisqu’on le retrouve au XIIIe siècle dans le roman de la Rose de Jehan de Meung :
L’habit ne fait pas le moine. © Crédit illustration : Araghorn
Rutebœuf, l’un de nos trouvères (XIe siècle) commence un fabliau par le même proverbe qu’il a mis en vers :
Li abis ne fait pas l’ermite. S’uns hom en hermitage habite C’il est de poures draz vestus, Je ne pris mie deux festus Son habit ne sa vesteure.
L’habit ne fait pat l’ermite Si un homme habite dans un ermitage, S’il est vêtu de pauvres draps, Je n’estime pas deux fétus Son habit et sa vêture.
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Voici une autre pièce probablement du même siècle :
C’il ne maine vie aussi pure Comme ses abis vous demonstre. Mais maintes gens font bele monstre ; Et merveilleux semblant qu’ils vaillent, Ils semblent les aubres qui faillent, Qui furent trop bel au florir. Bien devroient teil gent morir Vilainement et à grant honte. Un proverbe dit et raconte Que tout n’est pas or c’on voit luire. |
(S’il ne mène une vie aussi pure comme ses habits le démontrent. Mais maintes gens font belle montre et font semblant de valoir beaucoup. Il semble que les arbres qui meurent sont ceux qui ont de trop belles fleurs. De telles gens devraient bien mourir d’une vilaine façon et en grande honte. Un proverbe dit et raconte que tout ce qu’on voit luire n’est pas or).
La Fontaine (Livre VI, fable 8), le jeune Coq, le Chat et le Souriceau a terminé son apologue par cette moralité contenue dans ces deux vers :
Garde-toi, tant que tu vivras, De juger les gens sur la mine. |
et (Livre XI, fable 7), le Paysan du Danube, il débute par ce vers : « Il ne faut pas juger les gens sur l’apparence. »
Il ne manque pas de gens dans le monde qui se laissent toujours tromper par l’extérieur, oubliant que l’habit ne donne aucune qualité. Dans le vulgaire on croit encore au prestige de ceux qui portent des costumes couverts de broderies et de décorations et on se figure que ceux qui les possèdent en ont plus de valeur. Il ne suffit pas de porter les marques extérieures de sa profession, il faut encore en avoir l’esprit et les talents, pour en remplir les devoirs. Tout homme dont le mérite se réduit aux marques de sa dignité n’est, selon un proverbe grec, qu’un singe sous la pourpre.
Ces singes, dit Erasme, ne sont pas rares, on en rencontre beaucoup dans les cours. Otez-leur la pourpre, les vêtements brodés d’or et d’argent, et vous ne trouverez que des hommes assez ordinaires. Voici une anecdote fort authentique, tirée de l’histoire grecque et qui peut servir de conclusion au proverbe en question :
« Philopoemen, général des Achéens, peuple habitant le nord du Péloponèse (IIIe siècle avant Jésus-Christ), était un des plus illustres capitaines de son temps. Se trouvant en marche avec son armée, il prit les devants et arriva le premier au lieu où il devait loger. On y avait bien été averti de son arrivée et chacun s’empressait de faire les préparatifs d’un repas magnifique destiné à fêter sa réception ; mais quand il entra, aussi simplement vêtu que le premier soldat venu, on ne fit presque pas d’attention à lui.
« Bien mieux, la maîtresse de la maison, le prenant pour un courrier envoyé pour hâter les préparatifs, le pria de fendre du bois. Philopoemen prit bien la chose et, tout en riant de cette méprise, ôta sa tunique, se saisit d’une hache et se mit à exécuter ce qu’on lui avait ordonné. Sur ces entrefaites, pendant qu’il travaillait avec ardeur, arrive le maître de la maison qui, reconnaissant le général, est saisi d’étonnement de le voir se livrer à une semblable occupation. Que faites-vous là, Philopoemen ? lui dit- il. – Vous le voyez, répondit en riant le général, je porte la peine de ma mauvaise mine. »
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