LA FRANCE PITTORESQUE
Le suffrage universel :
pernicieux leurre démocratique ?
(Éditorial du 12 mars 2010 paru dans le N° 34 de
La France pittoresque - avril/mai/juin 2010)
Publié le lundi 5 décembre 2011, par Redaction
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En 1871, cependant que les destinées de la France sont depuis près d’un quart de siècle confiées au suffrage universel, l’économiste Antonin Rondelet, parmi les premiers ayant analysé les rapports entre morale et économie politique, dénonce dans Les limites du suffrage universel le bien-fondé d’un système électif passant « dans le monde complaisant des naïfs, pour une institution éminemment démocratique, fonctionnant pour la liberté de tous et plus particulièrement dans l’intérêt des petits », mais qui à son sens, et comme l’affirmait déjà Rochefort, repose sur des professions de foi et des déclarations de principes « dans lesquelles on promet au peuple tout ce qu’il aime, à charge, une fois l’élection terminée, de lui donner tout ce qu’il n’aime pas ».

N° 34 de La France pittoresque (avril/mai/juin 2010)

N° 34 de La France pittoresque
(avril/mai/juin 2010)

L’année suivante, dans L’esprit du suffrage universel, l’avocat Lapeyre ne cache pas son désarroi face à cette « utopie pernicieuse » présupposant la capacité et le devoir de l’électeur « de s’éclairer sur toutes les questions qui touchent aux grands intérêts de l’Etat (...). Pour voter en pleine connaissance de cause sur toutes les questions de constitution, de finances, d’équilibre européen, etc., il faudrait être un savant non pas dans une branche spéciale de la science, mais un savant universel, un homme d’Etat consommé. (...) Sans parler de la moralité, que l’on ne saurait négliger sans risquer de tout perdre, tout ce que l’on fera pour l’instruction des masses, n’aboutira jamais à les initier complètement à la délicatesse des affaires diplomatiques, à la complication des rouages administratifs, à la profondeur des principes constitutionnels, à la difficulté des questions financières ».

S’il lui semble chimérique d’attendre du seul mécanisme intrinsèque d’un suffrage universel déficient, qu’il accouche de dirigeants vertueux, il aspire en revanche à l’émergence de candidats à l’élection dignes et désintéressés, convaincu de la détestation viscérale du peuple pour des « hommes gonflés d’or, d’égoïsme et d’orgueil qui affectent à son égard l’insulte et le dédain ».

Mais est-il aujourd’hui raisonnable d’espérer d’appareils politiques s’accommodant d’institutions dont ils se repaissent périodiquement des bienfaits par le jeu des alternances, qu’ils soumettent enfin aux votes des électeurs des hommes et des femmes d’une moralité sans tache, ou longtemps encore leur seule réponse consistera-t-elle en la stigmatisation, lâche et confortable, de citoyens refusant pour certains simplement de cautionner un suffrage universel dévoyé ?

Valéry VIGAN
Directeur de la publication
La France pittoresque

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