LA FRANCE PITTORESQUE
Urne de toutes les duperies
(Éditorial du 16 mars 2011 paru dans le N° 38 de
La France pittoresque - avril/mai/juin 2011)
Publié le lundi 5 décembre 2011, par Redaction
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Surnommé plus tard le mousquetaire de la plume, le polémiste et critique dramatique Henry Bauër, fils naturel de Dumas père, dénonce en 1895 dans la Revue encyclopédique, une société contemporaine mue par une « toute-puissance brutale de l’argent » présidant au « succès de tant de médiocres personnages, de tant d’imbéciles et de sots ».

N° 38 de La France pittoresque (avril/mai/juin 2011)

N° 38 de La France pittoresque
(avril/mai/juin 2011)

Dans une poignante allégorie de la condition humaine, il décrit ces mineurs qui toute leur vie sont « privés de la clarté du jour, sous la terre, exposés à l’asphyxie, à la noyade, à l’écrasement, à toutes les variétés de mort affreuse ; ils font l’amour comme des bêtes, sans tendresse ni volupté, et créent sans cesse de nouveaux êtres pour la géhenne et l’obscurité ; ils se repaissent, pareils à des animaux affamés et inassouvis, et quand, par exception, brille pour eux cet astre ignoré, le soleil, leurs yeux obscurcis n’ont plus la force d’en souffrir la lumière. Mon chien est plus heureux qu’aucun d’entre eux : il court et s’ébat au grand air ; sa pâtée est apprêtée à son goût ».

Bauër exprime encore toute sa défiance envers une société nouvelle ayant instillé un goût frelaté de liberté : « Monarchie détruite, empires renversés, royautés déchues, il reste le citoyen arbitre des destinées publiques, qui tient le pouvoir, la fortune, la distribution des richesses dans son bulletin de vote, faiseur et défaiseur des rois, des lois, des droits, des religions et des nations. » Et l’homme de lettres de fustiger ce souverain imbécile qui « jette dans l’urne sa duperie et sa misère éternelles », préférant toujours s’amuser bruyamment au jeu de l’émeute conduisant parfois à « la bataille civile où, quelques pintes de sang tirées à la foule pléthorique, tout rentrera dans l’ordre du travail fécond, de la jouissance opulente, de la délicieuse iniquité. »

Vers le même temps, le philosophe Sighele stigmatise les dérives d’un régime parlementaire qu’il présente, selon le Blackwood’s Magazine, comme « le résultat d’une suggestion mesmérienne exercée sur l’esprit de la foule par le journal et par les meetings », y voyant un système de gouvernement vicié dans son principe même, un parlement étant irresponsable de crimes qu’il « commet toujours sous l’impulsion d’un emportement » et le député n’agissant qu’en vue d’une réélection future. Au delà de l’utopie d’« exiger de tout candidat des titres sérieux d’intelligence, de savoir et d’intégrité », que penser de la viabilité d’une République érigeant désormais en gouvernance une pathétique et continuelle course à la Présidence ?

Valéry VIGAN
Directeur de la publication
La France pittoresque

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